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François Albert Amichia.NABIL ZORKOT
NABIL ZORKOT
Entretien

François Albert Amichia
«Aucun match ne se disputera devant des gradins vides!»

Par Emmanuelle Pontié - Publié en décembre 2023
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Le défi est grand, et le président du COCAN compte bien le relever. Proposer une Coupe d’Afrique bien organisée, chaleureuse, ouverte à tous et toutes. Avec un spectacle sportif de haut niveau!

Le siège du Comité d’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (COCAN), situé dans le quartier de Marcory Résidentiel, ne désemplit pas à quelques jours du coup d’envoi. À 71 ans, actuel maire de Treichville et ministre à trois reprises (Jeunesse et Sports de 2002 à 2003, Sports et Loisirs de 2015 à 2018, et ministre de la Ville de 2018 à 2021), son président, François Albert Amichia, est parfaitement rodé au monde du sport en général, et du ballon rond en particulier. Il nous a reçus avec un grand sourire dans son vaste bureau ceint d’une belle terrasse et situé en haut du petit bâtiment du siège, entouré d’une demi-douzaine de collaborateurs. Avec cette décontraction que l’on prête aux vrais pros, et le visage plutôt détendu pour la période d’effervescence qu’il traverse, il nous raconte l’histoire de l’organisation de cette 34e édition de la Coupe d’Afrique des nations, depuis les stades jusqu’aux questions de sécurité, en passant par l’avenir des infrastructures et leur participation, demain, au développement de la Côte d’Ivoire.

AM: Nous sommes à l’approche du lancement de la CAN. Comment vous sentez-vous?

François Albert Amichia: Serein. Et, en même temps, sous pression. Nous préparons cet événement depuis des années. J’ai été nommé à la tête du COCAN en juin 2021. Au début, nous voyions la compétition venir, mais avec beaucoup de distance. Aujourd’hui, même si nous nous sentons prêts, nous éprouvons une certaine angoisse. Nous pensons cependant tenir les engagements que nous avons pris vis-à-vis de la Confédération africaine de football (CAF), du peuple ivoirien et de tous les amoureux du ballon rond.

Six stades ont été soit construits, soit rénovés. Aujourd’hui, tout est fin prêt. Parlons des voies d’accès. Où en est-on?

Concernant les stades, quatre ont été construits, deux ont été réhabilités. Tous sont homologués par la CAF et ont été testés grâce à des matchs que nous avons organisés à cet effet. Du 5 au 19 novembre, huit équipes de la Women’s Champions League se sont affrontées à San-Pédro et à Korhogo. Nous avons ainsi pu mesurer notre organisation. Les stades d’Ebimpé et Félix Houphouët-Boigny ont aussi accueilli des matchs test. Concernant les accès, notamment à Abidjan, nous avions évidemment des soucis. Mais tout est résolu à présent. En octobre, le Premier ministre a effectué une visite de la principale voie menant au stade d’Ebimpé et de celle que nous appelons la «Y4», une voie de contournement de la ville. Les travaux sont pratiquement achevés. Nous avons également construit 24 terrains d’entraînement, afin que chaque équipe dispose du sien, contrairement à ce qui se faisait ailleurs, où le même terrain était partagé par deux ou trois équipes. Là encore, nous avons rencontré quelques problèmes d’accès à cause d’une saison des pluies particulièrement intense, mais les voies sont en train d’être terminées. Je souhaiterais préciser que, à la suite du tirage au sort, les équipes ont effectué ce que l’on appelle des «visites de familiarisation», et les retours ont généralement été plutôt favorables. Il reste quelques détails à régler, mais que ce soit au sein du COCAN ou du gouvernement ivoirien, des dispositions ont été prises afin de tenir compte des observations que nous avons reçues.

Quel est le budget global de la CAN, et y a-t-il eu des dépassements?

Il est difficile de parler d’un budget global parce que, depuis 2014, année à laquelle la CAF a attribué l’organisation de cette 34e édition à la Côte d’Ivoire, différents départements ministériels, en prévision de la CAN, ont eu à effectuer des travaux avec les crédits qui leur ont été accordés pour leur exécution. Le gouvernement ivoirien a investi un peu plus de 500 milliards de francs CFA pour financer la construction d’infrastructures sportives. Il ne m’est pas possible de vous donner les budgets alloués aux accès routiers, au relèvement du plateau technique des infrastructures sanitaires des villes hôtes ou à tout autre domaine. Le budget de fonctionnement du Comité d’organisation avoisine, quant à lui, les 130 milliards depuis mon arrivée, c’est-à-dire lors des trois dernières années: 2021, 2022 et 2023.

