
Émergence, mode d’emploi
L’évolution économique s’est appuyée sur une planification ambitieuse: encadrer l’action, définir les priorités et les moyens nécessaires pour atteindre les fameux objectifs 2030. Un travail d’équipe qui permet aussi de mesurer les défis sur le parcours.
Depuis 2012, trois plans nationaux de développement se sont déroulés. Le premier, jusqu’à 2015, a visé la reconstruction et la relance économique du pays après la longue crise politique qui l’avait secoué dès 1999. Le deuxième PND (2016-2020) a poursuivi l’effort sur les infrastructures et les investissements, mais a aussi mis l’accent sur l’industrialisation. C’est à ce moment-là qu’a émergé l’idée de transformer localement les matières premières, en particulier le cacao, qui fait la fierté et la richesse du pays, premier producteur mondial de cet «or brun». Quant au troisième PND (2020- 2025), c’est avec les yeux rivés sur le fameux «cap 2030» qu’il a été élaboré. Il entend accélérer l’industrialisation et la modernisation des infrastructures, et se concentre sur le développement du capital humain. Un quatrième PND est en cours d’élaboration depuis le début de l’année, et couvrira la période 2026-2030. Pourra-t-il répondre aux défis structurels qui restent à relever pour garantir la «croissance durable et inclusive», et atteindre l’objectif de l’émergence?
En 2011, la Côte d’Ivoire tente de tourner la page après une décennie de crises politiques et militaires qui ont fortement affaibli son économie. Cette année-là, la croissance est négative. La récession économique frappe le pays qui offre un triste visage: dette publique élevée, secteur privé affaibli, infrastructures dégradées. Sans parler de l’État, dont il faut rebâtir les fondements.
Dans ce contexte, le plan national de développement a été conçu comme la première pierre pour paver l’émergence du pays. Avec un outil que le chef de l’État avait à portée de main: le programme présidentiel d’urgence (PPU), un fonds conçu pour lui permettre d’agir vite en cas de besoin.
Une série de réformes, assorties d’une amélioration de l’environnement des affaires et une réduction de la dette, ont été introduites en vue de stimuler les investissements publics et privés. La stratégie porte ses fruits. Le niveau des investissements passe de 9% du PIB en 2011 à 20% en 2015, signe du retour de la confiance. Parallèlement, le revenu par habitant augmente de 25% entre 2012 et 2015. Le taux de pauvreté passe, lui, dans le même temps, de 51% en 2011 à 46% en 2015. Très vite, la croissance s’envole: 9% chaque année entre 2012 et 2014, dépassant même les 10% en 2015. On parle du «second miracle économique ivoirien».
C’est dans cet élan que s’ébauche le PND 2016-2020. Établie dans la continuité des efforts amorcés par le PND 2012-2015, la stratégie vise à renforcer la transformation structurelle de l’économie, à consolider les infrastructures essentielles et à améliorer le bien-être social. L’accent est mis sur l’amélioration du réseau autoroutier et routier. L’aéroport international d’Abidjan, entièrement rénové, est inauguré. Des infrastructures qui facilitent le commerce et améliorent la connectivité. S’ajoute la volonté d’apporter l’eau et l’électricité au plus grand nombre. Des investissements colossaux sont réalisés pour faire face à l’augmentation rapide des familles et des entreprises connectées aux réseaux électriques et d’eau. L’industrialisation trouve un débouché dans la création de zones dédiées. L’innovation technologique est soutenue et l’objectif de la transformation locale des matières premières reste prioritaire. Le taux de transformation, estimé à environ 20% en 2011, est passé à environ 36% en 2019, grâce à la valorisation de produits agricoles tels que le cacao, l’anacarde et le coton. Objectif: réduire la dépendance du pays aux exportations brutes.
Le PND 2016-2020 a consolidé les bases du développement, maintenant une croissance soutenue, de 7 à 8%, sur la période.
«Notre ambition est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent, moderne et prospère. Nous avons réalisé des progrès économiques indéniables, mais nous devons continuer à investir dans nos infrastructures et notre capital humain», a déclaré le président Alassane Ouattara lors du lancement du PND 2021-2025. Tels sont les défis à relever.
SURMONTER LES OBSTACLES
Les progrès et la diversification de l’économie n’occultent pas une donnée historique: la richesse du pays repose en grande partie sur l’agriculture. Bien qu’elle dispose de produits phares comme le cacao, le café et l’hévéa, la Côte d’Ivoire n’exporte encore que peu de produits à valeur ajoutée. Un paradoxe qui s’explique par la faiblesse des infrastructures de transformation locale. À l’image du cacao, dont seulement 30% des exportations sont composées de produits transformés. Dans la mouture 2021-2025, le PND exprime la nécessité de «poursuivre l’industrialisation par la transformation locale des matières premières et l’encouragement de l’entrepreneuriat». Au-delà de cet exemple, le secteur manufacturier (hors agroalimentaire et pétrolier) n’a pas dépassé le plafond des 5% en matière de contribution au PIB en 2023.
Les infrastructures et l’accès à l’énergie sont d’autres points d’amélioration pour soutenir l’expansion économique. «L’accès à l’électricité est passé de 33% en 2011 à 88% en 2023, ce qui est une avancée majeure, mais nous devons encore aller plus loin», souligne le chef d’État lors du même discours. De fait, le gouvernement annonce une couverture électrique complète du territoire en 2030.
