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Hémisphère Sud : une nouvelle puissance

Par zlimam - Publié en février 2011
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Bienvenue à Rio, où les plages sont magnifiques, où les filles sont bien moins parfaites qu'on ne vous le dit, où la drogue, la prostitution, la violence et Dieu sont omniprésents, où les favelas grimpent sur les collines et où les quartiers riches s'éloignent, loin, loin des « centres-villes » aux noms évocateurs : Copacabana, Ipanema, Leblon... Bienvenue au Brésil, cinquième pays du monde par sa démographie, dixième puissance économique de la planète, mais où le revenu par habitant reste à moins de 4.000 dollars par an. Bienvenue dans un pays riche et très injuste, inégalitaire, où 10% de la population s'accapare la moitié de la richesse. Bienvenue dans un pays coupé en trois avec, au Sud, un pays blanc et riche et, au nord, un pays black, créole, métisse et pauvre. Et au cœur, l'Amazonie, une grande forêt, un immense Far West. Bienvenue aussi dans la première puissance agricole, la plus grande réserve d'eau naturelle au monde. Bienvenue dans un très grand pays minier et pétrolier, dans une nation vibrante de volonté. Bienvenue aussi dans le monde des ambitions contrariées par la crise. Pour sortir définitivement du piège de la dette, pour pouvoir investir dans le développement social et dans les infrastructures, pour devenir un des géants de demain, le Brésil a besoin d'exporter, il a besoin d'une économie mondiale robuste... Et de se protéger. Vingt ans après la chute de la dictature militaire, le Brésil a décidé de s'armer pour « verrouiller » un immense territoire, défendre ses ressources et s'imposer comme une puissance militaire régionale.
On croise le président Lula da Silva. L'homme a de l'humour, de la simplicité, de la franchise. Son histoire est tout de même extraordinaire, un quasi gamin de la rue, un archi-pauvre devenu président. Lula, c'est un boss, un vrai, le patron de cette fragile mais, ô combien, séduisante renaissance brésilienne.

Côte d'Ivoire : l'heure du choix !
Ce fut mon premier séjour en Afrique subsaharienne. À l'époque d'un « Vieux » encore tout puissant, à l'époque de la grandeur apparente, de la patinoire, des immenses villas, de l'insouciance et d'un Plateau tout en lumières. Abidjan, c'était « la » ville. Notre ville, notre quartier général. La preuve que la modernité pouvait être africaine. Et puis le Vieux est mort, sans vraiment régler ses affaires. L'héritage, subitement, s'est avéré très, très lourd. Et la Côte d'Ivoire s'est révélée à elle-même. Fragile, mal gérée, et profondément désunie. Sous nos yeux, le pays s'est défait : succession impossible, divisions internes, gabegie, mauvaise gestion, dettes, « ivoirité », coup d'état, guerre civile... Aujourd'hui, après près de dix ans  de paralysie, de négociations, de conciliabules, après dix ans de Kléber, de Marcoussis, de Ouagadougou, après dix ans de promesses non tenues par les uns ou par les autres, après dix ans de pillages divers, au Nord comme au Sud, après dix ans d'une tragédie aux multiples victimes innocentes, il est temps, historiquement temps, de tourner la page. Beaucoup, au pouvoir, proches du pouvoir, dans les oppositions, au Nord comme au Sud, se contenteraient probablement de cette situation entre parenthèses : la Côte d'Ivoire est suffisamment riche... Le réveil et le peuple peuvent attendre.
Le réveil ne peut plus attendre. Pour la Côte d'Ivoire, c'est l'heure du choix. Le seul chemin possible est celui de l'élection présidentielle. La communauté internationale devra faire pression pour que le scrutin se tienne et qu'il soit supervisé. Que tous ceux qui veulent se présenter se présentent, que les Ivoiriens jugent ces hommes et ces femmes qui les gouvernent depuis une décade. On me dit que les grands candidats sont tous persuadés de gagner. Alors, laissons le peuple voter. Et lorsque ce pays aura un président légitime, il pourra alors se remettre au très long travail de sa propre reconstruction. Le plus dur ne fera alors que commencer...

Président : les mystères de Nicolas
L'avantage de voyager parfois avec lui, c'est que l'on peut le côtoyer d'un peu plus près. Le voir en mouvement, surprendre une attitude. Avec Nicolas Sarkozy, président de la République française, le mot qui vient à l'esprit est « énergie ». Il est infatigable. Il est dopé par l'action, se nourrit de l'action. Il a besoin de bouger, d'aller au front, de se « farcir » les obstacles. Il a un petit côté brut de décoffrage, n'hésite pas a rembarrer x ou y, un collaborateur ou un journaliste (« Faut pas m'en vouloir, dira-t-il à l'un d'entre eux à Rio, c'est purement professionnel... »). Il y a clairement un côté bagarreur, un peu voyou, agressif, pas du tout style Neuilly-Auteuil-Passy. Un petit côté imprévisible, impulsif. Le langage n'est pas toujours orthodoxe. Et clairement, la stature est assez peu présidentielle. On sent plutôt le chief executive officer, ou le général d'armée. On sent l'animal politique qui s'est construit dans l'adversité, dans l'ambition, dans l'envie de vaincre. On sent aussi un homme sans beaucoup d'états d'âme, qui a besoin de prouver sa valeur et sa force. Le quant-à-soi empesé de l'Élysée a volé en éclats. Le président, c'est le pouvoir, le président, c'est le parti, le président, c'est l'architecte, le constructeur et le pompier. Son activisme fait bouger les lignes. Parfois, la machine s'emballe, le chef dégaine un peu vite, il flingue ou décrète, sans vraiment mesurer l'ampleur du tir ou de ses propos. Parfois aussi, on aimerait une image plus affirmée du plan d'ensemble, on aimerait comprendre ce qu'est le sarkozysme. On aimerait mieux saisir la finalité du quinquennat. Face aux défis du moment, face à la crise, face aux bouleversements du monde, cet homme d'action peine à fixer un cap.

XXIe siècle : la crise... Et après ?
Les choses ont été vraiment brutales. L'été dernier, tout n'allait pas trop mal ou presque. En octobre, nous sommes passés à quelques centimètres de la fin du capitalisme. Depuis, les Bourses se sont effondrées et l'économie globale est entrée en récession. Les rêves de grandeur se sont fracassés et, comme l'a dit le grand financier Warren Buffet : « C’est quand la vague se retire que l’on voit ceux qui se baignent à poil. Visiblement, il y avait beaucoup de baigneurs à poil…» Les États ont dû injecter des centaines de milliards pour sauver des banques à bout de souffle. Pour résumer, l'humanité est surendettée, et techniquement en faillite. Pour ceux qui cherchent à comprendre le pourquoi et le comment de cette Berezina, je conseille vivement le livre de Jacques Attali, La Crise, et après ? J'essaye de résumer sa pensée : c'est la première grande crise de la mondialisation. Elle est due à l'incapacité de l'Amérique à payer décemment ses classes moyennes et industrieuses. Les revenus ont basculé vers le capital et l'on a poussé ces classes moyennes à s'endetter pour consommer et, surtout, pour acheter leur logement. L'ouverture des vannes du crédit a dopé la consommation, l'immobilier, a fait monter la valeur des prix et des patrimoines. Elle a même permis de fourguer aux plus pauvres des crédits à risques élevés et à taux variables (les fameux subprimes). Des financiers et des banquiers, des initiés en quelque sorte, ont pris le contrôle de la machine, ont « titrisé » tous ces prêts à hauts risques, les ont « packagés », revendus, infectant tout le circuit bancaire. Le système financier, avec des rendements mirobolants (et un certain nombre d'arnaques spectaculaires), remplace l'économie réelle. Un jour, on découvre que les bilans sont plombés par de drôles de dettes. La panique s'installe. Chacun veut se débarrasser de ses cochonneries. On découvre l'ampleur des crédits morts, des titrisations « toxiques ». Plus personne ne prête à personne. Le cash s'est évaporé. Et fin septembre-début octobre, c'est le krach, la quasi-paralysie du système. La récession est là. Et la grande crise ne fait que commencer... Les régimes politiques ont été incapables de maîtriser le monstre des marchés. La globalisation n'a pas de gouvernement. Et quelque chose de fondamental, de profond dans notre mode de vie, est en train de changer...
* La Crise, et après ? Jacques Attali. Fayard, 201 p., 14 euros.

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 281 (février 2009) d'Afrique magazine.