Savez-vous si des imprévus se sont présentés en chemin, qui ont nécessité de revoir à la hausse certaines dépenses?

Honnêtement, je ne saurais vous répondre. Je peux, en revanche, signaler qu’en 2014, nous avions prévu d’organiser une CAN à 16 équipes. En cours de route, la CAF a modifié les règles, et nous sommes passés à 24 équipes, ce qui a complètement changé la donne. Il fallait un nouveau terrain. Aussi, le stade Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan, a été rénové. De nouveaux terrains d’entraînement étaient également requis, ce qui a induit l’ajout d’un certain nombre de crédits. En dehors de ça, je ne peux pas parler véritablement de surcoûts. Il est certain que, jusqu’à la dernière minute, il peut y avoir des changements positifs, parce que nous avons reçu pour instruction, de la part de monsieur le président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, d’organiser la meilleure édition qui ait jamais existé. Donc, animés par le désir et la volonté de faire toujours plus, nous pouvons être amenés à améliorer encore certaines choses. Il a ainsi été, par exemple, demandé à plusieurs départements ministériels d’organiser des événements en marge de la CAN pour faire connaître la Côte d’Ivoire sur les plans touristique, culturel, gastronomique. Ce qui augmente, en quelque sorte, les coûts. Mais ces derniers ne sont pas imputables à notre organisation.

Pourquoi avez-vous choisi d’appeler cette édition la «CAN de l’hospitalité»?

De jeunes garçons du village de Koonan jouent au football devant le foyer polyvalent, géré par l’association Life on Land.VINCENT BOISOT/RIVA PRESS
De jeunes garçons du village de Koonan jouent au football devant le foyer polyvalent, géré par l’association Life on Land.VINCENT BOISOT/RIVA PRESS

Tout d’abord, en référence à notre hymne national. Et aussi, du fait du contexte actuel, qui fait de notre pays une terre d’accueil, où l’hospitalité est une règle. Pour recevoir 24 équipes et la foule de visiteurs que nous attendons, nous avons choisi de mettre en avant l’hospitalité. À côté de ce mot, nous avons ajouté «et de l’héritage», parce que nous ne souhaitons pas organiser une Coupe d’Afrique des nations qui finirait le 11 février. Nous souhaitons que les retombées de l’événement puissent profiter à la Côte d’Ivoire, en matière d’infrastructures et de capital humain. Ce rassemblement nous permet de former des jeunes gens issus de l’Institut national de la jeunesse et des sports et de l’Office national des sports. Nous avons espoir qu’après la compétition, ils pourront s’orienter vers les métiers du sport et se mettre au service des collectivités territoriales, ou même d’autres pays africains qui auront la possibilité d’organiser un grand événement sportif. Nous avons appelé cette édition la «CAN de l’hospitalité» pour montrer les capacités d’accueil de la Côte d’Ivoire et la tradition du respect de l’autre. C’est une CAN ouverte, une CAN de l’Afrique. Et donc aussi celle de l’héritage!

Comment travaillez-vous au quotidien?

Au départ, nous avions un règlement intérieur, avec des réunions périodiques interministérielles et autres, mais depuis la cérémonie de tirage au sort, tout cela est bien loin! Nous tenons maintenant des réunions pratiquement toutes les heures, en visioconférence avec nos interlocuteurs de la CAF, avec monsieur le Premier ministre ou les membres du Comité interministériel, ou encore nous menons des visites de chantiers, organisons des rencontres avec des opérateurs qui veulent jouer leur partition, participons à des tables rondes, des colloques. Nous faisons aussi des interviews pour donner de la visibilité à la CAN. Enfin, nous rencontrons des légendes du monde du football ou du sport… Bref, nous avons un agenda qui nous fait regretter que les journées ne comptent que vingt-quatre heures et les semaines sept jours! Nous avons une date butoir, qui est le 13 janvier. Nous ne ménagerons aucun effort pour que tout soit prêt sur tous les plans le jour J.

Au niveau de l’organisation, quels sont les volets qui vous semblent les plus épineux?

