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Rencontre

Imane Ayissi : Je veux ma place si je la mérite

Par Astrid Krivian - Publié en avril 2020
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Le styliste camerounais fait désormais partie du cercle très fermé de la haute couture parisienne. Tout en puisant dans le patrimoine textile et l’artisanat du continent. Entretien avec un autodidacte sans limites. 
 
Un événement qui fera date dans l’histoire de la mode. Pour la première fois, un couturier originaire d’Afrique subsaharienne défile au sein de la cour très fermée de la haute couture parisienne. En tant que membre invité, le styliste camerounais Imane Ayissi a présenté en janvier dernier sa nouvelle collection, Akouma (« richesse » en langue ewondo, son ethnie d’origine), lors de la Fashion Week parisienne. Depuis, celui qui intéresse désormais la presse internationale court les rendez-vous. Il jubile, savoure son succès. Une consécration qu’il dédie avant tout à l’Afrique, fier de voir son patrimoine textile enfin reconnu. Le designer valorise les savoir-faire traditionnels du continent, trésors méconnus souvent oubliés, et les interprète dans une version moderne, audacieuse. S’inspirant de techniques ancestrales, il emploie de somptueux tissus (kenté), comme des matières brutes (obom), et les marie à des étoffes classiques (soie, etc.). Sa griffe incarne un chic métissé, sublimant les femmes du monde, loin de l’exotisme et des motifs folkloriques. Silhouette élancée, cet ancien mannequin ayant défilé pour les plus prestigieuses maisons est vêtu de noir comme à son habitude, « couleur indémodable, qui ne trahit pas. Le temps, la lumière s’y réfugient », assure-t-il. À Paris, où il vit depuis trente ans, il nous reçoit dans son atelier et passe en revue quelques-unes de ses réalisations : bombers en raphia, top orange teint selon le procédé tie and dry (« Ça irait à merveille à Tina Turner ! »), jupe longue tissée de lanières en cuir (« Je vois bien Beyoncé la porter… »). En attendant, les actrices Angela Bassett, Zendaya et Aïssa Maïga ainsi que l’athlète Marie-José Pérec ont sollicité ses talents. Mais sa première muse était sa maman danseuse, la Miss Cameroun 1960, dont il coupait et recousait les robes. Né à Yaoundé en 1968, il fait ses armes chez le couturier Blaz Design, puis poursuit en autodidacte. Également danseur dans la troupe familiale, il se produit au sein du ballet national, puis en France, notamment pour Patrick Dupond et Yannick Noah. Amateur de Madeleine Vionnet, de Christian Dior ou du Malien Chris Seydou, ce touche-à-tout, auteur de deux livres de contes, a présenté sa première collection en 1993, en confectionnant de ses seules mains plus de 120 robes.
 
AM : Vous étiez invité à présenter votre collection dans le calendrier de la Fédération française de la haute couture et de la mode, à Paris, en janvier dernier. Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sélection ?
Imane Ayissi : D’abord, je n’y ai pas cru : ils avaient dû se tromper ! Puis, j’ai versé des larmes de joie. C’est une grande reconnaissance envers mon travail, pour lequel je me suis tant battu et j’ai sacrifié ma vie, depuis presque trente ans. Je ne trouve pas les mots ! Même si je meurs demain, mon nom restera dans l’histoire de la mode et servira à d’autres. Car je parle au nom de tous les Africains. Une porte s’ouvre désormais pour eux, je suis très fier de montrer les tissus authentiques et les différents savoir-faire des artisans du continent. Il leur manque une vitrine internationale, il est temps que le monde les découvre et les encourage. Quand j’ai appris mon invitation, j’avais un mois pour monter ma collection, trouver les moyens, les idées. Je ne dormais pas la nuit, j’ai fondu en deux jours [rires] ! Un travail de titan. 
 
Vous puisez dans le patrimoine des textiles traditionnels africains pour réaliser vos ouvrages… 
C’est très dommage qu’il soit méconnu. L’Afrique m’est très chère, et depuis longtemps, je ressentais un grand vide. Du Maghreb au Togo, en passant par le Mali, ces pays ont tant de richesses qui méritent d’être connues. Les designers doivent prendre le temps de faire des recherches, de retourner à l’époque ancienne, de découvrir des pratiques et textiles oubliés, parfois en voie de disparition. On ne peut pas avancer si on ne connaît pas son histoire. Et je n’aime pas cette désignation « mode africaine ». C’est une étiquette. Ce n’est pas renier son identité, mais quand un vêtement est bien coupé, on reconnaît la signature, le style du créateur. On n’accole pas l’adjectif « français » après Christian Dior ou Chanel ! C’est de la mode, point, qui peut être portée par une femme internationale. 
 
