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Parcours

Jochen Zeitz : le visage derrière le musée du Cap

Par CATHERINE FAYE - Publié en novembre 2017
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Son nom a longtemps été associé à la réussite de la marque Puma. Aujourd’hui, c’est avec l’art et le continent que rime le patronyme de ce charismatique homme d’affaires : le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), au Cap en Afrique du Sud.
 
Le plus grand musée d’Afrique. Un temple pour l’art contemporain. Des oeuvres de Zanele Muholi, El Anatsui ou encore Kudzanai Chiurai… Sur 6 000 m2, « The Zeitz » – comme on l’appelle déjà dans le milieu, inauguré fin septembre dans la ville du Cap (lire aussi p. 93), ambitionne d’être le pendant continental de la Fondation Louis Vuitton à Paris. Un pari qui semble sur la bonne voie grâce à la volonté d’un homme, Jochen Zeitz, 54 ans. Pas un Sud-Africain mais un Allemand, natif de Mannheim et qui, il y a une dizaine d’années, était davantage connu dans le cercle des « big boss » internationaux que celui du marché de l’art. Un manager qui a réussi ce qui, au départ, semblait être une mission entrepreneuriale impossible avant de tomber amoureux de l’Afrique.
 
Scepticisme : lorsqu’en 1993, Puma annonce que Jochen Zeitz, 30 ans à peine, est son nouveau PDG, peu y croient. La firme créée par Rudolf Dassler en 1945 accumule les pertes. Le jeune Allemand met alors en oeuvre une stratégie musclée. Il réduit les coûts de façon drastique, repositionne Puma en marque décalée et haut de gamme. Il attire les fashion victims en habillant Brad Pitt et Madonna, recrute le styliste Hussein Chalayan. Il sponsorise aussi des équipes de football africaines comme le Cameroun qui se fera mondialement connaître pour ses maillots pittoresques : sans manches (2002) ou en maillot-short une-pièce (2004). Et investit sur un athlète inconnu de 16 ans : Usain Bolt. Enfin, le jeune président convainc le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute), devenu Kering depuis, d’en prendre le contrôle. On est en 2007. En moins de quinze ans, ce fils de médecin à la carrure sportive a ressuscité la marque, avec un chiffre d’affaires qui progresse en moyenne de 20 % par an. Il préfère finalement laisser sa place en 2011 pour se consacrer à une nouvelle mission : l’écologie. Dès lors, il y pilote le développement durable au sein du groupe Kering et crée en 2012, avec le tumultueux entrepreneur britannique Richard Branson, sa propre fondation de protection de l’environnement, B Team, consacrée à la préservation de la planète et des équilibres sociaux. L’objectif ? Favoriser une entreprise plus responsable, notamment en Afrique.
 
Car le continent est une passion chevillée au corps de l’entrepreneur. Dans un premier temps, l’Afrique, jeune, bouillonnante, créative, sert l’image de Puma. Jochen Zeitz acquiert d’ailleurs au Kenya un ranch de 20 000 hectares qu’il survole à bord du Gypsy Moth de 1929 – le fameux biplan du film Out of Africa. Mais plus encore, c’est dans l’art contemporain africain que cet ambitieux austère et discret investit sa fortune.
Repensé comme une cathédrale, cet ancien silo à grains abrite désormais le musée Zeitz. Une fois par semaine, l’entrée est gratuite pour les titulaires d’un passeport africain.
D’abord fasciné par le pop art, il commence par acheter des photographies africaines de Peter Beard, ancien compagnon d’Andy Warhol, puis rencontre l’historien et curateur sud-africain Mark Coetzee, avec qui germe l’idée de collectionner des oeuvres d’artistes africains et de la diaspora. Plus encore, il veut les donner à voir. Il commence donc par exposer une partie de sa collection à Segera, son lodge au Kenya, y reçoit des artistes en résidence. Mais voir naître un premier musée avec une ambition mondiale sur le continent est une attente forte. L’ouverture du Zeitz MOCAA dans un ancien silo à grains reconverti du Cap a pour ambition d’y remédier et d’attirer un nouveau public. En attendant de doter à terme le musée d’une véritable collection permanente, les salles accueillent déjà les oeuvres du collectionneur, ceux des artistes africains cités mais aussi des stars américaines Glenn Ligon et Rashid Johnson ou encore l’Anglais Isaac Julien. Et si de Puma à l’Afrique, Jochen Zeitz n’a fait qu’un saut, il s’en faut de peu pour qu’il suscite enfin de nouveaux dialogues entre le continent et le monde.