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Fellag & Marianne Épin, duo humoureux

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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Fellag & Marianne Épin, duo humoureux

Fellag et Marianne Épin sont ensemble, à la ville comme à la scène. Ils jouent en ce moment dans une pièce écrite par monsieur mais qu’ils ont mis en scène à quatre mains. « On a vraiment concocté ça à deux. C’est un tricot », résume-t-elle, malicieuse. Dans Tous les Algériens sont des mécaniciens, il est Salim, elle est Shéhérazade. Un ancien intendant général et une ancienne prof de français, virés de leur travail à cause de l’arabisation forcée du pays et qui se retrouvent dans un « bidonville trois étoiles »…
Sur leur terrasse, où les yeux et les oreilles des voisins ne sont jamais très loin, ils nous racontent l’Algérie d’aujourd’hui. Celle qui a les mains dans le cambouis… Là-bas, on dit : « Je pense que j’ai une voiture, donc je suis. » Au coeur du spectacle donc, des histoires de moteur et de pannes, qui donnent prétexte à évoquer un pays où rien ne se perd et rien ne se crée mais où tout se bricole… Le texte est moins virulent qu’à l’accoutumée, plus tendre. Assagi, Fellag ?

« C’est le temps ! » dit-il avec un clin d’oeil. « Après quinze ans passés en France, j’ai mûri. Mon écriture a évolué. Et puis, la situation dans mon pays, elle aussi, a changé. Dans les années 1990, mes spectacles étaient une réponse à cette violence. C’est le contexte politique et social en Algérie qui m’a poussé au one-man-show. Il y a aujourd’hui des problèmes comme ailleurs : crise du logement, vie chère, chômage… »
Même si l’Algérie est toujours son « limon », Fellag s’interroge aussi sur son pays d’adoption, parle du racisme ordinaire et des peurs manipulées autour d’une « islamisation » de la société, évoquant une « future République française, musulmane et démocratique »… « Mais non, ne vous inquiétez pas, c’est du théâtre ! » lance-t-il sur scène. « Nous parlons d’une intégration joyeuse », précise celui qui dit se sentir « de partout ! » « Je parle de la France, du croisement des deux mondes, des deux sensibilités. J’utilise beaucoup moins l’arabe et le kabyle que dans mes one-man-show. Ça ne m’intéresse pas de faire du théâtre communautaire », explique l’humoriste.
« D’ailleurs, si ça avait été le cas, on ne l’aurait pas joué 200 fois dans toute la France ! réagit Marianne. Nous représentons une certaine mixité dans ce spectacle… Je suis une Française qui joue une Algérienne, c’est quand même rare ! Quand j’entre en scène, je sens une certaine réserve et même une méfiance, puis le public s’habitue. Les gens apprécient ma démarche. Il y a un frémissement joyeux quand je parle arabe. »

Fellag et Marianne Épin ont choisi de mettre en scène un duo complice, amoureux malgré les années, très libre dans ses propos. « Même si le conservatisme est très important en Algérie, explique l’auteur, il y a plein de couples qui ont cette faconde, cette liberté entre eux. Paradoxalement, c’est au sein de ma génération qu’on est le plus comme ça, même si ce n’est pas forcément visible de l’extérieur. Nous voulions des scènes gaies, qui donnent envie d’être heureux. »
Marianne conclut : « Nous voulions aussi montrer cette égalité dans les rapports homme/femme. C’est un moyen de faire avancer les consciences et de faire du bien. »

Ainsi, Fellag n’est plus seul en scène « dressé face au public », mais il a gardé sa dégaine de clown dégingandé, ses mimiques légendaires et l’on sent qu’il s’amuse à retrouver cette « vieille pratique de la scène ». Lui qui a d’abord été comédien, formé à l’Institut national d’art dramatique d’Alger et qui est entré au Théâtre national d’Alger en 1972.
Et lorsqu’on s’étonne qu’aucun autre humoriste ne lui ait encore ravi la vedette dans son pays natal, il fait tout de suite le rapprochement : « À 20 ans, j’aurais été incapable de monter sur scène de façon spontanée. Il faut des structures, des écoles qui forment des acteurs. Or, il n’y a plus de conservatoire, il n’y a plus que cinq ou six théâtres subventionnés. Il y a sûrement un Fellag d’Annaba, un Fellag d’Oran, un Fellag de Jijel… mais, le théâtre amateur étant très faible, ils ne peuvent pas émerger. C’est dommage. »

Fellag a décidé, à l’automne prochain, de laisser son humour au vestiaire. Une nouvelle aventure avec Marianne, une nouvelle « échappée théâtrale », dans un projet commun autour des chroniques de l’écrivain portugais António Lobo Antunes. « J’ai vraiment envie d’être acteur, de retrouver la force du comédien, libéré de ce que j’écris. »
Déjà l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles, Fellag prévoit de sortir un petit roman illustré par Jacques Ferrandez, une « divagation » qui se passe… au bled ! Marianne, sa première lectrice, en apprendra encore un peu plus sur le pays natal de son compagnon, qu’elle n’a pas encore foulé. « Je connais l’Algérie, dit-elle. Oui, je connais l’Algérie… de Fellag ! »

Par Olivia Marsaud