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L’objectif de l’État: mettre un toit sur la tête de chaque habitant. Ici, des constructions nouvelles à Songon, en banlieue d’Abidjan. NABIL ZORKOT
L’objectif de l’État: mettre un toit sur la tête de chaque habitant. Ici, des constructions nouvelles à Songon, en banlieue d’Abidjan. NABIL ZORKOT
Découverte / Côte d’Ivoire

Habitat, construction, urbanisme…
Les grands moyens

Par Philippe Di Nacera - Publié en juillet 2024
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En déficit chronique de 800 000 logements, le pays connaît une frénésie de chantiers, longtemps au détriment des règles d’urbanisme et de sécurité. Le ministre en charge du dossier, Bruno Nabagné Koné, a lancé une politique énergique d’assainissement des pratiques et d’accélération des procédures.

Le gros problème était, pour les acquéreurs d’un terrain, l’obtention de «l’arrêté de concession définitive» (ACD), le seul et unique document qui confère la propriété sur un domaine foncier acquis en zone urbaine. Une démarche qui pouvait durer des années, dans la plus grande opacité, et obligeait souvent les administrés à trouver des «interlocuteurs privilégiés» au sein du ministère pour faire avancer leur dossier.

La digitalisation de ce dernier, lancée par son responsable Bruno Nabagné Koné, arrivé à sa tête en juillet 2018, de même que l’informatisation des process ont changé la donne et considérablement accéléré les procédures. Aujourd’hui, quelques mois suffisent pour obtenir un ACD, si tout est en règle. D’autant plus – et c’est un véritable soulagement pour Bruno Koné – que depuis peu, celui-ci a fait adopter le système de la signature électronique. En 2020, il a signé à la main 17000 ACD. «En Côte d’Ivoire, c’est le ministre lui-même qui signe tous les ACD. Je passais des soirées entières devant mes parafeurs», nous confie-t-il. Désormais, la signature électronique apposée, toujours par lui-même, au bas de chaque ACD, accélère considérablement le processus. De plus, cela permet davantage de sécurité juridique pour les propriétaires, rassure les opérateurs économiques et redonne au document sa valeur de «levier économique».

L’autre grand défi à relever était le respect des règles de construction. L’effondrement dramatique de plusieurs immeubles a mis en lumière la question des «constructions anarchiques». Des lois ont rendu obligatoire l’obtention d’un permis de construire (aujourd’hui disponible en vingt et un jours), l’intervention d’un architecte pour toute construction en milieu urbain et celle d’un ingénieur conseil pour l’exécution des travaux de tout immeuble de plus de deux étages. Le but étant d’éviter les abus, comme les constructions sans permis, et de s’assurer qu’elles se font dans les règles de l’art et de la sécurité. L’assurance obligatoire du chantier est en cours de réflexion. De fait, les contrôles se sont multipliés: 9800 en 2021, 14000 en 2022, près de 19000 en 2023. Une brigade d’intervention interne au ministère, créée à cet effet, peut aller jusqu’à demander au ministre l’autorisation de démolir un ouvrage construit. Seulement deux démolitions ont été ordonnées en 2020, 51 en 2021, 165 en 2022. Pour la première fois en 2023, le nombre de démolitions a baissé – signe d’une certaine normalisation. Quant aux effondrements, leur nombre a drastiquement baissé (onze en 2020, trois en 2022, deux en 2023).

REPENSER LA VILLE DE FAÇON DURABLE

Bruno Koné, ministre de la Construction et de l’Urbanisme ivoirien. VINCENTFOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REA
Bruno Koné, ministre de la Construction et de l’Urbanisme ivoirien. VINCENTFOURNIER/JEUNE AFRIQUE-REA

Faciliter la vie des usagers en simplifiant les règles et en accélérant les procédures, améliorer la sécurité juridique des actes administratifs produits, assurer la sécurité des personnes étaient les priorités de Bruno Koné quand il a pris les rênes de ce ministère. Il s’agissait d’assainir un secteur qui en avait besoin et de permettre aux opérateurs privés de la construction, notamment les promoteurs immobiliers, de travailler dans de bonnes conditions. Car l’objectif de mettre un toit décent sur la tête de chaque Ivoirien est encore hors de portée. Il faudra des années pour réduire le déficit cumulé de 600000 à 800000 logements, notamment dans la métropole d’Abidjan, qui devrait compter 10 millions d’habitants en 2040, et dans un pays dont le taux d’urbanisation est désormais de 52%. C’est la ville elle-même qu’il faut repenser pour la rendre «inclusive, saine, résiliente et durable». De fait, les schémas directeurs de 31 chefs-lieux, parmi lesquels figure Yamoussoukro, la capitale politique du pays, sont en cours de révision, et le ministre entend bien les faire strictement appliquer pour sortir le secteur de la construction de l’anarchie. «Ce sont les questions d’habitat, de qualité de vie, d’énergie, de traitement des déchets et de mobilité qu’il faut repenser», assure Bruno Koné

