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AMÉNAGEMENT

Foncier, l’indispensable chantier

Par zlimam - Publié en février 2016
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Alassane Ouattara aura attendu le début de son second mandat pour donner un coup d’accélérateur à la résolution des questions liées au foncier. Un débat hautement symbolique pour la Côte d’Ivoire. Et urgent sur le plan économique. Une loi de septembre 2013 avait déjà apporté un début de solution, mais les mesures d’accompagnement avaient tardé à être mises en œuvre. Dans le principe général, les terres en zones urbaines appartiennent à l’État, mais le droit coutumier est reconnu en zones rurales. Évidemment, tout cela est sujet à interprétations. Et la propriété de la terre est éminemment politique. « Pour le président Félix Houphouët-Boigny, la terre appartenait à celui qui la met en valeur. Mais on a assisté à des manipulations pour exproprier des personnes qui étaient devenues propriétaires de terres qu’elles avaient longtemps exploitées au nom des accords coutumiers », confie un consultant de l’Union européenne basé à Abidjan. La loi du 23 décembre 1998 avait par ailleurs attribué la propriété terrienne uniquement aux personnes physiques possédant la nationalité ivoirienne. Ce texte avait permis de transformer en droits de propriété officiels les droits coutumiers. Le principe de la mise en valeur comme fondement de la propriété foncière devenait, de cette manière, « caduc ». Et il avait surtout ouvert la porte à de nombreux abus, en particulier ceux liés à l’ivoirité. Une tentative de faire un lien entre la propriété foncière et l’identité ethnique et territoriale de l’exploitant… Lors de la signature des accords de Linas-Marcoussis en janvier 2003, les pourparlers ouverts entre les belligérants de la crise ivoirienne ont montré que le foncier avaient été l’un des déclencheurs de la crise et du conflit. Sur les quelque 23 millions d’hectares de domaine rural que compte la Côte d’Ivoire, seulement 600 certificats pour 20 000 hectares ont été délivrés, d’où la nécessité de réformes et d’encadrement prônée par le président Ouattara. Il est vrai que ces problèmes non réglés ont fait avorter plusieurs projets de développement et d’investissements agricoles. Le groupe agro-industriel Sifca a été obligé de décaler la mise en œuvre de plusieurs projets d’extension de ses plantations de palmiers à huile et d’hévéas. Le géant américain Cargill, leader incontesté du négoce du cacao, souhaitait se diversifier en lançant une plantation industrielle de palmiers sur 50 000 hectares. L’investissement portait sur 200 milliards de francs CFA (environ 305 millions d’euros), créant ainsi 150 000 emplois. Dans le secteur du riz, l’Office national de développement de la riziculture (ONDR) avait parrainé plusieurs importantes multinationales dont les projets étaient axés sur l’installation d’une usine d’une capacité de 25 000 tonnes/an, approvisionnée par des exploitants répartis sur 4 000 hectares, à qui elles auraient apporté intrants, semences, motoculteurs et expertise. C’était le cas du groupe Mimran, qui espérait acquérir 150 000 hectares afin de créer des rizières le long du fleuve Bandama. Mais tous ces projets programmés durant le premier quinquennat ont fait long feu, à cause notamment de la récurrence des problèmes d’immatriculation des terres. L’État, craignant de spolier les villageois, a préféré finaliser et affiner les textes de loi.

Le nouveau texte compte mettre à plat les procédures. Il permettra de simplifier les démarches administratives, de réduire les coûts et d’accélérer la délivrance des certificats fonciers. Désormais, il sera possible d’accorder des droits de propriété « pleins » aux personnes physiques : ainsi pourront-elles transmettre leur patrimoine foncier à leurs héritiers. Les personnes morales peuvent céder librement les droits de propriété acquis antérieurement. Et l’État se réserve le droit d’immatriculer à son nom les terres sans maître et celles sur lesquelles les droits coutumiers n’auront pas été constatés depuis une période de dix ans. Une vraie révolution ! « Un organisme autonome, doté des moyens nécessaires, et ayant la responsabilité, en liaison avec l’administration préfectorale, de l’ensemble des procédures et étapes qui conduiront à la délivrance du certificat foncier, sera mis en place », a expliqué le chef de l’État. À lui également de faire la synthèse des nombreuses jurisprudences qui régissent le secteur.

PILIERS ESSENTIELS
Le dossier est sensible. Aujourd’hui, même si l’ivoirité est loin derrière, cette question continue de cristalliser les tensions en milieu rural, engendrant parfois de sérieux conflits. Aucune région du pays n’y échappe. Dans l’Ouest, très fertile pour la culture de matières premières agricoles comme le cacao, cela demeure une vraie problématique. En 2015, les tribunaux y ont enregistré plus de 75 % de litiges autour de la terre. La Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays du continent à connaître des difficultés dans ce secteur. L’Afrique du Sud post-apartheid, le Kenya ou le Zimbabwe y ont aussi été confrontés. Et le sujet est perçu à sa juste importance par les bailleurs de fonds et les partenaires de la Côte d’Ivoire qui souhaitent accompagner en douceur le programme. La Banque mondiale a promis près de 3 milliards de dollars de concours d’ici à 2020, dans le cadre du nouveau PND. Et la réforme agraire fait partie des cinq piliers essentiels (avec la stabilité sociale et politique, les équilibres macro, le secteur financier inclusif, la gestion de la dette) selon l’institution multilatérale. ■  B.M.