Gazelle Guirandou:
Transmettre l’amour de l’art
Figure de la scène ivoirienne, elle dirige la galerie LouiSimone Guirandou, qu’elle a créée avec sa mère en 2015, et s’engage dans la promotion des artistes.
AM: Votre mère, Simone Guirandou, est une pionnière parmi les galeristes abidjanais. Aujourd’hui, vous avez pris le relais. Comment s’est faite cette transmission?
Gazelle Guirandou: Pendant les vacances, ma mère emmenait toute la famille dans les musées et galeries. Petite, je le vivais comme une contrainte. Mais j’étais curieuse, je voulais en savoir plus. Je me suis prise au jeu, et l’art est devenu ma passion. Dans les années 1990, les artistes du monde entier venaient rencontrer mes parents: on a grandi comme ça. Donc, quand ma mère a songé à réinvestir le jardin où l’on recevait les artistes autrefois, j’ai trouvé l’idée magnifique. Je voulais rentrer à Abidjan, et c’était l’occasion d’avoir un espace à soi, où l’on pouvait s’amuser, avoir un contact direct avec les artistes. On s’est associées, puis j’ai pris la direction à temps plein en 2018.
Comment choisissez-vous les artistes à présenter?
Avant, ma mère et moi choisissions ensemble. Aujourd’hui, avec mon équipe, presque entièrement féminine, on discute beaucoup. J’ai souvent des coups de cœur. Quand je rencontre des artistes, j’instaure le dialogue: c’est fondamental. Ils doivent se sentir à l’aise avec nous. De mon côté, je dois visiter leur atelier, sentir et vivre les œuvres. Par exemple, j’ai rencontré Oumar Ball à Dakar et lui ai proposé son premier solo show en Côte d’Ivoire après avoir été chez lui, en Mauritanie. J’ai découvert le Malien Ange Dakouo grâce à un ami. Cette année, nous avons fait beaucoup de solo: la photographe Aida Muluneh, que l’on expose en septembre, ou Alun Be pour Africa Foto Fair en fin d’année. Je cherche à faire dialoguer les œuvres et les artistes. Et pas seulement Africains, car j’aime construire des ponts.
Vous organisez aussi des expositions collectives, comme «Découvertes», dédiée aux artistes émergents.
«Découvertes» est née pour leur donner une chance de montrer leur travail. La galerie attire particulièrement les visiteurs en été, et nous voulions en profiter pour donner de la visibilité aux jeunes talents. On peut voir les réactions du public, des collectionneurs, des artistes… C’est l’occasion d’envisager l’avenir avec eux, et de leur côté, de comprendre comment faire évoluer leur travail. C’est enrichissant. Là, par exemple, nous avons Juju Lago, qui photographie des personnes atteintes d’albinisme – un projet fort et touchant. Pour exposer chez nous, le travail doit en valoir la peine. Ce qui est facile avec les artistes confirmés. Mais tout artiste majeur a d’abord été émergent. Et je crois que c’est à nous de les encourager, de les pousser, de les accompagner.
Vous observez la scène artistique locale depuis toujours. Comment a-t-elle évolué?
À l’époque de ma mère, c’était vivant, même si on ne parlait pas encore d’art contemporain africain. Aujourd’hui, le mouvement a bien repris. Beaucoup de personnes s’intéressent à la production artistique. Et les jeunes du continent sont talentueux, curieux, ont un message à transmettre. Ils dépeignent des aspects positifs de la vie quotidienne à travers leurs peintures, leurs sculptures, leurs tapisseries… Mais traitent aussi de sujets comme la santé mentale, les traditions, la famille, avec une interprétation métissée ou locale. C’est riche, ça fonctionne bien. Les foires, comme celles de Joburg ou de Cape Town, mais aussi 1-54, se multiplient. C’est encourageant pour les jeunes. Un travail doit encore être mené, bien sûr, notamment au niveau des impôts. Les gouvernements ne comprennent pas qu’une galerie n’est pas une boutique. Les œuvres ne nous appartiennent pas et l’artiste doit être rémunéré. Nous devons les sensibiliser à notre métier. Lentement, mais sûrement, on y arrivera.