Kenza Fourati
Tunisienne avant tout!

Photos chocs. La top-modèle tunisienne Kenza Fourati posant au bord de la piscine d’un luxueux hôtel de Singapour, sur une plage, dans un marché… Le hic, c’est que cette superbe petite sirène version 2011 n’arbore que des maillots deux-pièces des plus succincts ! Un cliché qui, a priori, en Occident, ne susciterait que des regards intéressés des messieurs ou une réflexion amusée ou envieuse des dames. Oui, mais en Tunisie, même dans le pays de l’après… Photos événements. Car il ne s’agit pas d’une énième séance pour cette demoiselle déjà rompue aux mises en scène les plus sophistiquées des plus grands photographes. Déjà habituée aux « balades » sur les pages glacées de magazines aussi prestigieux que Vogue, Marie Claire, L’Officiel ou Cream. À 23 ans, Kenza, découverte huit ans plus tôt, à l’occasion du concoursde modèles Elite Tunisie, avait besoin d’un autre challenge. Et ce nouveau challenge s’appelle Sports Illustrated Swimsuit 2011. Le numéro spécial maillots de bain édité une fois par an, en février, par Sports Illustrated, le magazine hebdomadaire sportif américain (23 millions d’exemplaires par semaine !). Un monument de la presse internationale qui se réclame de quarante-sept ans de glamour incontesté. 200 pages où tout n’est que luxe, érotisme et beauté, qui ont déjà vu défiler, entre mille autres, Beyoncé, Heidi Klum, Tyra Banks ou Bar Refaeli. Et voilà notre « petite » Tunisienne admise dans le gotha des supergirls en bikini, aux côtés d’Irina Shayk, la girlfriend du footballeur Cristiano Ronaldo, ou Brooklyn Decker, l’épouse du tennisman Andy Roddick ! Pardon, madame ! comme on dit en Afrique. Elle est, de fait, la première Maghrébine à prendre la pose pour Sports Illustrated ! En tout cas, pour la demoiselle, qui, depuis l’an dernier, a cessé son va-et-vient entre Paris et Londres pour s’installer à New York, dans un petit appartement de l’East Village, rien de shocking dans cette série de photos. Celle qui s’est toujours voulue mannequin pensant, contrairement à certaines de ses consoeurs, assume totalement. « Réaliser une séance en maillots de bain, c’est faire avancer une certaine idée de la Tunisie, nous confie-t-elle au téléphone. Une idée qui se résume à certaines images que j’ai gardées de mon enfance. Cette cohabitation sans problème de femmes voilées et de femmes habillées à l’occidentale. Le respect de chacun. Je sais que ces photos vont choquer certaines personnes au pays, mais je ne vais pas agir en fonction des réactions des gens. » Fière aussi, Kenza, d’avoir été repérée par Diane Smith, sommité du monde de la mode et rédactrice en chef de l’édition Swimsuit. « C’est peut-être un magazine pour les hommes. Mais c’est aussi un moyen de faire entendre sa voix. À Sports Illustrated, on s’intéresse à toi, et tu t’exprimes sur le sujet qui te plaît. Le shooting se déroulait en août dernier et, quand les événements ont éclaté, la direction a accepté de refaire une interview. » Elle profitera des colonnes qui lui sont offertes pour évoquer la lutte de son pays pour la démocratie, de son espoir de voir la « révolution du jasmin » déboucher sur l’édification d’un modèle politique pour le Maghreb. 2011, année donc de toutes les fiertés pour Kenza ! Et elle n’hésite pas une seconde quand vous lui demandez ses priorités actuelles. Son métier ? ses amours ? la « bataille tunisienne » ? « Mon métier et ce qui se passe en Tunisie, répond-elle. Mon premier sentiment, c’est la fierté d’avoir vu ce qu’ont réalisé mes compatriotes. Sentir, ici, le regard des autres changer quand je leur dis ma nationalité. Avant, mon image de la Tunisie était affective, celle de ma famille. Il y a quelque chose de plus grand qui m’accompagne désormais, l’impression de faire partie d’une nation pas comme les autres. Aux États-Unis, qui connaissait, avant, la Tunisie ? Maintenant, tu sens l’intérêt des gens, une certaine empathie. J’ai même rencontré des gauchistes, à San Francisco, qui m’ont demandé de venir parler des événements ! » Et Kenza parle, parle. Elle raconte sa petite révolution à elle, loin de la terre natale, « pétrifiée, paralysée » devant le petit écran début janvier : ses débats, ses échanges d’infos sur les réseaux sociaux, ses coups de fil à la famille. Et puis, soudain, à partir du 14 janvier, la communication sans frein. « Curieux comme les gens pouvaient soudaintout dire, comme les jeunes donnaient l’impression d’avoir davantage appris en quelques semaines qu’en dix ans d’école ! Dans ma famille, on ne manquait de rien, on pensait vivre bien, mais tu ne comprends vraiment ce que représente la liberté d’expression que lorsqu’elle est là. On en était arrivé au point où la démocratie était synonyme d’extrémisme, de passeport pour l’islamisme ! On a enfin compris que la démocratie, c’est la possibilité de dire ce que l’on pense en toute sécurité. » Bref, d’appeler un chat un chat, et Ben Ali « un dictateur ». Alors, elle a, bien entendu, une très, très forte envie de rentrer au pays. Seul problème : son visa américain qui l’oblige à rester un temps supplémentaire à New York. Elle partira pour Tunis en mai, probablement… « Il faut absolument que j’aille voir ce laboratoire d’idées qu’est devenue la Tunisie. Il s’y passe tellement de choses ! Ça bouillonne d’idées. J’ai l’impression que, là-bas, on peut croire aux miracles ! »
Par Jean-Michel Denis