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Dossier Côte d'Ivoire

Kherann Yao
« Il faut sensibiliser les opinions aux défis écologiques »

Par Alexandra Fisch - Publié en mai 2021
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Il a été nommé « jeune champion pour les enfants » par l’Unicef Côte d’Ivoire.
Il a été nommé « jeune champion pour les enfants » par l’Unicef Côte d’Ivoire. DR

​​​​​​​Le fondateur audacieux de l’ONG GREEN IVORY veut convertir l’opinion à la lutte contre les pollutions.

À l’âge de 26 ans, il s’impose comme l’un des visages de l’écologie en Côte d’Ivoire. Un engagement qui part d’une alarme, d’un constat sur la pollution plastique. Dans les rues d’Abidjan, il voit ce qu’on ne remarque généralement plus, les déchets amoncelés ici ou là, jetés par les gens d’un geste délibéré, qui le choque, et contre quoi il décide d’agir. Ancien mannequin (oui, oui…), diplômé de droit public de l’université d’Abidjan, distingué par l’Unicef, il obtient aussi un master en gestion de projet à l'institut canadien de management d'Abidjan. Il voyage en Afrique du Sud, où il découvre le pouvoir des réseaux sociaux et de l’information digitale. Il lance Green Ivory, une ONG, bien décidé à participer activement à la conversion de la Côte d’Ivoire au développement durable. Rencontre avec un jeune homme qui voit loin.

A.M : Comment avez-vous commencé votre association Green Ivory ?

Kherann Yao : J’étais indigné par le fait que les gens jettent si facilement leurs déchets dans la rue. De voir autant de plastiques de toutes sortes qui traînaient. Alors, je me suis documenté sur ce que ça impliquait : la pollution des océans, l’impact sur les populations… J’avais 23 ans quand j’ai créé le groupe des environnementalistes, sur Facebook, à travers lequel j’alertais sur la pollution plastique et les problèmes environnementaux en général. L’engouement rencontré – surtout des jeunes – m’a donné envie de m’appuyer sur une structure et m’a amené à créer l’ONG. Au départ, nous avons surtout fait de la sensibilisation, puis la suite logique a été d’aller sur le terrain, avec des actions de nettoyage et de ramassage de plastique. Je me suis vite rendu compte qu’il fallait se structurer en organisation pour avoir un impact à une plus grande échelle.

En 2018, vous avez été nommé « jeune champion pour les enfants » par l’Unicef Côte d’Ivoire. Racontez-nous.

Je communiquais énormément sur nos activités, on faisait du bruit sur les réseaux sociaux. On essayait de sensibiliser toujours plus de monde via Internet. Et j’ai été repéré par les représentants de l’Unicef, qui m’ont demandé d’intervenir dans un live chat sur l’écologie pour répondre aux questions sur la pollution plastique et les impacts du changement climatique. Par la suite, à l’occasion de la Journée mondiale de l’enfance, le bureau de New York a initié le programme des jeunes champions, et ils m’ont proposé. C’était inattendu ! Cette nomination a eu pour effet majeur d’amplifier la portée de mes actions – mes actions locales ont eu un impact au plan international –, et aussi de développer mon networking, d’enrichir mes connaissances sur l’écologie à travers ma participation à des sommets internationaux, comme la COP 25, à Madrid, où j’ai représenté l’Unicef à un panel sur l’éducation environnementale, ou mon plaidoyer à New York auprès d’Henrietta Fore, directrice générale de l’Unicef, pour le déploiement du projet de construction d’écoles en briques de plastique recyclé en Côte d’Ivoire.

Green Ivory agit dans trois domaines prioritaires : l’éducation environnementale, la reforestation et le recyclage du plastique. Quels projets a-t-elle ?

