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Dossier Côte d'Ivoire

En allant vers demain

Par Zyad Limam - Publié en décembre 2021
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La réussite de demain passe aussi par l’éducation et la formation de la jeunesse. Ici, à Gabiadji, dans l’ouest. NABIL ZORKOT
La réussite de demain passe aussi par l’éducation et la formation de la jeunesse. Ici, à Gabiadji, dans l’ouest. NABIL ZORKOT

À l’horizon 2030, LES OBJECTIFS SONT AMBITIEUX. Il s’agit de doubler la richesse du pays. Et d’entamer un profond processus de modernisation, aussi bien pour l’État que pour le secteur privé et les citoyens !

Faisons un saut en avant, d’une dizaine d’années, dans la Côte d’Ivoire de 2030. La population du pays avoisinera alors près de 34 millions d’habitants (au lieu de 28 millions aujourd’hui). Avec une grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Abidjan comptera aux alentours de 8 millions d’habitants, s’imposant plus encore comme l’une des cités majeures du continent, une ville particulièrement cosmopolite et métissée. En 2030, si tout se passe comme prévu, « according to plan » comme disent les Anglo-Saxons, la richesse du pays aura de nouveau doublé (par rapport à la décennie 2011-2020), pour atteindre un produit intérieur brut (PIB) au-dessus de 90 milliards de dollars. Avec un revenu par habitant qui pourrait tendre vers les 4 000 dollars. Le pays devrait maintenir un rythme de croissance de 7 % par an sur la période, restant dans le peloton des 10 économies les plus dynamiques du monde. En 2030, la Côte d’Ivoire deviendrait alors un pays intermédiaire à revenu supérieur, avec une majorité de la population s’inscrivant dans ce que l’on appelle les classes moyennes. L’économie, dopée par les investissements, aura pu créer 8 millions d’emplois supplémentaires, absorbant une grande partie du choc démographique. La pauvreté serait divisée par deux pour descendre en dessous de 20 % de la population, impactant positivement la vie de millions d’Ivoiriens. Des Ivoiriens qui vivront, en moyenne, dix ans de plus, avec une espérance de vie de 67 ans.

Ce scénario est inscrit dans la Vision 2030, la matrice stratégique définie par le président Alassane Ouattara lors de la campagne présidentielle d’octobre 2020. Ce scénario est aussi le résultat des objectifs fixés par le nouveau Plan national de développement (PND) qui couvre la période 2021-2025 et qui prévoit un budget de 105 milliards de dollars d’investissements ! Les chiffres sont assez impressionnants et, dans ce contexte incertain et pandémique, cette foi en l’avenir pourrait paraître très optimiste. Pourtant, cette ambition n’est pas hors de portée pour le gouvernement du Premier ministre Patrick Achi.

Le projet s’appuie tout d’abord sur une dynamique forte. On ne part pas de zéro. La décennie 2011-2021 aura été celle de tous les records. Selon le think tank britannique Legatum Institute, la Côte d’Ivoire est le pays au monde qui a enregistré la plus forte croissance de sa prospérité sur les dix dernières années. Sur le plan macroéconomique, les chiffres sont assez clairs, avec un taux de croissance moyen de 8 % sur la période 2012- 2019, un budget de l’État multiplié par trois entre 2011 et 2020 et le volume global des investissements par sept. En moins de dix ans, le PIB par habitant a doublé, faisant de la Côte d’Ivoire l’un des tout premiers pays d’Afrique (hors États pétroliers et Afrique du Sud). Elle sait également se montrer résiliente face à la pandémie du Covid-19, maintenant une croissance positive en 2020 et visant un taux final de 6,5 % pour 2021.

Le pays peut compter sur une économie déjà relativement diversifiée, dopée par d’importants investissements dans les infrastructures et la compétitivité, avec un secteur agroindustriel performant (cacao, anacarde, banane, caoutchouc…), des services en pleine croissance. Géographiquement, la Côte d’Ivoire s’impose comme la porte d’entrée de la sous-région. Son réseau routier, qui s’oriente progressivement vers les « intérieurs », représente 50 % de celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le pays dispose d’une façade maritime sur le golfe de Guinée de près de 500 kilomètres, et de deux ports majeurs. Celui de San Pedro, leader dans le secteur du cacao. Et celui d’Abidjan, dont la modernisation s’est encore accélérée avec un nouveau quai en eau profonde et un second terminal à conteneurs. Malgré les limites et les contraintes, illustrées ces derniers mois par les délestages, le pays constitue encore la principale source d’énergie pour toute la région. Et la mise à niveau du secteur se fait à marche forcée. Cette plate-forme Côte d’Ivoire s’adresse à un double marché (outre son potentiel intérieur) : l’UEMOA, qui compte près de 130 millions d’habitants avec une monnaie unique et stable, et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec plus de 400 millions d’habitants. Pour tenir le cap fixé par le président Ouattara, tenir les objectifs du PND et de la Vision 2030, pour relever le défi des opportunités, l’approche ivoirienne s’appuie sur deux axes prioritaires.