Nous sommes responsables de l’organisation dans un cadre bien précis. De ce point de vue, nous n’avons aucune crainte. Nous travaillons selon des règles claires. Néanmoins, nous connaissons la passion qu’engendre le football, où chacun pense qu’il est spécialiste et se rêve en professionnel. Nous avons ainsi reçu beaucoup de propositions et de recommandations. Il nous est impossible de ne pas en tenir compte, mais en même temps, nous sommes obligés de respecter le cahier des charges. C’est peut-être là la principale difficulté. Avec l’importance aujourd’hui des réseaux sociaux, tout le monde s’est transformé en entraîneur ou en organisateur; il convient de parvenir à faire le tri. Nous nous efforçons de mettre à disposition de la Côte d’Ivoire, de la CAF et des amoureux du ballon rond tout ce qu’il faut pour que cette 34e édition de la CAN soit un grand rendez-vous de la jeunesse africaine, un vrai moment sportif et convivial.

Comment s’est passée l’installation des comités locaux ? Avez-vous rencontré des soucis, et de quel ordre?

Les COLOCAN étaient très attendus, parce que tout le monde veut s’impliquer dans l’organisation de cette édition. Nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures, si ce n’est qu’il fallait trouver une place pour chacun. Tout s’est déroulé avec la compréhension des uns et des autres. Les comités locaux sont présidés par les préfets de région, qui, pendant toute la période de préparation, tenaient déjà des réunions régulières avec les directeurs régionaux des différents départements ministériels. Comme le souligne le cahier des charges de la Confédération africaine de football, le second du COLOCAN, c’est le maire de la localité, car il convient d’inclure les populations et les collectivités territoriales. Nous avons également ce que nous appelons un «conseil d’honneur», qui réunit toutes les personnalités politiques, religieuses, coutumières, militaires, policières de la ville.

Avec ceux qui ont été choisis pour travailler à la réussite de l’événement localement, avez vous rencontré des soucis de compétences?

Il y a donc les comités locaux, mais nous décentralisons aussi des forces du COCAN. Dans chaque site, nous avons 35 personnes: un coordonnateur général, un directeur de site, et dans chaque commission, des représentants qui travaillent dans les domaines de la santé, de la sécurité, des transports, etc. Ces derniers ont été formés avec l’appui de la CAF.

Vous avez annoncé en début d’année 2023 que la CAN allait générer de nombreux emplois, directs et indirects. Qu’en est-il?

Nous sommes toujours en phase de recrutement. Nous avions commencé à embaucher entre 200 et 300 personnes, puis ce chiffre a augmenté au fil des mois. En novembre dernier, nous comptions environ 600 emplois directs en ce qui concerne le personnel administratif et technique. Il faut aussi compter les 10000 volontaires que nous avons sélectionnés pour la CAN. Le gouvernement lui-même s’est engagé à recruter 20000 bénévoles. N’oublions pas non plus tous ceux qui ont trouvé un travail de guide touristique, de tenancier de nouveaux maquis ou de réceptifs hôteliers, qui eux-mêmes ont souvent engagé du personnel supplémentaire. La CAN crée beaucoup d’emplois, directs et indirects. Comme je le disais, ce qui nous préoccupe, c’est l’après. Que ferons-nous de tous ces jeunes? Nous souhaitons pouvoir les mettre à la disposition de l’État ou des collectivités, et même du secteur privé. Dans le milieu sportif, plusieurs initiatives viennent du privé, et tous ces jeunes gens qui auront eu une spécialisation pourront être utiles.

Combien attendez-vous de visiteurs?

Nous avons estimé entre un 1,2 et 1,5 million de spectateurs et de visiteurs. La Côte d’Ivoire est un pays qui attire, reconnu pour son hospitalité. Et ses infrastructures permettent des déplacements. Janvier-février est une période idéale: le climat est propice et les températures sont agréables. Tous les pays voisins font partie des nations qualifiées, que ce soit le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou le Ghana. Le flux de spectateurs venant par voie terrestre sera donc difficilement chiffrable. Rien ne dit qu’on ne dépassera pas les estimations. C’est ce que nous souhaitons, d’ailleurs, puisque nous avons fait le pari qu’aucun match ne devra se disputer devant des gradins vides. Nous voulons accueillir le maximum de personnes!

