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Editos

Industrialiser,
pour qui ?

Par Emmanuelle Pontié - Publié en novembre 2023
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Le continent a connu sa période de grands travaux et du BTP roi. Les projets de routes et la création d’infrastructures étaient sur toutes les lèvres, dans tous les programmes politiques. Aujourd’hui, cette phase semblant être achevée (en partie seulement dans certains pays), on peut estimer que les bases pour un développement durable ont ainsi été posées. Le nouveau credo, c’est l’industrialisation. En la matière, l’Afrique est la région du monde la moins bien lotie. Sa contribution à la valeur ajoutée manufacturière au niveau mondial stagne à 1,8% et a même diminué depuis 2014. À juste titre, les gouvernements multiplient les programmes incitateurs pour leur secteur privé, les institutions financières internationales financent à tour de bras, comme la Banque mondiale à coups de milliards de dollars.

Évidemment, l’Afrique doit cesser d’être un vivier de matières premières transformées ailleurs. Elle doit générer chez elle de la valeur ajoutée, créatrice d’emplois et de revenus. Assister à une pénurie d’essence dans un pays d’Afrique centrale producteur de pétrole n’est plus tolérable... Mais en parallèle aux programmes boosters de manufacturing, il faudrait mener une sensibilisation des populations sur le «consommer local». Les rares usines de jus de fruits produisent des flacons aux saveurs locales qui sont loin d’être les premiers sur les tables africaines. Souvent, on continue à privilégier les marques étrangères, qui font plus chic. Idem pour les nations productrices de cacao, dont la vente de tablettes de chocolat ou d’œufs de Pâques ne décolle pas. Avant même d’accéder aux marchés extérieurs, la consommation intérieure devrait d’abord privilégier les produits du cru.

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C’est le cas de tous les pays du monde. Aux États-Unis, on aime d’abord le ketchup fabriqué dans le pays. Idem en France pour les parfums ou la haute couture: la french touch est la plus appréciée. D’autant plus que l’exportation des produits finis africains, ce n’est pas encore pour demain. À part trois chips de bananes pour apéros bobos ou quelques paniers mossis colorés que l’on trouve dans des boutiques de commerce équitable, ils ne sont pas légion dans le commerce de masse hors du continent. Le monde n’attend pas l’Afrique. Il faut qu’elle se batte pour exister. Et la plus-value faite en Europe l’arrange, évidemment. Le cas le plus emblématique est celle d’un gouverneur du Kasaï-Occidental, en RDC, région qui regorge de diamants, qui a décidé de créer une usine de taille sur place. Résultat, les acheteurs d’Anvers, la place mondiale du business de la pierre précieuse, ont menacé d’aller s’approvisionner ailleurs.

Bref, la route sera longue. Mais le développement durable du continent ne pourra se faire sans le manufacturing, la transformation et l’industrialisation. Donc il faut foncer. Et les Africains, déjà, doivent comprendre que le premier marché pour leurs produits, c’est eux.