MODERNISATION, EFFICACITÉ

La première marche, c’est le développement du secteur privé national (et aussi international via l’investissement direct extérieur). C’est le coeur du PND et de sa réussite. Sur les 105 milliards de dollars prévus, plus de 75 milliards doivent provenir de ces entreprises, devenues des moteurs privilégiés de la croissance. L’initiative privée doit prendre le relais de l’émergence. Avec un objectif de 75 % de l’investissement total en 2025. C’est le secteur privé qui doit assumer la création d’emplois pour faire face à la vague démographique et mobiliser les énergies d’une jeunesse nombreuse. C’est du secteur privé que doivent venir les gains de productivité et de créativité avec, comme objectif, d’augmenter la part de valeur ivoirienne dans des filières de produits mondialisés. Produire en Côte d’Ivoire, promouvoir le made in Côte d’Ivoire devient une mission nationale. Cap donc sur la transformation des matières premières (en particulier le cacao, mais aussi les autres produits agricoles). Cap aussi sur un certain nombre de secteurs définis comme stratégiques et où le pays dispose d’avantages compétitifs : l’agriculture ou encore le textile, l’économie numérique, la construction et le logement, l’industrie légère, la pharmaceutique, la culture aussi…

Le président de la République Alassane Ouattara aux côtés du Premier ministre Patrick Achi et du ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, le 7 avril dernier. LUC GNAGO/REUTERS
Le président de la République Alassane Ouattara aux côtés du Premier ministre Patrick Achi et du ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, le 7 avril dernier. LUC GNAGO/REUTERS

En creux se dessine un autre message fort pour les années qui viennent : l’État ne peut pas tout faire, offrir des emplois, s’endetter, garantir les crédits par sa signature souveraine, à l’infini. Les entrepreneurs doivent assumer une part du projet, une part du risque proportionnel aux formidables opportunités du pays. Prêt pour accompagner cette transition, pour relever le défi, l’État va encourager la croissance d’un certain nombre d’entreprises, accentuer leur taille, créer des « champions nationaux », capables de viser haut, d’être en concurrence, d’investir sur le long terme.

Car si l’État n’est plus le bailleur ou le garant, il se doit d’être, et c’est le second volet du plan, « catalyseur », pour reprendre une expression du Premier ministre Patrick Achi. Il se doit de devenir stratège, manager, et de rendre plus rapide encore l’émergence de ce secteur privé. L’administration, la bureaucratie doivent s’allé ger, être à l’écoute, se mettre en ordre de marche pour favoriser la croissance, le développement, soutenir l’initiative privée. Le service public devra s’élever au niveau des enjeux : le cadre juridique nécessaire, la transparence, la prise en compte des évolutions digitales. Une vraie petite révolution à un moment où les tâches de l’État régalien seront tout aussi prégnantes : la sécurité intérieure et extérieure, la justice, la lutte contre les inégalités, l’investissement dans les secteurs sociaux, l’éducation, la santé…

Pour le secteur privé comme pour la sphère publique, cette exigence de modernisation et d’efficacité, ce saut réellement qualitatif s’avérera complexe à mettre en oeuvre. L’agenda de réformes, le contenu du cadre législatif, la mise à niveau de l’éducation, de la formation, la stabilité régionale, l’amélioration durable de la situation sanitaire, tout devra fonctionner ensemble. Et les prévisions et les projets devront s’adapter à des évolutions systémiques comme le changement climatique, les exigences du développement durable, l’impact des migrations et du métissage.

Mais cette grande ambition est nécessaire, incontournable. C’est par la croissance, par le progrès, par la modernisation que la Côte d’Ivoire pourra s’attaquer durablement à la question de la pauvreté, des inégalités sociales, des inégalités territoriales. Et plus de répartition des richesses, plus d’égalité sociale, plus d’inclusivité pour les plus fragiles, les plus éloignés, les plus jeunes, l’augmentation des classes moyennes, c’est aussi plus de stabilité, moins de conflits. Plus de confiance dans le devenir commun. Au fond, le projet économique génère de la modernité politique. 

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