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Emmanuel Yéo
« Viser l’efficacité énergétique »

Par Francine Yao - Publié en novembre 2021
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Son objectif : optimiser les usages et les mouvements d'énergie ,limiter le gaspillage grâce à la technologie.

AM : Quel a été votre parcours professionnel  avant que vous ne créiez votre entreprise ?

Emmanuel Yéo
Emmanuel Yéo.JIHANE ZORKOT

Emmanuel Yéo :Après mes études à l’École supérieure interafricaine d’électricité (ESIE) de Bingerville et à l’Institut polytechnique Houphouët-Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro, j’ai bénéficié d’une bourse d’études du ministère des Énergies pour me perfectionner en anglais à la Louisiana State University, aux États-Unis.J’ai obtenu un Bachelor of Science en électromécanique à la Southern Polytechnic State University en 2004, et un Master of Business Administration (MBA) à la Cameron University en 2005. Ma carrière professionnelle a débuté aux États-Unis,à 3B Industries, une entreprise de robotique à Comanche dans l’Oklahoma. Puis, j’ai travaillé comme ingénieur hardware à HI Solutions,en Géorgie. Nous fabriquions des équipements d’intelligence artificielle dans la gestion de l’énergie électrique. Après cette expérience, j’ai eu besoin de travailler pour mon pays pour apporter des solutions à la problématique énergétique.Et j’ai rejeté les propositions d’emploi aussi bien aux États-Unis qu’en Côte d’Ivoire pour démarrer mon propre business. J’ai alors passé trois années à faire des expérimentations et des essais,avant de lancer officiellement les activités de la société Lynays, en 2011.

Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de cette vie entrepreneuriale ?

L’idée d’entreprendre remonte à mes années d’études en Côte d’Ivoire. Et trois faits y ont véritablement contribué.  Premièrement, ma passion d’inventer et de fabriquer des choses. En deuxième position viennent les difficultés réelles   qu’éprouvaient nos devanciers, titulaires de diplômes, à trouver un emploi après leurs études. Étant membre d’une cellule de prière à l’université, j’avais noté qu’un  grand nombre d’intentions étaient axées sur l’obtention d’un emploi. J’ai alors réfléchi à un système pour les aider. D’où l’idée de créer une société pour satisfaire la demande de nos frères et de nos sœurs. Mais le véritable déclic est venu à la fin de mon cycle de formation en ingénierie à la Southern Polytechnic State University. Il me restait une UV pour valider mon diplôme, j’avais le temps de prendre des cours sur la conception et la fabrication de la monnaie, qui était un module en entrepreneuriat. Nous participions à des compétitions internationales de jeunes inventeurs pour la vente d’équipements à travers le monde. Et mon équipe dénommée « Chester » a été leader de notre établissement, puis champion mondial en matière de « return on equity »   (« rentabilité des capitaux propres »). C’est ce qui m’a réellement motivé à me lancer dans l’entrepreneuriat et à faire un MBA à la Cameron University. J’ai même eu à présenter deux business plans à la fin de cette formation universitaire.

Pourquoi avez-vous décidé d’entreprendre en Côte d’Ivoire ?

J’étais convaincu que le meilleur investissement était  de créer ma propre entreprise, et l’environnement qui m’a semblé le plus favorable était la Côte d’Ivoire.Pour la petite histoire, notre établissement Southern Polytechnic State University se trouvait à proximité de l’entreprise Lockheed Martin, qui fabrique des avions de guerre. Et un bon nombre de nos camarades, après leurs études, sont allés travailler dans cette entreprise. Moi-même, j’étais tenté à un moment donné de devenir pilote d’avion.J’ai même pris quelques cours de pilotage et réalisé des essais aériens. Mais j’ai renoncé pour devenir entrepreneur. Je voulais créer une équipe et produire de la valeur ajoutée, afin d’apporter des solutions dans mon environnement immédiat.

Et qu’apportez-vous en matière de valeur ajoutée à l’économie ivoirienne ?

