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Hafsia Herzi
«L'amour est une affaire qui nous concerne tous»

Par Fouzia Marouf - Publié en novembre 2019
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Enfant de Marseille, fortement maghrébine dans l’âme et le coeur, l’actrice, considérée à ses débuts comme l’étoile montante du septième art, a dorénavant tous les atouts d’une talentueuse cinéaste. Rencontre avec celle qui signe son premier long-métrage, Tu mérites un amour. 

Entière, passionnée, Hafsia Herzi a traversé d’un pas affirmé plus d’une décennie de cinéma en incarnant dans l’Hexagone, au Maghreb et outre-Atlantique plusieurs rôles marquants, qui lui collent encore à la peau. Fidèle à sa famille d’auteurs, Abdellatif Kéchiche, qui l’a révélée en jolie môme butée dans La Graine et le mulet en 2008 (pour lequel elle a reçu le César du meilleur espoir féminin), et Sylvie Verheyde, qui abordait la prostitution dans Sex Doll en 2016, l’actrice a su s’imposer sur la scène cinématographique. Elle présente aujourd’hui avec aplomb Tu mérites un amour, son premier long-métrage, présenté à la Semaine de la critique lors du 72e Festival de Cannes. Pur bijou aux éclats bruts, explorant la complexité des rapports hommes-femmes, il sortira dans les salles françaises en septembre prochain. Rencontre. 

AM : Comment est née l’idée de Tu mérites un amour ?

Hafsia Herzi : C’est une envie qui couvait en moi depuis de nombreuses années. J’ai toujours voulu réaliser un long- métrage, j’aime jouer, écrire. Adolescente, dès que j’ai eu un ordinateur, j’écrivais des nouvelles et je ne m’en lassais pas. Je me souviens qu’à cette époque, j’avais une passion pour les scènes dialoguées. J’aime observer ceux qui m’entourent, les passants dans la rue, la société, et j’avoue être très sensible aux différentes personnalités, notamment féminines. Tu mérites un amour est le fruit d’un fort désir de cinéma. Je me suis levée un matin avec une pulsion, celle de tourner dans l’urgence, à l’arrache. Je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’avais l’habitude de voir beaucoup d’argent dépensé pour rien, lors de certains tournages auxquels je participais en tant qu’actrice. J’avais dit à Abdellatif Kéchiche : « Un jour, je vais faire un film sans argent. » J’avais déjà un premier projet de scénario abouti, Bonne mère, dédié à ma mère, mais j’étais en attente de financements. Et j’avais suivi la voie classique pour la réalisation de mon premier court-métrage, Le Robda. Le projet lié à Tu mérites un amour sommeillait dans mes tiroirs depuis longtemps, et la volonté effrénée de le mener a bien coûte que coûte l’a emporté.

Pourquoi avez-vous choisi le quartier de Belleville comme décor ? Est-ce pour sa diversité ?

Oui. J’avais envie de montrer un Paris cosmopolite. Belleville me rappelle le Maghreb dans toute sa richesse : la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. La plupart des Bellevillois m’y ont toujours bien accueillie, et c’est, de plus, un quartier d’artistes, celui d’Édith Piaf ou de Django Reinhardt. La rumeur de la rue révèle une dimension particulièrement vivante, comme à Marseille dont je suis originaire. Nous ne sommes pas habitués à voir cela dans le cinéma français aujourd’hui, cette énergie très chaleureuse. On y perçoit un élan et une dynamique à chaque instant : ça bouge, ça grouille de vie, ça parle arabe, chinois ou encore japonais ! 

La thématique de Tu mérites un amour aborde en creux plusieurs aspects de la société française, comme la rupture amoureuse, les rapports hommes-femmes, les couples mixtes…

Je souhaitais raconter une histoire simple par le biais d’un film rêveur, en partant de quelque chose qui nous touche et nous concerne tous, l’amour. J’ai constaté que beaucoup de personnes éprouvent de la honte à se confier au sujet de leurs peines de coeur, je voulais briser cette pudeur, et le cinéma existe aussi pour procurer du bonheur à tous les publics. J’ai le sentiment qu’il n’est pas aisé de s’exprimer et de se livrer à la suite d’un profond chagrin et à l’incessant questionnement provoqué par les ruptures amoureuses que l’on est amenés à vivre dans la vie. J’aime de plus les échanges très volubiles, dus au côté méditerranéen de nombreux individus, dans la veine de Marcel Pagnol. C’est pour cela que j’ai passé énormément de temps en amont avec les acteurs, afin de mieux les connaître, de percevoir leur personnalité, d’instaurer peu à peu un climat de confiance, car je tenais à insuffler une belle harmonie. J’aime le mélange, j’ai donc fait appel à des comédiens confirmés et non professionnels. Pour moi, il était important de réunir des personnes motivées et talentueuses, qui donneraient tout face à la caméra. C’est pourquoi j’avais besoin de m’entourer de gens qui sont généreux au quotidien, quelqu’un qui ne l’est pas dans la vie ne donnera rien à l’écran. 

