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Bilan

Issoufou Mahamadou,
sixième lauréat du prix Mo Ibrahim

Par Zyad Limam - Publié en mars 2021
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 Issoufou Mahamadou Issoufou Mahamadou. DR

Le 8 mars 2021, le fameux et prestigieux prix Mo Ibrahim a été attribué au président nigérien sortant Issoufou Mahamadou pour « sa gouvernance et ses efforts pour améliorer le développement économique de son pays, et son action pour la stabilité régionale ».

C’est la première fois que le prix est attribué depuis 2017. Certains jugeront, comme l’influent magazine britannique The Economist, que le niveau d’exigence a baissé, en évoquant l’héritage contrasté des années Issoufou… Et le fait que, finalement, quitter le pouvoir au terme convenu ne devrait pas être un exploit.

L’analyse est assez rude et réductrice. Le Niger n’est peut-être pas encore un exemple parfait en matière de droits de l’homme, mais on revient de très loin dans ce pays marqué par une « tradition » de coups d’État militaires tragiques et de ruptures brutales de l’ordre constitutionnel. Issoufou Mahamadou aura été chef de l’État tout au long de la dernière décennie, élu en 2011 et réélu en 2016. Il se refusera alors à changer la Constitution pour s’ouvrir la porte d’un troisième mandat. Et dans une interview qui fera date – et aussi une certaine polémique dans la région –, il ne manquera pas d’enfoncer le clou : « Je n’ai pas cette arrogance de croire que je suis un homme providentiel irremplaçable. »

Issoufou Mahamadou adoubera un candidat, Mohamed Bazoum, ministre de l’Intérieur, un choix à la fois audacieux, mais aussi de continuité et de fidélité. Un « successeur » désigné près de deux ans avant l’échéance. Le scrutin, plus serré que prévu, aura lieu sur deux tours, le 27 décembre 2020 et le 21 février 2021.

Mohamed Bazoum est élu avec 55,75 % des suffrages. Au lendemain de la proclamation des résultats, les tensions se font jour dans la capitale. Mais le principal est sauf. Le pays s’oriente vers la première transition démocratique du pouvoir depuis… son indépendance. La transition en cours au Niger a définitivement quelque chose d’historique.

Issoufou aura aussi dû affronter des années de tempête, tout en maintenant l’intégrité du pays. Après un long parcours de militant démocratique et d’opposant, il arrive au pouvoir dans un contexte particulièrement exigeant. Il est élu le 12 mars 2011, alors que la veille, un tremblement de terre suivi d’un violent tsunami ont provoqué la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima. L’accident entraîne un effondrement des cours de l’uranium, principale source de revenus du pays (4e producteur mondial). En Afrique, les Printemps arabes causent la chute de Mouammar Kadhafi et la désintégration de la Libye, par ailleurs premier investisseur au Niger. La frontière nord du pays est menacée. L’effondrement de la Jamahiriya entraîne une grave instabilité dans toute la zone sahélienne, désormais ouverte aux groupes terroristes et aux réseaux criminels (trafics de stupéfiants, de carburant et de tabac, traite humaine…). En 2012, le Mali, grand voisin à l’ouest, sombre à son tour sous les coups de boutoir des militants djihadistes. Au sud, le Nigeria est dépassé par les assauts des milices de Boko Haram. Le Niger se trouve pris au piège d’une violence exogène, importée sur son sol. Avec la multiplication d’attaques terroristes contre les forces armées et les habitants de la région du Liptako-Gourma, dite des « Trois frontières » (Burkina Faso-Mali-Niger).

Pourtant, le Niger tiendra. Et les deux mandats seront marqués, aussi, par des transformations économiques de grande ampleur. Niamey se métamorphose, les régions de l’intérieur bénéficient d’investissements importants. L’initiative « Les Nigériens nourrissent les Nigériens » (I3N) donne un coup de fouet à l’agriculture et fait reculer le spectre récurrent de la famine. Avec une augmentation continue du taux de croissance (6,3 % en 2019), une réduction des déficits, et une baisse encore insuffisante mais réelle du taux de pauvreté. Parallèlement, le pays prend sa place également sur l’échiquier international, avec un point d’orgue : la signature à Niamey, en juillet 2019, de l’accord instituant la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

C’est certainement ce « tableau général » qui a motivé la décision de la Fondation Mo Ibrahim. Une distinction d’autant plus symbolique qu’Issoufou Mahamadou n’est que le sixième récipiendaire de ce prix. Il rejoint un cénacle restreint : la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf (2017), le Namibien Hifikepunye Pohamba (2014), le Cap-Verdien Pedro Pires (2011), le Botswanais Festus Mogae (2008) et le Mozambicain Joaquim Chissano (2007). Cette même année, l’ex-dirigeant sud-africain Nelson Mandela avait également été nommé lauréat honoraire.

Le prix est conséquent : 5 millions de dollars étalés sur une période de dix ans. L’idée étant de donner les moyens de continuer à mener une action citoyenne au bénéfice de l’Afrique. Le 6 avril prochain, date d’investiture de Mohamed Bazoum, Issoufou Mahamadou sera donc un ancien chef d’État, mais certainement pas un leader à la retraite.