Vous travaillez des matières brutes, non tissées, pour un résultat final très sophistiqué. Comme l’obom, obtenu à partir de l’écorce d’un arbre du Cameroun… 
Il faut dialoguer avec ces matériaux rustiques. Ma curiosité me pousse à transformer certaines matières, à faire des essais, changer les couleurs, observer les réactions… Je manie l’obom pour l’assouplir, lui donner une certaine noblesse. L’effet est très surprenant, comme le buste orné de fleurs sur cette robe du soir : on croirait de la dentelle. Je collabore avec une association de tisserands au Burkina pour l’étoffe faso dan fani, je fais les couleurs et choisis le grammage. L’idée est de créer une pièce haute gamme, moderne, jamais vue auparavant, et qui ne soit pas juste jolie sur une Africaine. Quant au kenté, tissu royal du Ghana et de Côte d’Ivoire [originaire de l’ethnie akan, ndlr], je le confectionne avec des artisans locaux. C’est un très long processus car ils ont de grandes difficultés pour trouver du coton de qualité [celui cultivé en Afrique est majoritairement exporté, notamment en Asie, pour être cardé et filé. Il est ensuite revendu sur le continent à prix élevé, ndlr]. À chaque collection, j’essaie d’utiliser des fils bio. C’est plus cher, mais c’est une façon de militer en faveur de l’environnement. 
 
Le kenté est souvent tissé de petites bandes, cousues, à l’image de ce manteau dans votre nouvelle collection… 
À l’origine, on drape ce textile le plus souvent. Il sert aussi pour les cadeaux somptueux. Je voulais respecter son prestige. Tout est monté, relié, entrelacé à la main ; les poches suivent la lignée des bandes, de l’encolure, des emmanchures. J’ai imaginé des manteaux très modernes, doublés de soie, que l’on peut porter avec un pantalon ou une jupe. J’adore cette touche très Jackie Kennedy ! J’ai un lien affectif avec les tissus, et j’ai parfois du mal à les couper s’ils sont très beaux ! Pour moi, ils ont une âme. Il faut les aider à prendre forme. Avec le raphia du Cameroun, j’ai conçu des vestes bombers. De loin, on aurait dit des mèches de cheveux, un petit clin d’œil à la chevelure de la styliste Sonia Rykiel. On taille aussi des lanières de cuir pour des ceintures en macramé. Je me suis inspiré d’un tissage de l’ethnie des Beti, au Cameroun. Autrefois, ils coupaient les branches des palmiers, les tressaient, pour former une sorte de sac et transporter ainsi la volaille.
 
Recourir à ces artisanats séculaires est aussi pour vous une façon de mettre l’Afrique sur le devant de la scène, affirmer qu’elle est debout…
Oui. J’emploie volontairement ces matières qui parlent, interpellent. Eh oh ! On nous a oubliés, mais l’Afrique est là depuis la nuit des temps [rires] ! Pendant des décennies, j’étais parfois le seul Africain, ou presque, à présenter mes collections. Où étaient les autres ? Mon continent était absent. Au lieu de s’attarder à dénoncer le racisme existant dans tous les domaines, il faut se greffer à la Fashion Week de Paris, par exemple. Si l’on me balance des mots désagréables, je ne dois pas reculer pour autant. Je me fiche un peu de ce que les gens pensent de moi. Je ne demande pas à être aimé, mais compris. Je souhaite que l’on me donne ma place, si je la mérite. On a dit tant de choses à notre sujet, à un moment donné, il faut savoir devenir imperméable.
 
Vous montrez que l’esthétique de la mode en Afrique ne se réduit pas au wax, célèbre textile imprimé importé par les colons au XIXe siècle. Vous excluez son usage et le revendiquez.
Je ne fais pas de procès au wax, les gens sont libres d’acheter et de s’habiller comme ils l’entendent. Mettons les points sur les i et arrêtons de brader et de renier notre patrimoine. Beaucoup de pays africains ne parlent de l’histoire qu’à partir de l’arrivée des Européens. Mais avant, comment vivaient les populations, comment s’habillaient-elles ? Reconnaissons l’identité de nos tissus séculaires, parfois portés disparus, redonnons-leur leur noblesse, leur âme. Et cette démarche est valable dans tous les domaines : art, littérature… Il faut connaître notre histoire, ne pas oublier nos vraies richesses. Sinon, c’est catastrophique. Nous devons apprendre à respecter qui nous sommes, à glorifier et célébrer notre passé, à protéger nos savoir-faire précieux. Et aussi à être ensemble, Afrique « noire » et « blanche ».
 