Vous êtes actuellement à l’affiche de Persona non grata, un polar en salles depuis le 17 juillet dernier, réalisé par un acteur également cinéaste, Roschdy Zem.

Ce long-métrage est le fruit d’une belle rencontre humaine avec l’un des meilleurs acteurs et réalisateurs de sa génération. J’ai adoré travailler sous la direction de Roschdy Zem, je me suis totalement laissée porter, car je me sentais en pleine confiance avec lui. Il est d’une rare douceur et d’une vraie gentillesse, et il aime réellement les acteurs. C’est important de se sentir aimée pour une actrice. Il a tenu à définir son casting lui-même et il y est parvenu, ce qui n’est pas évident, car bien souvent, la société de production l’impose au réalisateur.

Revenons à Tu mérites un amour. Vous y donnez la réplique à Anthony Bajon, jeune espoir français du 7e art depuis La Prière, de Cédric Kahn. Comment s’est passée votre première rencontre ?

Anthony Bajon est l’un de mes coups de coeur artistiques depuis son impressionnante prestation dans La Prière. Il est doté d’une extrême sensibilité. Je l’ai rencontré au Festival du film de Cabourg, lors de la présentation de Mektoub My Love : Canto Uno, en présence d’Abdellatif Kéchiche. Anthony et moi avons une grande complicité, nous n’avons pas besoin de nous parler, on se comprend d’un regard et on se ressemble. Dès que je lui ai proposé de jouer dans mon film, il a accepté. C’est un acteur pétri de talent et habité par la passion, je lui prédis une très belle carrière. 

AMANDA ROUGIER

Les personnages féminins sont prédominants dans votre film, insoumis, révélant de forts tempéraments. Vous êtes-vous inspirée des femmes de votre famille ?

Oui. À commencer par ma mère originaire d’Algérie, qui a élevé seule quatre enfants après la mort de mon père. Elle s’est sacrifiée pour ses petits. Lorsque l’on est plus jeune, on pense que les adultes autour de nous sont invincibles, puis le temps passant, on prend conscience de la dureté de la vie. J’ai perdu mon père très jeune, et ma mère n’a pas souhaité refaire sa vie. J’ai grandi avec le souvenir de sa dignité, de sa force et de son courage, je me suis toujours dit que je n’avais pas droit à l’erreur ni de me plaindre. Je voulais mettre en scène des femmes à la fois fortes et traversées de douceur, à l’image de mes tantes, des femmes qui font preuve de patience et prennent sur elles. Chez nous, une femme se doit d’être forte. Vous montrez aussi des femmes libres, notamment vis-à-vis de leur sexualité. Craignez-vous les réactions conservatrices ou teintées de pudibonderie, concernant la scène de libertinage ? Non. Mon long-métrage traite de l’amour, et il me tenait à coeur de mettre en lumière d’autres formes d’union et d’expression amoureuse, hors du cadre du couple traditionnel. Les libertins nous rappellent qu’ils s’aiment simplement, en toute liberté, selon un autre mode, et le personnage principal, Lila, se cherche encore après une rupture subie, elle est plus en demande de tendresse que de sexualité. L’amour à trois a toujours existé, c’est un beau tableau à évoquer, et en tant que réalisatrice, je me refuse à toute forme d’hypocrisie.

Vous parlez beaucoup d’amour dans votre film, et vous, êtes-vous amoureuse en ce moment ? Avez-vous envie d’avoir un enfant ?

Oui. Je suis très amoureuse et je suis en couple, les choses se passent bien. J’aimerais avoir un enfant, fonder une famille, car c’est important pour moi, et j’y pense actuellement. J’ai envie de transmettre mes valeurs à mes enfants. J’ai juste peur de prendre du poids, et j’ai conscience que devenir maman est une véritable responsabilité. Mais pour l’heure, je suis encore très habitée par l’envie de mener à bien mes projets professionnels et d’aller au bout de ce que je veux faire. Je fais le lien avec mon film, j’ai mis neuf mois à le faire [sourire]. C’est comme si c’était mon enfant, je vais également le quitter un temps, sa sortie approche – à la rentrée –, et elle est chargée d’une forte émotion.

Vous étiez présente au dernier Festival de Cannes en tant que réalisatrice de Tu mérites un amour, présenté à la Semaine de la critique, et en tant qu’actrice dans Mektoub My Love : Intermezzo, d’Abdellatif Kéchiche. Parlez-nous de leurs accueils…

Je n’oublierai jamais la présentation de mon film à Cannes, je le voyais sur grand écran pour la première fois. J’ai été submergée par une grande joie et une vive émotion, d’autant qu’il a fallu finaliser les derniers détails. Le public a été très chaleureux, et j’ai pleuré à la fin des deux projections, pour mon film et pour celui d’Abdellatif Kéchiche. J’étais évidemment plus détendue lors de la présentation de Mektoub My Love : Intermezzo, qui a été bien accueilli, car j’avais passé le plus dur, en tant que cinéaste.