DES LOGEMENTS POUR TOUS

Abidjan pourrait compter 10 millions d’habitants en 2040. Il est impératif d’aménager l’espace urbain pour tenir compte de cette densité. Ici, le nouveau carrefour de l’Indénié. NABIL ZORKOT
Abidjan pourrait compter 10 millions d’habitants en 2040. Il est impératif d’aménager l’espace urbain pour tenir compte de cette densité. Ici, le nouveau carrefour de l’Indénié. NABIL ZORKOT

Enfin, le ministère de la Construction contribue à l’orientation sociale de la politique du président Alassane Ouattara. Le gouvernement a lancé un programme de construction de 150000 logements sociaux neufs (le Programme présidentiel des logements sociaux) à l’horizon 2025, dont l’objectif est de permettre à la classe moyenne de se loger à des prix abordables. Mais ce programme s’est avéré complexe à mettre en œuvre. Il a pris du retard, tout l’enjeu étant de trouver un système de financement dans lequel les opérateurs privés, les banques et l’État se retrouvent. Depuis, la Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire a été recapitalisée, l’État a mis à disposition des promoteurs du «foncier sécurisé», leur a accordé des facilités fiscales et travaille à la création d’un fonds de garantie du logement social. Tout cela a permis de réduire de 30 à 40% le coût final des logements construits dans le cadre de ce programme. Le ministre Bruno Koné affirme ainsi: «Le programme des logements sociaux a subi des retards importants, mais aujourd’hui, il est remis sur les rails. Plus que jamais il est d’actualité.» En mars 2023, le gouvernement faisait état de la construction de 30000 logements sur plusieurs sites et a annoncé 75000 nouvelles constructions dans la périphérie d’Abidjan, confiées à 25 promoteurs immobiliers.

La remise en ordre du secteur de la construction, nécessaire pour qu’il prenne toute sa part dans le développement économique et social du pays, est en route… À marche forcée.

Une brigade d’investigation et de contrôle urbain

​​​​​​​L’inscription en rouge vif barre le mur d’enceinte de cette construction inachevée bâtie dans le nouveau quartier Djorobité de Cocody, récemment sorti de terre dans le nord d’Abidjan: «PC?» Manifestement, le propriétaire de cet ouvrage en construction n’est pas en mesure de produire un permis de construire (PC) à la brigade d’investigation et de contrôle urbain du ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme. «La procédure de demande de destruction est lancée auprès du cabinet, explique l’agent de ce service qui monte en puissance. Seul le ministre peut ordonner la destruction d’un ouvrage.» Créée en 1992, cette brigade n’effrayait guère les Ivoiriens, jusqu’à présent. Mais elle était également confrontée à un manque de moyens techniques et humains. Les gens «avaient pris l’habitude de construire sans permis», nous indique le chef de cette brigade, Yao N’Goran. «Mais en 2020, onze effondrements d’immeubles se sont produits, dont un qui a fait douze morts.» Un véritable électrochoc. Depuis, la volonté politique est ferme. Il s’agit d’amener les Ivoiriens à respecter les règles en vigueur, notamment celles qui concernent le permis de construire, pour assurer la sécurité des personnes. «Depuis 2022, nous avons reçu du matériel roulant, des motos pour effectuer les contrôles sur le terrain, des véhicules 4x4, et le personnel est passé de 39 agents à 200.» De fait, les destructions se sont multipliées: deux en 2020, 51 en 2021, 165 en 2022, 103 en 2023. «La baisse du nombre en 2023 tient au fait que nous avions détruit beaucoup de constructions dangereuses l’année précédente.» Mais le travail est loin d’être terminé: 122000 constructions ont été identifiées dans le district d’Abidjan par la brigade, et toutes devront être contrôlées. Abidjan est découpé en 23 zones de construction avec, à la tête de chacune d’elles, un chef d’antenne. Elles sont ensuite subdivisées en quatre sous-zones de contrôle. Ainsi, la brigade, quelquefois saisie par des citoyens, ratisse systématiquement le terrain. « La tâche est immense!», ajoute Yao N’Goran. «Notre objectif est d’arriver à zéro effondrement et d’amener nos concitoyens à obtenir un permis de construire avant de commencer leurs travaux. Toutes les lois sont là, il faut simplement les respecter. Voilà notre grand défi!»