Certains Africains disent que vous faites des vêtements pour les Blancs… 
C’est parce qu’ils ne voient pas ce fameux imprimé très voyant [le wax, ndlr]. Mais est-ce que les habits africains doivent absolument porter des motifs très représentatifs d’Afrique, comme les masques ? Les pièces de Dior ou d’Yves Saint Laurent n’étaient pas ornées de la tour Eiffel !
 
Quelles sont vos étapes de création ?
À partir de l’ADN de la maison, le style, les formes générales, j’ajoute des nouvelles idées pour la collection à venir. On réalise les croquis, puis on cherche les tissus. Et parfois, c’est le contraire. Vient ensuite le patronage, le moulage. On fait des essais avec les mannequins pour observer les tombés, les volumes, les longueurs. Je ne délègue pas toutes les tâches, je tiens à faire moi-même certaines finitions. Je dessine, je coupe, j’adore ça.
 
Pourquoi avoir nommé votre dernière collection Akouma, qui signifie « richesse » en langue ewondo, votre ethnie d’origine ?
Je questionne cette notion de richesse. J’interpelle. Les personnes sont libres de faire leur propre analyse. La richesse, c’est déjà soi-même, et l’autre. Nous avons, certes, besoin du matériel pour vivre, mais lui accorder trop d’importance devient problématique. On croit posséder toutes ces choses, or on quitte ce monde dans le dénuement. 
 
Où puisez-vous votre inspiration ? 
Tout dépend. Cela peut partir d’un objet d’art, d’une histoire personnelle, de notre quotidien, du passé ancestral de l’Afrique ou de l’Europe. Dès lors, je fonctionne comme pour l’écriture d’un conte. J’imagine des histoires. La barre est haute, il faut toujours surprendre, amener des choses nouvelles. J’affectionne les thèmes sur l’Afrique car ils me permettent de la faire découvrir, au-delà des étiquettes qu’on lui a collées. J’avais, par exemple, conçu une collection autour du vaudou, l’un de ses rites religieux les plus populaires. Si le continent est le berceau de l’humanité, il y a forcément eu un Dieu noir. Où sont passés les dieux africains ? Sont-ils partis en voyage, sont-ils endormis ou morts ? Peut-être qu’ils résident dans la culture ancienne, les grigris, les croyances… Mes robes étaient confectionnées comme des talismans, tissées de poupées vaudous, chargées de symboles forts, comme l’amour qui scelle, retient, la séparation du bien et du mal… Je les ai présentées à AltaRoma, la semaine italienne de la haute couture à Rome, dans un ancien couvent près du Vatican, siège de l’Église catholique. Quelle audace de ma part ! C’était un sacré challenge, je craignais les réactions. J’avais écrit une note d’intention distribuée à l’assemblée, demeurée silencieuse tout au long du défilé. Et j’ai finalement eu droit à une standing-ovation ! Cela montre bien que le monde évolue et que le dialogue est possible. 
 
Comment avez-vous appris votre métier ? 
Je suis un autodidacte. J’ai appris à dessiner très tôt. Je coupais, décousais et remontais les robes de maman, sans lui demander. Comme le résultat lui plaisait, elle me les confiait pour que je leur donne une seconde vie. Je le faisais aussi à ma tante, à ma sœur et à d’autres chanteuses camerounaises. Puis, j’ai intégré la maison de haute couture du styliste Blaz Design, formé en Europe et revenu au pays pour y lancer sa marque. Je des sinais des collections, organisais ses défilés et je m’occupais de quelques personnalités. J’ai aussi fait du mannequinat, que j’ai exercé professionnellement en arrivant en France. Très curieux, j’observais les coulisses du métier lors des essayages. Et j’ai très vite montré mes créations. 
 
