Ami Yèrèwolo, groove rebelle
Cette jeune rappeuse Malienne au flow puissant dénonce les injustices et s’engage pour la place des femmes dans les cultures urbaines. Bravant le patriarcat, elle signe un nouveau titre, « Je gère ».
E lle a choisi l’art de la punchline et du groove percutants pour combattre les injustices sociales. Originaire de Mahina, village de l’ouest du Mali, Ami Yèrèwolo chante depuis l’enfance, bercée par les voix puissantes de Salif Keïta, Oumou Sangaré et Nahawa Doumbia. Dès 16 ans, elle slame dans la cour du lycée. Découvrant les pionniers du rap malien Fanga Fing ou Tata Pound, elle met alors un nom sur sa pratique, née spontanément. Puis forme un groupe avec ses cousines, participant à des concours malgré l’interdiction paternelle, et joutant devant ses pairs masculins : « Pour leur montrer que nous aussi, on savait rapper », défend-elle. À Bamako, où elle s’installe pour ses études universitaires en gestion-comptabilité, elle affûte son flow dans les balani show (sound system de quartier), se hâte au studio, après les cours, pour enregistrer ses premiers titres. Diplômée en 2013, elle annonce à ses parents sa décision de se consacrer à la musique. « Ils ont cru que je blaguais ! Leur projet pour moi ? Un métier avec un salaire fixe, un mariage, des enfants. » Or, l’artiste, dont la cause est de « révolutionner le hiphop féminin », préfère « mourir pauvre mais rappeuse », plutôt que « riche et lâcheuse », scande-t-elle dans « Bara ».
La jeune rebelle brave l’adversité pour se faire une place dans ce milieu où les femmes sont sous-représentées et marginalisées. Bousculant les normes et les esprits étroits, elle endure un déluge d’insultes, de rejets, de discriminations. « Selon les machistes, une rappeuse ne doit pas tenir tête à un homme sur scène. Et elle serait une délinquante, sans éducation, ne mériterait pas le respect. » Presque seule contre tous, sans soutien familial, cette guerrière du verbe tire sa force de ses épreuves. « Il fallait que je réussisse coûte que coûte. » Multipliant les petits jobs, elle produit ses clips et ses albums (Naissance en 2014, Mon combat en 2018), et fonde sa structure de diffusion Denfari Event. « En bambara, “denfari” signifie “l’enfant qui n’a pas peur”. » Un mantra qu’elle inscrit sur les murs de chez elle pour se rebooster les jours de découragement. Première rappeuse à intégrer le collectif 223 Crew – « Cela m’a donné une assurance, une protection contre ces violences » – et à se produire au Palais de la culture à Bamako, elle renvoie dans les cordes les managers qui lui conseillent de troquer son look de garçon manqué contre minijupe et maquillage outrancier. En 2016, pour soutenir la scène hip-hop féminine, elle lance le festival Le Mali a des rappeuses : « Ainsi, nos sœurs auront des références. »
Son rap conscient au flow tonitruant, empreint de rage et d’ironie, dénonce en bambara les violences faites aux femmes et aux enfants, le matérialisme galopant, le manque d’éducation, les valeurs superflues comme l’apparence ou la richesse, ou encore la médisance. S’appropriant les différentes nuances du genre – de la trap aux mixtures panafricaines rythmées d’instruments traditionnels –, elle affirme une griffe encore plus personnelle dans son single « Je gère », extrait de son prochain EP, signé chez Othantiq AA (nouveau label du musicien camerounais Blick Bassy). À l’instar de ses idoles d’enfance, ambassadeurs de la musique mandingue, Ami Yèrèwolo veut porter haut les couleurs du rap malien sur la scène mondiale. Dans son pays, elle s’impose déjà comme la first lady du game.