Ce maximum de personnes risque de dépasser les réceptifs hôteliers, sauf à Abidjan et peut-être à Yamoussoukro. Ailleurs, la situation sera sûrement plus compliquée…

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Korhogo, par exemple, regorge de réceptifs hôteliers. Les cadres du secteur privé de la région, dès l’annonce de la CAN, se sont organisés pour construire des hôtels. De ce point de vue, il n’y a aucun souci. La station balnéaire de San-Pédro, quant à elle, abrite déjà de nombreux hôtels. Là, également, pas de problème. Il y avait un souci à Bouaké, mais le maire, le préfet, le président du conseil régional et le ministre-gouverneur se sont organisés avec le ministère du Tourisme pour recenser toutes les résidences que les habitants pourraient mettre à la disposition du COCAN. Ce qui fait qu’aujourd’hui, là aussi, le problème semble résolu. D’autant plus que l’État a réhabilité le Ran Hôtel, qui peut également servir à accueillir des participants, en plus des hôtels deux ou trois étoiles réservés au COCAN. J’aimerais ajouter – par habitude, car j’ai été pendant six ans le président du Comité national de soutien aux équipes nationales de Côte d’Ivoire, et j’ai donc accompagné nos supporters à l’extérieur – que l’on trouve toujours des solutions. En Afrique, il n’y a pas d’étrangers, c’est le voisin qui rend visite à son voisin. Par ailleurs, grâce à la modernisation du réseau routier, les distances ont été réduites. D’Abidjan à Bouaké, il faut compter aujourd’hui 400 kilomètres par autoroute. On peut assister à un match et revenir à son lieu de résidence le même jour.

Parlons des cités CAN, censées accueillir les équipes et leur staff.

Dans le cahier des charges de la CAF, pour loger les équipes, il fallait des réceptifs hôteliers quatre ou cinq étoiles. Dans certaines villes, il nous était difficile d’offrir ce classement. Nous avons donc décidé de construire des villages CAN, exclusivement réservés aux équipes qualifiées affectées à ces sites. À Korhogo, à Bouaké et à San-Pédro, ce seront les quatre équipes affectées qui résideront dans ces cités CAN. Dans un contexte parfois tendu aux frontières ivoiriennes, le dispositif de sécurité a vraisemblablement été adapté.

Qu’est-ce qui a été mis en place, y compris dans les stades?

La sécurité est bien entendu une préoccupation majeure du COCAN et du gouvernement ivoirien. Nous connaissons le contexte général dans la sous-région, et même dans le monde aujourd’hui. Bien entendu, des dispositions efficaces ont été prises. Étant donné que c’est un secteur stratégique, permettez-moi de ne pas trop entrer dans les détails. Je peux simplement dire que le gouvernement ivoirien, le président de la République et le Premier ministre ont demandé à certains de nos pays amis de nous aider dans ce domaine, dont les méthodes difficilement décelables et gérables évoluent très rapidement de nos jours. Il nous faut donc l’appui de pays qui ont connu des événements semblables. Et la coopération sur ce terrain fonctionne très bien.

Quels pays, par exemple?

La France et les autres pays de l’Union européenne nous accompagnent, de même que les pays voisins avec lesquels nous entretenons de bonnes relations pour les contrôles réciproques et mutuels de part et d’autre des frontières.

Avez-vous une crainte ou une angoisse personnelle?

Tout ce qui est humainement possible a été réalisé. Maintenant, je dirais qu’à l’impossible nul n’est tenu. Nous attendons avec impatience et un peu d’angoisse la cérémonie d’ouverture, c’est vrai, car c’est elle qui déterminera le succès ou non de l’événement. Pour ce qui est de la partie technique, sur la pelouse, on connaît les équipes et leurs valeurs, et on sait que le niveau sera très élevé. Depuis la dernière Coupe du monde, on a été témoins des prestations du Maroc, du Sénégal, etc. On a vu les matchs de qualifications et constaté que le niveau est très haut. Quant aux problématiques liées au changement climatique, aux personnes ou autres, on se dit qu’on a pris les dispositions nécessaires, et que Dieu fera le reste ! Que cette Coupe attendue par le monde entier se déroule le mieux possible!

Avez-vous un pronostic quant au gagnant de cette 34e édition? Avec interdiction de répondre la Côte d’Ivoire, ce serait trop facile…

Tout le monde a vu la prestation de l’équipe du Maroc à la Coupe du monde, dont elle est sortie demi-finaliste. C’est exceptionnel. Le Sénégal a également raflé tous les trophées ces dernières années. Mais on a aussi la Côte d’Ivoire! Elle organise cette coupe et s’y prépare depuis longtemps. Un élément, personnellement, me fait pencher en faveur de nos Éléphants : en 1992, le président de la République actuel était Premier ministre, et nous avons remporté la CAN. En 2015, quand nous avons décroché notre deuxième étoile, il était devenu président. Jamais deux sans trois. Il est là, aujourd’hui, et je crois qu’il lui reviendra de remettre le trophée dans les mains du capitaine de l’équipe de Côte d’Ivoire!