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Fally Ipupa : el Fenómeno !

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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APPAREMMENT… car c’est entre les quatre murs de l’imposant et réputé studio du Palais des Congrès que Fally Ipupa enregistrait son second album, Arsenal de belles mélodies. Ils campaient là, juste pour attraper au vol la moindre nouvelle, assoiffés du moindre son s’échappant entre deux ouvertures de portes de ce studio qui leur était strictement interdit. Ferveur chère aux fanatiques et autres mélomanes congolais ? Pas seulement… Le citoyen Ipupa, 31 ans, n’est plus juste un autre leader de la chanson kinoise.

Il est l’auteur de Droit chemin, son premier disque, publié en 2006, et lancé par David Monsoh, le producteur ivoirien éclairé, « pape » du coupé-décalé (Douk Saga, Le Mollar…). Le CD qu’il faut absolument avoir chez soi, l’opus de tous les records. Cet album reste encore aujourd’hui la deuxième meilleure vente de disques dans les deux Congo… trois ans après sa sortie ! Trente mille cassettes officiellement vendues entre Kinshasa et Brazza, là où le dernier Koffi Olomidé plafonne à trois mille ! Plus de cent mille exemplaires ont été vendus à l’international, là où les majors du disque occidental, en raison de la crise, atteignent la béatitude, avec un chiffre de trente mille galettes écoulées sur le marché ! Et combien en Afrique ? Plus d’un million, très probablement… « En un enregistrement, Fally est passé dans une autre dimension, avoue un producteur connu. Werrason ou Koffi Olomidé ont mis dix ans et plusieurs disques à atteindre le statut de star de la musique africaine, lui, trois ans seulement, et un seul album ! » Fally le phénomène. D’ailleurs, sur les berges du Congo, il n’y a qu’aux vrais boss de la chanson qu’on attribue des surnoms. Et lui, il en a une kyrielle : DiCaprio ou DiCap, Champion of Love, El Magnífico, El Fenómeno, etc.

Et voilà que le second opus, sorti début juillet, suit la même trajectoire. Un buzz énorme, un single, « Chaise électrique », qui embouteille d’ores et déjà les ondes de Trace TV notamment, et les tiroirs-caisses des boutiques qui commencent à faire résonner leur doux bruit ! Les raisons du raz-de-marée de la « fallymania » ? Sur le « dogme » kinois (le ndombolo, le style actuel, pour le fun et la danse ; et la rumba pour l'extase amoureuse) des greffes de rap ou de dance-hall. Le tout servi par une voix exceptionnelle, chaude, virtuose, capable de toutes les nuances. Enfin, quand mister Ipupa monte des featurings, il s’adresse à Benji, des Neg Marrons, dans Droit Chemin ; ou encore au toaster martiniquais Krys et, last but not least, à la pulpeuse chanteuse de R’n’B américaine, Olivia (Mme « Candy Shop », titre en duo avec 50 Cent, mega tube international en 2005), dans Arsenal de Belles Mélodies.

On l’a compris : Fally a les yeux rivés sur la ligne bleue acier des gratte-ciel de New-York. Il est le n°1 de cette jeune génération d’artistes congolais (Bill Clinton, Buro Mpela, Bana Kin, Ferré Gola…) qui connaissent davantage Craig David ou Marvin Gaye que Youssou Ndour ou Franklin Boukaka, qui savent mieux situer sur une carte Los Angeles que Lubumbashi. Il est, avoue-t-il, un fashion-addict dépensier, amoureux de la sape, du kitendi, sport national en RD Congo, mais lui, ses costards, ses baskets, ses pulls près du corps font davantage penser à l’élégance de Kanye West ou de P. Diddy qu’au look rock Jitrois de Werrason ou de Koffi . Son péché mignon : les montres griffées, avec mention spéciale pour Breitling. Bref, tout ça plaît aux 15-30 ans du continent et d’ailleurs. Dernier atout, et non des moindres : son sex-appeal. Son public est en majorité féminin, et assister à un concert du beau gosse provoque des montées hormonales chez la « Blackette » de la banlieue nord de Paris, comme chez l’élégante de Brazza. Aveu significatif d’une mélomane africaine à la trentaine affirmée : « Je préfère la période des Tabu Ley et Franco.

Les jeunes, c’est pas mal, mais bon… sauf Fally ! (une hésitation). Lui, il est génial, il a un sacré coup de reins sur scène ! » (rires). Hors concert, il est entouré de femmes. Il n’est qu’à passer quelques heures avec la nouvelle coqueluche de la musique congolaise et à constater que son portable est assailli de coups de fil parfumés. Commentaire de l’intéressé : « Les filles, elles ne m’aiment pas seulement pour coucher avec moi. Elles apprécient ma gentillesse, ma timidité… c’est du moins ce qu’elles me déclarent ! » Il se livre peu, Fally ! Il préfère l'action aux mots, avouent ses proches. Quand il est en veine de confidences, il avoue vivre avec quelqu'un et avoir deux enfants, à Kin. Quant au mariage, il dit qu'il n'est pas contre, mais qu'« il a d'autres priorités ».