Nous voulons anticiper sur la situation pour que la Côte d’Ivoire parvienne à l’autosuffisance énergétique et qu’elle s’y maintienne. Ce qui devrait permettre au pays d’accélérer son industrialisation à un coût supportable par les opérateurs   économiques et les populations. Ceci est valable pour tous les pays de la région ouest-africaine.Pour y arriver, nous   faisons la promotion de l’efficience énergétique à travers la Technologie de gestion intelligente des mouvements d’énergie (T-GIME) couplée avec l’énergie solaire, qui permet aux consommateurs (individus,commerçants,industriels,etc.) de maîtriser l’énergie et d’éviter son gaspillage. Nous contribuons à faire baisser les consommations d’énergie d’un tiers, voire de moitié. La dernière crise énergétique qu’a traversée le pays s’explique, entre autres, par le fait que nous gaspillions près de 218 mégawatts au moment où le déficit était d’environ 200 mégawatts. Et si le taux de gaspillage actuel, qui est d’environ 10 % par an continue, la demande en énergies en 2040 sera égale à 6 fois la demande d’aujourd’hui et à 17 fois celle de 2010. Il sera alors difficile de la satisfaire. Or,si les populations s’engagent dans l’efficacité énergétique,la Côte d’Ivoire pourra doubler sa capacité de production sur les vingt prochaines années. Nous offrons des coffrets électriques intelligents pour optimiser la consommation dans les ménages et les entreprises. Nous parlons alors de l’efficacité énergétique active, en suivant un fonctionnement protocolaire pour consommer la juste énergie. À cela s’ajoutent l’efficacité énergétique passive, qui consiste à utiliser des appareils et équipements moins énergivores, l’efficacité des sources d’énergie, etc. Cela participe à la réduction des coûts de production dans les entreprises ainsi qu’à la lutte contre la pauvreté et la cherté de la vie. Depuis août 2020, j’ai été agréé par l’agence de coopération allemande pour le développement, la GIZ, pour animer des formations en efficacité énergétique.

Quels obstacles avez-vous rencontrés dans ce secteur d’activité ?

Il faut noter que les autorités ivoiriennes  et les institutions régionales ont commencé  à faire des efforts pour la promotion de  l’entrepreneuriat. Ainsi, Lynays a été distingué par le Prix de la Cedeao en 2010, par le Prix  national d’excellence en 2018 et par le Prix national de l’innovation en 2019. Le gouvernement a créé le Centre pour la promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI)pour favoriser la création de sociétés et encourager ainsi la culture de l’entrepreneuriat.Cependant, beaucoup d’obstacles bloquent les entrepreneurs en Afrique subsaharienne. Dont le plus gros est la solitude...La plupart des difficultés sont gérées par les entrepreneurs eux-mêmes, ils prennent des risques qu’ils sont seuls à assumer. Ils ne sont pas soutenus.L’autre difficulté est le manque de ressources humaines de qualité dans la mesure où les étudiants ne sont pas formés dans les universités et les grandes écoles dans un esprit de création de la valeur. Il y a aussi les soutiens financiers. Je dirais simplement que l’écosystème national n’est pas entrepreneurial. Contrairement aux États-Unis, où des incubateurs d’entreprises sont installés au sein des universités pour aider les étudiants à vite se lancer dans l’entrepreneuriat.Pendant mes études, j’avais fabriqué une petite machine électronique d’exercice avec 1 764 vitesses pour lutter contre l’obésité dans le domaine du fitness. Et les autorités américaines étaient prêtes à financer ce projet, à condition que je m’établisse dans la région. Mais mon envie de rentrer au pays a pris le dessus. En Côte d’Ivoire, il est difficile d’avoir de tels appuis financiers. Cela ne booste pas la créativité  et la création de valeur ajoutée réelle. La preuve, notre projet d’efficacité énergétique dans l’ensemble des pays de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a du mal à trouver des partenaires financiers. Un gros challenge à relever...

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