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Kenza Fourati, jeune fille à la mode

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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Sitôt le mot mannequinat prononcé, elle consent à tirer définitivement les rideaux de sa frange et à se livrer. « C’est un vrai métier que j’aime. Nous sommes comme des actrices : nous prêtons notre corps à des photographes, des stylistes, nous créons un personnage, nous jouons un rôle muet. Nous sommes en fait des actrices frustrées. » Elle fait donc partie du club très select de ces modèles qui, à coups de covers de magazine, de podiums, font rêver les jeunes filles en quête d’aventures scintillantes et nourrit l’imaginaire des hommes.

Elle est tunisienne, aurait pu décider de travailler en priorité au Moyen-Orient, et en particulier au Liban où ça brille, ça paillette question fashion. Mais non, elle a choisi le chemin brillant quoique parfois terriblement glissant du monde de la mode occidental. À l’instar de ses « grandes soeurs », Farida Khelfa ou Afef Jnifen. Une des rares filles du Maghreb, avec la Marocaine Hind Sahli notamment, à percer actuellement au royaume des Kate Moss et autres Gisele Bu¨ndchen. En six ans, elle a défilé pour Gaultier, Armani, Ferré, Stella McCartney, etc. A fait des séances pour Vogue, Marie-Claire, L’Officiel, des covers pour Elle Liban et Belgique, Le Figaro Magazine, Cream, ne compte plus les Fashion Weeks auxquelles elle a prêté sa beauté. Et, à l’image de ses consoeurs en glamour, elle voyage sans cesse à travers le monde (« J’ai tellement de choses et d’endroits à découvrir ! C’est l’avantage de ce métier. ») et vit entre Paris et Londres, son « pied-à-terre », où cette rêveuse aime à se poser loin du bruit et de la fureur des fashionistas. Du coup, avec sa carrière de top-modèle aux agendas surchargés, son départ de Tunisie paraît si lointain !

Kenza est née à Lille, en France, un beau jour de 1987, et s’est retrouvée en Tunisie au bout de quelques mois, dès que ses parents eurent fini leurs études. Une enfance dorée, choyée, protégée dans le quartier de La Marsa, à Tunis. Entre des parents au parcours social imposant. Un père radiologue. Et une mère, Dora Bouchoucha, dont le CV semble aussi long qu’un générique de film : elle dirige les renommées Journées cinématographiques de Carthage depuis 2008 et s’est imposée comme une de ces productrices qui donnent du souffle au septième art tunisien et africain ; à son actif notamment, La Saison des hommes, de Moufida Tlatli et, surtout, deux films de Raja Amari, Satin rouge et Les Secrets… Le « vert paradis » enfantin de miss Fourati se résume en quelques flashs : les grandes réunions de famille, les week-ends ; les adaptations de pièces de théâtre qu’elle montait et jouait dans le salon, avec sa soeur et ses cousines ; les scripts de films de maman qui traînaient dans la villa et qu’elle prenait plaisir à lire à la dérobée ; sa scolarité au lycée français de La Marsa ; le regard exigeant mais jamais intraitable de parents, pour qui la culture n’est pas du superflu, ce qui a en partie amené Kenza, parallèlement à son métier, à passer une licence de lettres modernes française et à suivre des cours de cinéma à la fac de Kingston, en Grande-Bretagne. « La vie n’est pas faite pour les moyens, me répétait mon père. Ce que m’ont transmis mes parents, c’est l’ouverture au monde, le désir d’aller toujours voir ailleurs. »

Et elle ira voir ailleurs à l’âge de 18 ans. Tout ça parce qu’un jour des amis de sa mère, qui organisaient le concours de modèles Elite Tunisie, ont pensé à la jeune fille liane aux jambes interminables. Douze concurrentes, et Kenza sera une des deux sélectionnées pour le concours mondial qui se tenait en 2002 à Gammarth. Elle a 15 ans. Et, là encore, elle sera retenue. Mais papa et maman se montrent réticents à l’idée de laisser partir la petite pour Paris. Peur du milieu… « J’avais moi-même cette idée péjorative du mannequin, chair fraîche à photographes, très loin de mes 15-16 ans. » Il faut croire qu’elle finira par avoir trop envie de se mesurer aux spotlights de ce métier. Ses parents finiront par se laisser convaincre. Après tout, elle vient de décrocher son bac à dominante scientifique…

Alors, elle débarque à Paris et va très vite se mettre à la tâche sous la férule d’Elite. « J’ai fait tout de suite les bons shows, les bons défilés. Et puis je ne suis pas particulièrement typée arabe, on me considère comme une Latina. J’ai plutôt travaillé en Angleterre et en Amérique. C’était mieux pour ma carrière. Lorsqu’on est un peu exotique, on marche mieux dans les pays anglo-saxons. »

Bien sûr, elle, la Franco-Tunisienne, issue d’une famille pas forcément obsédée par la religion, se rend bien compte du côté exceptionnel de son itinéraire. « Pour une Maghrébine, devenir mannequin, c’est se poser le problème de son rapport à son corps, à sa famille, composer avec les valeurs musulmanes. Mais je pense que, à l’avenir, de plus en plus de filles arabes défileront sur les podiums internationaux. Quand j’ai posé pour de la lingerie, on a fait des réflexions à mes proches. Mais je m’en moque tant qu’elles ne viennent pas de gens que j’aime, tant que je suis en accord avec moi-même. »

Bien sûr, quand elle rentre au pays deux à trois fois par an, tous ces obstacles, elle les lit dans les yeux des jeunes filles qui la regardent admiratives, elle les entend de la bouche de celles qui se laisseraient bien tenter par ce métier glamour. « J’aimerais revenir m’installer en Tunisie un jour, car je voudrais y faire quelque chose dans le milieu de la mode. Je suis persuadée que, sur ce plan, l’on peut créer des synergies entre les divers pays du Maghreb. » Rien que du raisonnable dans ses propos, selon celle qui n’hésite pas à avouer : « Moi, en amour, je suis old school. Je veux fonder une famille, avoir des enfants. Des vies à la Kate Moss ou à la Naomi Campbell, très peu pour moi ! Le seul problème quand tu commences à vivre avec quelqu’un, c’est d’apprendre à faire des compromis, à renoncer à certains voyages professionnels pour avoir plus de contrôle sur ta vie. » Une pause. « Cela dit, je suis peut-être old school, mais je ne suis pas fan de l’amour éthéré, romantique. » Étonnement. Et comme si elle en avait trop dit, la belle tourne les talons.

Par Jean-Michel Denis