Inutile de préciser que dans cette gigantesque foire d’empoigne qu’est la scène kinoise, dans cette basse-cour musicale où toutes les polémiques, tous les coups (même physiques !) sont permis pour être le dominant, le n°1, l’irruption de Fally Ipupa n’est pas passée inaperçue. Comment, ce « petit » ose troubler la digestion des grands fauves repus, les Koffi Olomidé, Werrason, JB Mpiana, Papa Wemba et autres Félix Wazekwa ! En outre, il détone dans le milieu. Il ne boit pas d’alcool, ne fume pas et sort peu.

On va très vite l’accuser d’être hautain, d’avoir la « grosse tête ». « C’est tout le contraire, rétorque un de ses amis proches. Il est d’une totale simplicité. Il n’aime pas les ngandas et les boîtes de nuit, c’est tout. Il préfère aller au ciné, jouer au foot ou à des jeux vidéo avec des copains. « Alors, la polémique a commencé à enfler autour du jeune impudent et, en premier lieu, celle qui l’a opposé au Grand Mopao. Après tout, qu’aurait été la carrière de Fally s’il n’avait pas trouvé sur sa route l’interprète de « Loi » ? Il y a, en effet, l’avant et l’après Koffi Olomidé.

Avant, c’est la vie d’un petit Kinois, du quartier de Bandal, issu d’une famille nombreuse et relativement aisée. Papa faisait de l’import-export, maman était femme au foyer, et toute la famille chantait à l’église. Une famille congolaise type, où l’on respecte le père, aussi sévère soit-il, où l’on enlève sa boucle d’oreille dès que l’on rentre à la maison, car « ça ne se fait pas », même quand on est un garçon fashion.

Internat pour Fally, et quelques animations de quartier sur des batteries fabriquées de bric et de boîtes de conserve, jusqu’à l’âge de 16 ans, âge où il se met à interpréter les tubes de Wenge Musica BCBG, le groupe à la mode alors. « J’ai commencé à traîner la nuit à l’insu de mon père et à chanter avec des amis musiciens, je faisais le mur et, au petit matin, c’était ma soeur qui m’ouvrait discrètement la porte. » Puis papa abdique et laisse faire son fils. Après un premier groupe, New City, en 1994, il intègre peu après un combo appelé Talents latents, avec qui il enregistre un album. Un beau jour de 1999, la formation est invitée à faire de la promotion sur une chaîne de télévision. Koffi Olomidé le repère, le contacte et l’engage comme chanteur dans son groupe, Quartier Latin. Très vite, sous la férule du maître du tchatcho, l’élève, très doué, assimile vite, si vite et si bien qu’il devient chef d’orchestre de Quartier latin.

Il sera de toutes les aventures « olomidesques » et, notamment, celle, devenue légendaire, du concert de Bercy, à Paris, en février 2000, qui voit le rumba-lover congolais chanter devant dix-sept mille spectateurs. Viendra le clash de 2006, à l’occasion de la sortie de Droit Chemin. La star lui avait bien permis d’enregistrer son premier album solo, mais au moment de la promotion, elle se fâchera sous le prétexte que le « petit » a utilisé son nom sans sa permission ! Les médias en feront leurs choux gras pendant des mois. Mais Fally n’a pas envie d’insister sur cet épisode. D’abord, parce que, autre originalité du personnage, il déteste les fameuses polémiques kinoises. « C’est l’arme des faibles. C’est étourdir d’injures certains artistes pour faire oublier que tu viens de sortir un mauvais album. Moi, je vends des disques, ça ne m’intéresse pas. » Et puis, on sent bien, au bout du compte, que le temps a fini par tamiser ses réactions violentes originelles. « Maintenant, on est en bons termes, concède-t-il. Avec Koffi, j’ai appris le travail en studio, la conception des clips, la rigueur dans la composition des chansons. Pour moi, le plus grand musicien congolais, c’est lui. »

En tout cas, après l’épisode Koffi Olomidé, Fally a les clés de la réussite en mains. Et il saura les utiliser, avec le succès que l’on connaît. « Si j’avais été un aventurier, j’aurais publié un album un an après Droit Chemin, mais, en accord avec David (Monsoh), j’ai voulu prendre mon temps, travailler, susciter l’envie de m’écouter à nouveau chez les fans », explique le malicieux qui, décidément, ne fait rien comme les autres. Du coup, beaucoup de mélomanes, de Dakar à Brazzaville, de se dire qu’avec le phénomène Ipupa, c’est peut-être une nouvelle page de la musique congolaise qui s’ouvre. Mais la jeune star, qui vit désormais entre Paris, où elle possède un pied-à-terre dans une banlieue chic, et la RDC, est déjà au-delà. « J’ai envie de fusionner la musique congolaise avec d’autres. Il faudra bien qu’un jour, un Congolais reçoive un Grammy ! » Son nundombolo pourra-t-il conquérir le monde ?

Par Jean-Michel Denis