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Interview

Fehmi Hannachi :
« La gestion privée de fortune est aussi un outil de développement »

Par Zyad Limam - Publié le 21 janvier 2025 à 08h47
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Franco-algérien, banquier depuis plus de 20 ans, il a fondé en 2021 Mare Nostrum Advisory à Dubaï, une structure de Conseil en Stratégie & Développement à l’international. Il explique en quoi l’optimisation des patrimoines privés, y compris en Afrique, est un accélérateur de croissance.​​​​​​​

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Diplômé en relations internationales de l’université de Rome “La Sapienza”, en commerce internationale de Paris I Panthéon-Sorbonne, titulaire d’un Executive MBA de l’ESCP Europe, Fehmi Hannachi été banquier pendant 20 ans au sein du Groupe Bank ABC (Arab Banking Corp).  Il a assumé en son sein différentes fonctions sur trois continents : en tant que membre du Comité de Direction, puis CEO de Bank ABC Europe à Londres puis à Paris. Il a aussi été administrateur de Bank ABC, en Égypte et en Algérie (dont il a présidé le Conseil d’Administration) et enfin Responsable Global matières premières & ressources naturelles à Dubaï et au Bahreïn.

En 2021, il fonde Mare Nostrum Advisory à Dubai, une structure de Conseil en Stratégie & Développement à l’international et rejoint Wrise Wealth Management, à Singapour, en tant que vice-chairman et conseiller stratégique Afrique et Moyen Orient en 2024.

​​​​​​​AM: Comment pourrait-on définir le métier de private wealth management / gestion privée ?

​​​​​​​Fehmi Hannachi: Le métier de Wealth Management est une niche active dans le monde des services financiers. Il englobe une offre de conseils, d’accompagnement et d’accès à des opérateurs internationaux de premier plan (bancaires, juridiques, familly offices…) dont les savoir-faire s’articulent autour de la gestion d’actifs ainsi que la planification financière. Ces services s’adressent par essence aux entrepreneurs et aux patrimoines aisés, avec un aspect stratégie particulièrement important.

La notion de private wealth management recoupe-t-elle celle du family office ?

La notion de "Family Office" est au cœur de ce métier car la dimension de préservation, consolidation et transmission d’un patrimoine est tout aussi, voir plus importante, que son expansion. Il s’agit de construire une relation de confiance avec ses clients qui va bien au-delà de la simple dimension de gestion financière.

Nous sommes là pour conseiller et accompagner l’entrepreneur dans sa réussite industrielle, financière mais aussi dans ses préoccupations personnelles. S’agissant des volets familiaux et de transmission, il s’agit de pérenniser les actifs et de participer à la construction de la saga personnelle en quelque sorte. En Afrique, comme souvent dans les marchés émergents, les entreprises et les activités industrielles sont affaires de famille, et le besoin en financement et conseils (sur un plan bancaire et industriel) doit s’accompagner de ces précieux services de gestion privée.

​En quoi l’Afrique représente-t-elle une opportunité dans ce domaine ?

L’Afrique est au cœur de notre stratégie de développement. J’ai eu le privilège d’accompagner de grands groupes continentaux au cours des 25 dernières années. J’ai été banquier pendant deux décennies au sein d’un grand groupe international. J’ai lancé depuis 5 ans une activité de Conseil en stratégie et développement à l’international avec Mare Nostrum Advisory. Ce parcours m’a permis d’être témoin et acteur du formidable essor de l’entreprenariat en Afrique. De voir aussi la formidable montée en puissance d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui n’a rien à envier à d’autres acteurs émergents voir même à des groupes dans des régions dites plus avancées. Cet essor, cette évolution rendaient d’autant plus nécessaire un accompagnement en gestion privée, d’où mon partenariat avec Wrise, Singapour, que j’ai rejoint l’année dernière en tant que Vice Chairman et Conseiller Stratégique pour l’Afrique et le Moyen Orient. Wrise est une Fintech singapourienne spécialisée en Wealth Management établie dans les places financières asiatiques majeures (Singapour, Hong Kong, Tokyo…) et depuis peu ici à Dubaï au DIFC.

Le métier reste entouré de nombreux stigmates négatifs, en particulier dans des pays ou l’urgence reste le développement économique. L’Afrique aurait surtout besoin que ces capitaux soient réinvestis sur place plutôt que s’expatrier pour du rendement dans des places financières internationales ?

Au risque de paraître naïf ou idéaliste, j’estime que l’on peut aborder ce métier (comme beaucoup d’autres segments de la finance internationale) sous l’angle de l’utilité, de l’impact et de la création de valeur et de richesse… C’est ce que j’ai essayé de faire tout au long de ma carrière : financer, conseiller et accompagner des entrepreneurs dans des projets et des stratégies qui créent de l’activité et de la valeur. On ne peut investir ni répartir que la richesse que l’on crée.