Vous avez défilé pour Dior, Yves Saint Laurent et Givenchy, entre autres. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ? 
C’était difficile au début : on arrive d’Afrique et on ne sait pas si l’on correspond. On se pointe aux castings et on nous dit : « On ne veut pas de Noirs ! » Aujourd’hui, j’en ris… Beaucoup pensent que c’est un métier facile, mais tout le monde ne peut pas l’exercer. Ce n’est pas une question d’être très beau ou très belle. Non ! Il faut avoir une « gueule », parfois même étrange, avoir « du chien », de bonnes mensurations, la niaque, comprendre le fonctionnement de la mode. Je finançais mes premiers books en faisant des ménages. Il ne faut jamais se décourager.
Défilé à l’hôtel La Marois, à Paris, pour la collection printemps-été 2020. FABRICE MALARD
 
Parlez-nous de votre mère, votre première muse, reine de beauté du Cameroun en 1960… 
Maman était incroyable. Hôtesse de l’air sur Air Afrique puis Air Cameroun, elle ramenait de ses voyages de très jolies robes. Elle portait des vêtements simples, mais comme elle avait un port de reine, elle attirait tous les regards. Perchée sur des escarpins Xavier Danaud ou Charles Jourdan, elle était d’une élégance inouïe avec sa chevelure ramassée en chignon. C’est toujours moi qu’elle appelait pour fermer le dos de sa robe. Ça m’a beaucoup marqué. De là vient mon goût pour les dos aux décolletés vertigineux dans mes collections ! C’était incroyable le week-end, à l’aéroport de Yaoundé. Les gens affluaient pour espérer l’apercevoir traverser le hall, faire les annonces, ou ne serait-ce qu’entendre sa voix. J’avais du mal à réaliser qu’elle était ma mère, je me posais souvent des questions ! Elle semblait irréelle, une vraie fée. Elle m’a beaucoup inspiré, tout comme ses amies, ses cousines, sa grande sœur. En Afrique, les femmes se réunissent une fois par mois pour les tontines [système d’épargne collectif, ndlr]. Chez ma mère, après la cotisation, elles dansaient pendant des heures. Le quartier s’agglutinait pour voir ce spectacle. Elles étaient belles, endimanchées et se déhanchant sur leurs hauts talons…
 
Quant à votre père, il était boxeur… 
Il a exercé en France dans les années 1950, puis est rentré travailler en tant qu’entraîneur au Cameroun. Il s’est battu pour créer le Camp de l’unité à Yaoundé, un club pour tous les athlètes de boxe anglaise qui existe toujours. Ce sport était une tradition familiale : garçon ou fille, il fallait s’entraîner ! Chez nous, il y avait deux groupes : les danseurs, de par ma mère, héritage de mon grand-père, et les boxeurs, du côté de mon père. J’ai pratiqué en amateur. On en prend plein la tronche ! Quand tu as l’adversaire en face, et que derrière toi, ton père hurle, au milieu de ces deux forces, c’est assez terrible [rires] ! C’était une bonne école toutefois. 
 
Vous avez aussi été danseur professionnel, notamment au sein du ballet de Patrick Dupond… 
Et mon demi-frère, Jean-Marie Didière, fut le premier danseur noir à intégrer l’Opéra de Paris. Au Cameroun, j’étais dans la troupe familiale, avec ma sœur Chantal, chanteuse. Nous étions dirigés par mon frère, le chorégraphe Ayissi le Duc. Nous nous sommes aussi produits au sein du ballet national. En France, j’ai participé à la tournée Saga Africa, de Yannick Noah. Ensuite, j’ai tourné dans de nombreux clips, comme ceux de Baba Maal, Kassav’, Sting, et j’ai été doublure du chanteur Seal pour « Les Mots », son duo avec Mylène Farmer. Car c’était l’époque des attentats aux États-Unis, et la plupart des artistes ne voulaient pas voyager. 
 
