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Édito

Impossible sans nous

Par Zyad Limam - Publié en novembre 2022
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Nous voilà tous au bord de la mer Rouge, à Charm el-Cheikh, pour la 27e Conférence des parties sur les changements climatiques. La 27e COP, déjà… (La première a eu lieu à Berlin en 1995.) Malgré les catastrophes qui se multiplient, malgré les incendies, les inondations, les sécheresses, les étés en hiver, la confusion des saisons humides et des saisons sèches, malgré les rapports qui s’empilent, nous restons comme paralysés, comme le lapin pris par les phares d’une voiture qui fonce à pleine vitesse sur lui.

Les profonds dérèglements de notre écosphère, le réchauffement global de notre planète entamé avec l’ère industrielle, c’est pourtant le plus grand défi de l’humanité. Une question de survie collective. Une menace majeure à un horizon quantifiable, pas si lointain, la fin du siècle disons. Une infime seconde, au regard de l’histoire de la Terre, qui se compte en milliards d’années. Le chaos pour nos enfants et nos petits-enfants…

L’objectif fixé au bout de la nuit de la COP21 à Paris, en 2015, une maîtrise du réchauffement à moins de 1,5 °C d’ici la fin du siècle, est déjà largement dépassé. On évoque désormais 2 °C, probablement 2,5 °C, peut-être pire encore. Les pays riches, la Chine, ne tiennent pas leurs engagements réitérés. Ils consomment et produisent toujours autant d’énergie carbonée. Tout en demandant aux pays en développement de ne pas exploiter leurs propres ressources (gaz, pétrole…). Et d’enclencher des efforts inimaginables d’ajustements en matière de coûts. Une « approche » particulièrement injuste au regard de l’histoire et face à l’urgence de sortir encore des milliards d’êtres humains de la précarité.

Il n’y aura pas de transition climatique fondamentale sans le Sud, sans « les Suds ». Sans des transferts majeurs, quantifiables, réels (pas que des promesses…) de technologie et de financement, sans une prise de conscience « des Nords » qu’ils ne pourront pas s’en sortir seuls. Sur les 8 milliards d’habitants de notre planète, plus des deux tiers vivent dans les mondes émergents. Ils aspirent à plus de richesse, à plus de sécurité économique, de justice climatique. On ne pourra pas leur dire : restez dans votre pauvreté pendant que d’autres, repus, refusent de faire leur part. Il faudra sortir de cette impossibilité de faire humanité commune, de nous concevoir comme un tout, liés les uns aux autres du nord au sud de la planète, de l’est à l’ouest, les pauvres, les riches, les Noirs, les Blancs, les Américains, les Européens, les Chinois, les Russes, les Indiens, les habitants des îles du Pacifique ou du Sahel…

L’Afrique, sa démographie sont au centre des enjeux. Le continent reste pauvre, il ne pollue pas, ou si peu (4 % des émissions mondiales, pour un peu moins de 20 % de la population mondiale), et pourtant, il paie le tribut le plus lourd au changement climatique. Pour être clair, on se réchauffe plus vite que les autres… Parallèlement, nos besoins sont immenses. Si demain, l’Afrique devait atteindre un niveau de développement industriel comparable à celui de l’Inde ou du Vietnam, si elle devait tripler son niveau de vie, ce qui serait un minimum, si cet effort devait se faire sans transition technologique, sans transformation systémique des modes de production, le continent deviendrait alors lui-même l’une des principales causes du réchauffement global.

Pour le 1,2 milliard d’Africains d’aujourd’hui, c’est déjà l’heure de la résilience et de l’adaptation. Nous avons besoin de comprendre et de définir nos propres modèles de lutte. À Djibouti, fin octobre, a été inauguré l’Observatoire régional de la recherche pour l’environnement et le climat (ORECC). Un outil particulièrement utile dans une corne de l’Afrique dévastée par les sécheresses. Nous avons besoin d’investir massivement dans notre sécurité alimentaire, et repenser notre agriculture pour qu’elle serve les besoins de notre immense marché intérieur. C’est le cas, par exemple, en Côte d’Ivoire, avec la mise en œuvre de l’initiative d’Abidjan.

Nous avons besoin également de parier sur l’avenir, de mobiliser nos énergies pour créer de la valeur dans ce monde nouveau. Nous avons des terres arables immenses, et encore vierges, que nous pouvons valoriser. Il nous faut investir, et faire investir dans les énergies renouvelables : nous avons de l’eau, du soleil, des marées, du vent, des biomasses, des grands fleuves aussi. Il nous faut enfin protéger et développer nos forêts. Stopper l’arrachage, obtenir des fonds pour sécuriser, accroître les périmètres plantés. Nos forêts valent de l’or, leur capacité d’absorption du carbone vaut de l’or, notre terre vaut de l’or.

Le changement du monde sera impossible sans nous. Pour notre continent, la bataille est loin d’être perdue.