Comment articuler gestion privée et développement économique ?

Je n’y vois aucune contradiction, au contraire. L’accent est à mettre sur le développement de l’entreprenariat et de la création de richesse. La gestion privée peut être aussi un puissant vecteur d’internationalisation des réussites entrepreneuriales africaines.

Elle donne accès à ce qui se fait se fait de mieux au monde en termes d’opérateurs ou de produits financiers. Elle peut servir à connecter les entrepreneurs africains avec leurs homologues dans le reste du monde émergent (le fameux Sud Global), notamment en Asie, la partie du monde où se joue une bonne partie de l’avenir. L’identité et le réseau asiatique de Wrise contribuent largement à son attractivité de mon point de vue (il a été déterminant dans le choix que j’ai fait lorsque différentes opportunités de collaboration t m’ont été proposées dans ce domaine).

Comment convaincre les opinions publiques que la richesse de certains participe à la croissance économique globale ?

Internationaliser les réussites, soutenir les entrepreneurs africains en leur donnant accès aux meilleures pratiques et produits financiers, cela peut indéniablement participer au développement de tous.… Et puis il y a aussi le côté participation au développement sociétal, le mécénat, la philanthropie. Ce sont des sujets qui me tiennent à cœur. Le concept de Family Office englobe celui des Fondations qui sont un instrument juridique précieux pour planifier les successions. La solidarité sociale est une valeur forte en Afrique. La fondation apporte un outil de partage juridique adapté, fiabilisé.  Et c’est une discussion que tout financier gérant devrait avoir avec ses clients…

Pour les acteurs de gestion de fortune, l’Afrique propose-t-elle des opportunités réelles d’investissements (immobilier, entreprises…) ?

L’Afrique reste encore loin derrière comparée aux autres émergents (Asie, Amérique latine, Moyen Orient…) Les raisons sont multiples, mais l’instabilité (politique, juridique, économique…), perçue ou réelle, joue un rôle. Comme pour d’autres sujets, il n’y a pas “l’Afrique” mais “des Afriques”.

Certaines places sont plus attractives que d’autres au vu de leur prospérité, du cadre réglementaire ou de la sophistication de leur secteur financier. Alors que les actifs financiers ou immobiliers sont souvent le sujet d’intérêt principal ailleurs, les flux de capitaux et les investissements en Afrique concernent encore essentiellement des actifs industriels, des prises de participation dans des entreprises ou des arbitrages sur les instruments de dettes, essentiellement de la dette souveraine. Mais avec la croissance, l’enrichissement, les besoins, les opportunités vont aussi s’accentuer. Il faudra être présents !

Comment gérer la question de l’argent gris ou celui des personnalités « politically exposed »?  Le métier a-t-il réellement les moyens, ou la volonté, de « screener » l’argent d’origine complexe ?

Dire qu’aucune infraction ou aucun manquement n’existent ne serait pas sérieux… mais nier les efforts et les évolutions spectaculaires que les autorités de régulation à l’échelle globale-macro (la législation et les régulateurs) ainsi que micro (les institutions financières) ont accompli ces quinze dernières années serait tout aussi factuellement inexacte. La réglementation ainsi que les services en ligne se sont considérablement étoffés et les contrôles, tout comme les sanctions bien plus sérieux et contraignants qu’il y a quelques années.

Les fortunes africaines ne sont pas forcément bien accueillies en Europe. Quelles sont les places internationales qui montrent de l’intérêt pour le continent ?

Il y aurait tellement à dire à ce sujet… une chose est sûre. Les fortunes et les entrepreneurs africains regardent de plus en plus ailleurs. Ils sont en phase de ce point de vue avec une tendance plus globale où les talents et les réussites ne vont plus nécessairement en Europe mais vers l’Amérique du Nord, l’Asie ou le Moyen Orient. Il suffit d’analyser les flux commerciaux et d’investissements depuis et vers l’Afrique, ce depuis 20 ans,  et d'observer la part prépondérante d’acteurs asiatiques, de moyen orientaux tels que la Chine, le GCC et la Turquie pour en réaliser la portée… Les opérateurs non-européens l’ont bien compris. Le positionnement de Wrise Wealth Management de ce point de vue est particulièrement intéressant : en s’implantant à Dubaï (place financière majeure et hub commercial et logistique à cheval entre trois continents) l’idée est d’offrir ses services et de proposer une porte d’accès interactive en quelque sorte entre l’Afrique et le Moyen Orient vers l’Asie et inversement… Ces « portes » sont devenues incontournables. D’autant plus que les technologies digitales bouleversent le métier ainsi que le rapport aux institutions financières et au monde de la finance. Les fameuses Fintech sont au cœur de cette révolution en marche…