En 1993, pour votre première collection, vous faites défiler des mannequins noirs, en réponse à leur absence au sein des autres maisons de couture, qui emploient alors en majorité des modèles à la peau blanche… 
N’oublions pas que la mode est un dictateur, elle impose. Ces maisons ont ainsi fait leur politique d’image. Mais je ne le prends pas pour du racisme. Rappelons qu’Yves Saint Laurent ne faisait pas une cabine sans un mannequin noir, ni Chanel, Dior, Valentino, Paco Rabanne… Au lieu d’attendre des autres  et de leur chercher la petite bête, créons nous-mêmes notre propre luxe. Travaillons, formons nos gens… Ainsi, le secteur de la mode en Afrique évoluera. Soyons forts, soutenons-nous pour nous imposer ensuite au monde. Achetons les pièces de nos créateurs, ça les aidera à s’implanter, à se développer. 
Parmi les souvenirs fixés au mur de son atelier, deux photos de sa première muse, sa mère (en tenue imprimée sur celle de gauche et en Miss Cameroun sur celle de droite). AMANDA ROUGIER
 
Comment le milieu de la mode peut-il s’organiser sur le continent ? 
Redonnons la couronne au roi, la mode est une institution française. Comprenons comment elle fonctionne pour nous en inspirer ! Nous devons créer des syndicats regroupant tous les acteurs du métier, ainsi nous formerons un maillon fort pour nous faire entendre, démarcher des soutiens auprès du gouvernement. Il faut instaurer des saisons de la mode, la petite et la grande période des pluies, de la sécheresse, etc. Et établir, en fonction, l’usage des textiles adaptés. En Afrique, des designers possèdent leur propre agence de presse, organisent leurs événements, leurs Fashions Weeks… C’est un peu la confusion. Il faudrait décider ensemble des dates précises de rendez-vous (salons, semaines de la mode…), qui regrouperaient les professionnels en prêt-à-porter et en haute couture. Les maisons pourraient ainsi montrer leur collection devant la presse, les acheteurs et les grands clients. 
 
Quelles sont les structures pour se former et apprendre ces métiers au Cameroun ? 
Il existe des écoles de mode, mais hélas, leur qualité ne se mesure pas à celle des établissements européens. Il y a encore beaucoup à faire à ce niveau. Je me suis impliqué, à titre bénévole, au sein du Centre des créateurs de mode du Cameroun, à Yaoundé, qui a été mis en place par Yves Eya’a. C’est un travail ponctuel de transmission pour accompagner les jeunes, à chaque étape : les aider à créer une collection, aborder une clientèle, finir les vêtements… On se bat, on peine à obtenir des aides publiques nationales. Ce sont plutôt les ambassades étrangères qui nous soutiennent. Au sein de mon atelier, à Paris, j’accueille un stagiaire durant quelques jours, pas plus. Car ce n’est pas la fonction d’un designer que de former.
 
Selon vous, une nouvelle page de l’histoire de la mode est-elle en train de s’écrire ?
Oui, et les professionnels de cette filière le reconnaissent aussi. Depuis longtemps, la mode s’inspire de l’Afrique, parfois sans les Africains. Par ailleurs, ces derniers achètent également des produits luxueux sur d’autres continents. Or, ils doivent consommer local ! Cela nous aidera à rebondir, à permettre à nos stylistes de faire grandir leur marque, à imposer le respect. Il faut créer le luxe africain, établir des lobbys forts, plutôt que de laisser les autres dénicher nos talents. On achète des produits en provenance d’Europe, car depuis très longtemps, on croit qu’ils sont forcément meilleurs. Mais l’Eldorado se trouve aussi sur place. Il suffit de former et d’informer la jeune génération, de lui donner confiance, de lui faire une place. C’est ainsi que se fera l’Afrique de demain.
 
Le couturier a un lien affectif très fort avec les tissus authentiques et traditionnels. AMANDA ROUGIER
Quelles femmes vous inspirent ?
Dans les années 1980, quand les femmes commencent à prendre du pouvoir dans la société, elles portent des vêtements avec des épaules très carrées, qui symbolisent cette autorité. Dans les temps anciens, certaines ont dirigé des empires : Catherine de Médicis, la Reine de Saba… Alors pourquoi, en 2020, on fait comme si cela n’avait pas existé ? Je les vois ainsi : des femmes de pouvoir, modernes, qui ont compris l’organisation du monde, savent ce qu’elles veulent, s’assument telles qu’elles sont. Elles travaillent, voyagent, prennent des décisions, ont les pieds sur terre, gèrent leur famille, défendent des causes, s’amusent, parlent politique, sortent danser…
 
Quelles personnalités aimeriez-vous habiller ?
Je suis ouvert à toutes les personnalités : politiques, artistes, femmes de pouvoir, comédiennes… J’étais très content de voir Fanny Ardant assister à mon défilé. On peut commencer par la première dame de France, Madame Macron, même si Louis Vuitton s’en charge déjà. Oui, pourquoi pas Brigitte Macron ! .