La plupart de nos actions englobent ces trois sujets. Par exemple, notre projet Écoles vertes est venu en appui à celui de la construction d’écoles en briques de plastique recyclé mené par l’Unicef. La phase pilote s’est déroulée à l’école primaire d’Akouédo et, par la suite, l’Unicef l’a étendu à plus grande échelle. L’objectif est que les enfants soient sensibilisés à l’écologie et formés au respect de l’environnement à travers le cadre dans lequel ils étudient, l’aménagement de leur école – des dispositifs tels que le recyclage, la plantation d’arbres, la création de jardins potagers sont mis en place –, et aussi par des cours sur le respect de l’environnement. Nous avons un autre projet, Sentiers verts, actuellement en phase pilote avec les élèves du lycée Blaise Pascal, à Abidjan, toujours dans l’éducation environnementale. L’objectif est de rapprocher les jeunes de la nature et d’optimiser leur compréhension du changement climatique à travers des camps verts, des formations et une panoplie d’activités riches et édifiantes… Jusqu’ici, nos actions se sont plus déployées sur la côte, mais nous espérons étendre Sentiers verts à l’échelle nationale, avec l’appui des sponsors et du ministère de l’Éducation nationale. Il y a aussi le projet de création d’une pépinière de 30 000 pieds qui a permis aux élèves de l’école primaire d’Akouédo de travailler conjointement avec les élèves du lycée américain pour contribuer à la reforestation. Cette pépinière participe à l’opération Un jour, cinq millions d’arbres, conduite par le ministère des Eaux et Forêts.

Avez-vous des mécènes ? Des aides ?

Nous mettons ces actions en place grâce à des partenariats, avec des financements d’acteurs du secteur privé tels que Sage Innovation, qui accompagne notre organisation depuis plusieurs années. Nous recevons également des aides ou dons de particuliers qui souhaitent contribuer à la cause environnementale. Une page est aménagée à cet effet sur notre site Internet (greenivory.org).

Quels sont les défis de la Côte d’Ivoire en matière d’écologie et de développement durable, selon vous ?

Le premier reste la gestion des déchets, plus spécifiquement de la pollution plastique, avec 288 tonnes de déchets produits chaque jour à Abidjan, dont seulement 5 à 8 % sont recyclés. Ajoutons à cela que la plupart des villes du pays ne disposent d’aucun système de gestion des ordures ménagères. L’autre grand défi est celui de la déforestation. Notre pays enregistre l’un des taux de déforestation les plus rapides du monde. Il convient de saluer le travail du gouvernement sur le sujet, avec le ministre des Eaux et forêts, Alain-Richard Donwahi. Nous avons un nouveau code forestier, très novateur, depuis 2019. Il intègre de nouveaux procédés, telle que l’agroforesterie, et devrait permettre au pays de gérer de manière durable son « potentiel vert » à travers des politiques de préservation, de réhabilitation et d’extension. On peut être optimistes !

La Côte d’Ivoire est en bonne voie pour devenir un pays émergent. Peut-on concilier développement rapide et développement durable ?

Oui, des pays dont la croissance est plus forte le font. Tout est question de volonté. Cela passe par des réformes ambitieuses, orientées vers une transition énergétique dans les secteurs polluants : transports, énergie, bâtiment, industrie… Par exemple, la centrale à charbon en construction à San Pédro n’a pas de sens pour moi. Il existe des alternatives durables, que l’on pourrait favoriser. Les politiques doivent y croire, être plus audacieux. Au niveau local, il y a parfois de bonnes surprises, comme lorsque nous avons été sollicités par la mairie du Plateau, à Abidjan, pour adopter des initiatives vertes. Je crois à la sensibilisation des populations. Si on leur explique la problématique du changement climatique, ses répercussions sur leur vie ou celle de leurs enfants dans un avenir proche, leur adhésion sera plus forte. Le développement d’une économie circulaire est aussi très important.

Avec le programme Écoles vertes, les élèves apprennent à respecter la nature.
Avec le programme Écoles vertes, les élèves apprennent à respecter la nature. DR 

Pensez-vous qu’une génération d’écologistes émerge ?

Il y a de plus en plus de jeunes activistes engagés pour la cause environnementale. C’est un facteur déterminant pour l’avenir. Aujourd’hui, avec cette prise de conscience de la jeunesse, tout et n’importe quoi ne pourra plus être fait. Beaucoup d’initiatives sont lancées par la jeune génération. Je pense notamment à Geoplanet, une association d’étudiants en géographie, qui mène des actions orientées sur le changement climatique, avec des formations. