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Il y a huit ans, un massacre toujours impuni

Par Coralie Pierret - Publié en juin 2017
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28 septembre 2009. Des militaires ouvrent le feu sur une foule de manifestants dans un stade de la capitale. La justice guinéenne piétine.
 
Située sur un des grands axes du centre-ville, la prison de Coronthie abrite la grande majorité de la population carcérale de Conakry. Quelques gardes veillent sur les entrées et sorties. Il est aisé de pénétrer dans l’enceinte, mais beaucoup plus difficile d’accéder à la cellule d’Aboubacar Sidiki Diakité, alias Toumba, le détenu le plus surveillé de Guinée. « Une sécurité spéciale lui est assignée », assure l’un de ses avocats. Du Sénégal, il est revenu menottes aux poignets le 12 mars 2017, après sept ans de cavale. Depuis sa tentative d’assassinat à l’encontre de son ancien patron Moussa Dadis Camara, le chef de la junte militaire à l’époque, Toumba était recherché par la police guinéenne principalement pour son implication présumée dans le massacre du 28 septembre 2009.
 
Ce jour-là, date anniversaire du référendum sur la Constitution, au moins un millier de personnes se regroupent dans un stade de la capitale pour protester contre une éventuelle candidature du chef des putschistes à la présidentielle. « Dadis, dehors ! » Les premiers coups de feu retentissent. « Ils ont fait appel aux bérets rouges, la garde présidentielle. Ils ont commencé à tirer n’importe comment. Ils avaient même des couteaux baïonnettes pour embrocher les gens, violer les femmes en pleine journée, » témoigne un rescapé quelques jours après le drame. Selon des manifestants, Toumba, alors aide de camp de Dadis, était sur les lieux « pour tuer », disent certains. « Pour sauver les leaders politiques de l’opposition », rétorquent d’autres.
 
Presque huit ans plus tard, sur quatorze inculpés, cinq présumés responsables sont en détention. Toumba est le seul gros poisson à être derrière les barreaux, les autres, poursuivis par la justice, restent libres. Le capitaine Moussa Dadis Camara, inculpé en juillet 2015, selon la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), pour avoir ordonné l’envoi de ses troupes d’élite et de ses milices, est en exil à Ouagadougou. Il n’est ni en résidence surveillée, ni sous contrôle judiciaire et aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre lui. Enfin, il y a des anciens responsables qui n’ont pas été entendus par la justice. « Je ne répondrai que devant la Cour pénale internationale », affirmait le général Sékouba Konaté sur un site d’information guinéen en avril dernier. Une convocation, en qualité de témoin, de l’ancien ministre de la Défense est pourtant réclamée depuis plusieurs années par l’association des victimes Avipa.
 
Depuis 2009, certains rescapés sont retournés au « stade du 28-Septembre ».
 
D’autres n’ont jamais osé. Aujourd’hui, il n’y reste plus aucune trace des événements : les murs ont été repeints et les gradins rénovés. Les autorités sont-elles tentées d’enterrer le dossier ? « Non », répond avec fermeté Gassama Diaby, le ministre de la Réconciliation nationale.
 
« Pour l’honneur de notre pays, pour l’honneur des victimes, mais aussi pour les droits humains. » Fin mars, le garde des Sceaux, Cheikh Sakho, rappelait encore que « le procès s’ouvrira avant fin 2017 ». Une promesse que les associations de défense des droits humains, qui s’essoufflent à exiger justice, mettent en doute. Il faudra d’abord clôturer l’enquête et le dossier d’instruction, puis répondre aux questions sécuritaires. « Même si son retour effraie les autorités, car il y a un risque de déstabilisation politique, il est difficile d’imaginer un procès sans la présence du chef de la junte », indique Mamadou Malal Diallo, vice-président de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH). En attendant, D’ici là, l’unique détenu du dossier du 28 septembre 2009 a perdu ses avocats : afin de protester contre « le manque de volonté politique », ceux-ci ont décidé de suspendre la défense de leur client.