La réduction de la pauvreté reste un enjeu de taille. La croissance de l’activité économique, le soutien à l’activité des femmes et des jeunes, alliés à une politique sociale plus offensive à partir de 2019 (avec la création des «filets sociaux»), ont entraîné une amélioration des conditions de vie. Le taux de pauvreté, qui était de plus de 50% en 2011, a considérablement baissé: selon la Banque mondiale, elle touche 37% de la population aujourd’hui. Mais les inégalités persistent, notamment entre les zones urbaines et rurales. La ministre de l’Économie, du Plan et du Développement, Nialé Kaba, a enfoncé le clou: «L’émergence doit bénéficier à tous les Ivoiriens, et non à une élite. La justice sociale est au cœur de notre vision.» Une approche inclusive qui passe aussi par la création d’emplois. Dès 2015, le président Ouattara ambitionne le plein-emploi pour les jeunes – 36% de la population ivoirienne est âgée de 16 à 35 ans, un véritable vivier de main-d’œuvre. Entre 2011 et 2020, plus d’un million d’emplois auraient été créés au profit de ces derniers, selon le ministère de la Jeunesse.
L’éducation a elle aussi son rôle à jouer. Une série de réformes a été lancée, à ce titre. La loi d’obligation scolaire de 6 à 16 ans, adoptée en septembre 2015, fait date sur le continent. Elle entraîne des investissements massifs dans les infrastructures scolaires et l’embauche de milliers de nouveaux enseignants. L’enseignement technique et professionnel est réhabilité et le secteur privé joue une part majeure dans l’effort collectif. La stratégie apporte des résultats notables. La population scolaire est passée de 2920791 en 2011-2012 à 4385213 à la rentrée 2023- 2024. Et les résultats aux examens de passage aux cycles supérieurs sont en constante progression. De fait, l’accroissement du nombre d’enfants accueillis doit s’accompagner d’un effort sur la formation des enseignants.
L’ENJEU CLIMATIQUE

Autrefois dotée de grands espaces verts, la Côte d’Ivoire ne dispose plus que de 10% de son couvert forestier. En cause: la déforestation, aggravée par l’expansion de l’agriculture intensive – cacao, huile de palme… «L’équilibre entre les ambitions économiques du gouvernement et la protection de la biodiversité» est une quête prioritaire, insiste Nialé Kaba. Plusieurs initiatives sont ainsi menées: le plan national d’investissement forestier, qui vise à restaurer les écosystèmes dégradés et à promouvoir une gestion durable des forêts, une intense campagne en faveur du planting, entre autres.
Des efforts essentiels pour la biodiversité, mais aussi pour la lutte contre le changement climatique, qui représente un risque majeur pour le pays. Son impact affecte l’agriculture, la disponibilité des ressources en eau, et bien sûr la sécurité alimentaire. Le président Ouattara a pris position à ce sujet lors de la Conférence des parties organisée dans le cadre de la COP 26 à Glasgow: «La lutte contre le changement climatique exige une stratégie collective et des engagements concrets.» Ainsi, une stratégie nationale de développement durable a été déployée.
L’urbanisation rapide et la pollution des fleuves posent également problème. Notamment pour la gestion des ressources en eau, dont la qualité est mise en péril par l’accroissement démographique, les activités industrielles et le développement urbain. Les autorités ivoiriennes cherchent à en améliorer la gestion à travers des projets d’assainissement et de traitement des eaux usées. Le développement des énergies renouvelables est, dans ce contexte, un autre enjeu clé. Riche de multiples ressources, la nation doit chercher à diversifier son mix énergétique en vue de réduire sa dépendance aux énergies fossiles. Pour cela, la sensibilisation de la population à la protection de l’environnement est devenue cruciale. Les campagnes, les programmes d’éducation à l’environnement se multiplient dans les écoles et les communautés pour encourager des pratiques durables.
La bonne gouvernance étant un critère essentiel à l’émergence, la lutte contre la corruption et l’amélioration de la transparence figurent parmi les priorités du gouvernement. Le cadre institutionnel, législatif et réglementaire doit être solide pour assurer la confiance, attirer les investissements étrangers et garantir un développement durable. Dans ce sens, un ensemble de réformes et de stratégies ont été établies par l’administration Ouattara, parmi lesquelles la stratégie nationale de lutte contre la corruption 2024-2028. Selon Transparency International, la Côte d’Ivoire se classe aujourd’hui au 69e rang sur 180 dans le classement mondial de la corruption. Elle entend progresser encore d’ici 2030.
L’objectif d’une Côte d’Ivoire émergente à l’horizon 2030 est possible. Le président Alassane Ouattara pourrait souhaiter en être le premier des spectateurs, à la tête de l’État, s’il décide de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre 2025. L’atteinte de ce but repose sur la poursuite des réformes et l’engagement de tous les acteurs. Comme il le résume lui-même: «Nous devons rester mobilisés pour faire de la Côte d’Ivoire un modèle de croissance et de prospérité en Afrique.» La trajectoire est tracée, et les années à venir seront déterminantes.