Que vous inspire la polémique autour de ce dernier, Mektoub My Love : Intermezzo, dans la presse parisienne ?

Abdellatif Kéchiche est un battant, qui s’échine à réaliser ses films depuis de nombreuses années. Il tient fermement à sa liberté et se relèvera toujours. Il est visionnaire et profondément passionné, son art s’inscrit dans la création pure. Cette nouvelle polémique m’attriste pour lui, car je sais qui il est : un homme adorable et entier qui fait ses films tranquillement dans son coin. C’est tellement difficile de faire un long-métrage dans l’industrie cinématographique… Je ne comprends pas cette polémique, car je le répète, Mektoub My Love : Intermezzo a été bien accueilli à Cannes.

Vous avez joué dans son film multicésarisé La Graine et le Mulet, qui vous a révélée en 2008 et vous a valu le César du meilleur espoir féminin. Diriez-vous qu’Abdellatif Kéchiche a été déterminant dans votre parcours ?

Oui. Je lui dois beaucoup. Il m’a donné ma chance et m’a toujours encouragée lorsque je lui montrais mes idées de scénarios, il me disait : « Continue, crois en toi, même si tu n’as pas fait d’école de cinéma ! » Je souhaitais qu’il voie mon film, mais il était très occupé avec la préparation et surtout le montage de Mektoub My Love : Intermezzo. Il a vu des extraits et s’est montré très fier, ça m’a beaucoup touchée.

Comment vous évadez-vous ?

JACOVIDES-MOREAU/BESTIMAGE. Avec Abdellatif Kéchiche, pour Mektoub My Love : Intermezzo, au dernier Festival de Cannes.

Je fais du sport, car j’aime sentir l’effort physique que j’impose à mon corps, c’est très important pour ma force mentale. Je me lève à 6 heures du matin et je vais à la salle de sport. J’aime aussi la nature et les arbres, qui selon moi sont vivants et nous apportent énormément. Dès que j’ai un peu de temps, je vais à Marseille, afin de passer du temps auprès de ma famille. Il y a un endroit emblématique que j’affectionne particulièrement : la basilique Notre-Dame de la Garde, où tout le monde va prier. J’y vois des Arabes, des Noirs, des femmes voilées, des non voilées. Chacun est là pour soulager son coeur.

Que retenez-vous d’autre de Marseille, votre ville de coeur ?

Mon enfance et mon adolescence, très heureuses dans les quartiers nord. J’y ai grandi entourée de mes frères et soeurs et d’amis que j’ai encore aujourd’hui, même si pour eux, la vie n’est pas toujours facile. Ce sont des liens de fraternité, de solidarité très forts. Tout le monde se connaissait. Le fait de vous en parler me rappelle ma volonté d’aider ma mère, qui travaillait dur, de me fixer très tôt des objectifs afin de la soulager. J’ai conscience des tentations qu’il y avait dans cette zone laissée à l’abandon par les pouvoirs publics, la police n’entre même plus dans certains endroits. Je vais aller y réaliser mon deuxième film, Bonne mère, car j’ai ce devoir. Je dois le faire pour ma communauté et les gens qui y vivent dans une vraie précarité – le 15 du mois, le frigo est vide. Mais heureusement, il y règne de la joie, de la chaleur humaine, la force de la vie reprend le dessus envers et contre tout. J’ai envie de faire tourner les jeunes et de leur donner leur chance à mon tour. J’ai déjà repéré une jeune femme à un arrêt de bus. Les visages maghrébins et africains racontent instantanément une histoire forte. Cela me renvoie à mes liens forts avec le Maroc, l’Algérie.

Si vous pouviez vivre ailleurs, ce serait dans quel pays ?

La Tunisie. J’y aime la douceur, le rythme, la tranquillité. J’y retrouve la sérénité et l’apaisement dont j’ai besoin pour me ressourcer. Je vais à la plage et je mange de délicieuses glaces, je fais les puces et je fréquente le quartier qui s’appelle La Hafsia, à Tunis [rires]. La lumière me fait également du bien. C’est surtout le pays de mon père, et une réelle façon de m’en rapprocher. Je suis très heureuse d’y présenter Tu mérites un amour aux prochaines Journées cinématographiques de Carthage en octobre prochain, dans la capitale, dans laquelle j’ai souvent été amenée à tourner avec Raja Amari, Mehdi Ben Attia. Ensuite, il sortira en Égypte, ainsi que dans d’autres pays du Maghreb et d’Europe. 

Tu mérites un amour, d’Hafsia Herzi, sera en salles en France le 11 septembre prochain.