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FERRÉ GOLA STAR SOLITAIRE

Par jmdenis - Publié en juin 2014
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AVOIR AFFAIRE à Ferré Gola, c’est se mettre en mode rewind et replonger dans les premiers temps du showbiz africain, années 1970-1980. À « l’école » des pionniers, des Salif Keïta, Alpha Blondy et autres Franco, les relations presse et les opérations de promotion étaient seulement des « matières » en option. Avec Ferré Gola, on revit tout ça : pas d’envoi à la presse de son troisième et dernier album, Boîte noire, sorti en juillet dernier ; aucun interlocuteur, attaché de presse ou producteur ; artiste aux abonnés absents… En comparaison de son grand rival Fally Ipupa, qui lui récite assez bien les « leçons » occidentales, tout ça fait, disons-le, un peu amateur !

Et pourtant, tous les mélomanes africains n’ont d’yeux que pour l’un des « patrons » de la jeune génération congolaise, la nouvelle idole qui règne sur les charts kinois depuis une petite dizaine d’années. Et qu’on le veuille ou non, Hervé Gola Bataringe (pour l’état civil) est une star que les femmes adulent et que les hommes adorent au point d’embrasser ses pieds, comme lors du festival des Musiques urbaines d’Abidjan (FEMUA) en avril dernier. Mais une drôle de star. On le dit mystérieux, secret, vivant à l’écart, au fin fond de la banlieue parisienne, avec sa femme, maghrébine avec laquelle il est en train de divorcer, et ses enfants. Inutile de dire que ce fut l’une de nos premières questions quand, enfin, on parvint à « coincer » le chanteur dans un palace des Champs-Élysées. « Je suis un solitaire. J’ai toujours été comme ça. Enfant, j’étais poli car on avait une éducation très stricte, mais je parlais peu. Et à l’école, je ne me battais jamais, je jouais avec mon petit frère, c’était mon seul ami ! » Né en 1976 à Kinshasa, Ferré est le troisième d’une famille de quatre garçons.

Pas d’enfance dans le dénuement, propre à embellir la saga du héros chanteur, mais peut-être le trauma d’une perte, celle de son père qui avait un beau poste dans le secteur minier et qui décédera en 1984. Sa mère se lancera alors dans le commerce et mettra la famille à l’abri du besoin. Hervé, comme tout artiste congolais, fera ses premières armes dans une chorale religieuse. Le quartier de Kintambo se souvient de ce « petit » qui chantait à tue-tête avec cette voix si particulière. Il arrêtera ses études au collège, en classe de 5e. La famille désapprouvera mais Ferré veut « être une star, comme à la télé ! » Après avoir opéré dans deux groupes de quartier, il sera repéré en 1995 durant une kermesse par un certain… Werrason ! À 19 ans, il devient ainsi le chanteur du groupe superstar des Wenge Musica 4x4 BCBG, les inventeurs du ndombolo, cette rumba survitaminée. Et quand, en 1997, Werrason et JB Mpiana, les deux leaders, se sépareront, il restera avec le premier qui fondera le Wenge Musica Maison Mère. C’est donc aux côtés du « Seigneur de la forêt » qu’il va connaître la gloire et imposer sa voix exceptionnelle, haute et chaude à la fois, plaintive, chargée de feeling. Qui d’autre pouvait hériter de ce surnom de « Chair de poule » ?

Sur la scène effervescente de la rumba congolaise, il est désormais incontournable. En 2005, le chanteur Koffi Olomidé déboursera même 15 000 euros pour l’intégrer dans sa formation, Quartier Latin ! Record pour un « transfert » dans le monde musical kinois. Il y restera quinze mois, partageant les parties vocales avec un certain… Fally Ipupa. « On était très copains, se souvient Ferré. Fally est un artiste que j’apprécie beaucoup. » D’où, peut-être, ce manque de polémiques entre les deux stars. Car avec la nouvelle génération, fini les insultes, les surenchères inutiles, les gonflements de biceps ! « On ne court pas l’un après l’autre, on n’essaie pas de prouver qu’on est le plus fort. Les polémiques de nos grands frères, Werrason ou Koffi, n’ont servi à rien. C’est en les voyant faire que Fally et moi, on a décidé de changer de comportement. »

Nos deux compères, engagés dans leur carrière solo, ne courent peut-être pas l’un après l’autre, mais l’un à côté de l’autre tout de même, nantis chacun de trois albums, publiés comme par hasard simultanément. Match nul ? Pas tout à fait… Car quand Fally prépare un nouvel opus pour le compte de la multinationale Universal, Ferré semble stagner. Non pas sur le plan commercial : ses albums, Sens interdit (2007) et Qui est derrière toi ? (2009) qui contiennent des perles comme « Biberon » ou l’incomparable « Soke », se vendent bien (on parle de plus de 100 000 exemplaires écoulés en Europe pour le deuxième CD). Mais dans Boîte noire, quelle avalanche de « mabanga », ces dédicaces lucratives aux puissants de ce monde ! De quoi asphyxier la beauté d’une chanson et se fermer tout accès à un marché européen.

Ferré en est conscient. « Fally était soutenu par un producteur, Boîte noire a été autoproduit. Je veux toucher d’autres publics. Je rêve d’un parcours à la Michael Jackson. » Et celui qu’on surnomme « Jésus de Nuance » vient de trouver un producteur et de signer un contrat portant sur trois albums : David Monsoh, le faiseur de stars ivoirien, celui qui lancera le coupé-décalé ! « David est un grand du showbiz africain, il prend son travail au sérieux, il va me structurer. » Accessoirement, il est aussi l’ancien producteur de… Fally Ipupa ! Il se murmure d’ailleurs que celui-ci ne décolère pas depuis qu’il a appris le scoop. Pas si copain que ça, finalement ? En tout cas, nouvel objectif pour Hervé : réaliser, début 2015, « un disque métissé qui contiendra de la rumba, mais aussi du r’n’b, du dancehall, chanté en lingala, mais aussi en anglais et en français. » Son titre : Black Box. Boîte noire en version world autrement dit. La « course » Ferré-Fally n’est décidément pas finie !

Par Jean-Michel DENIS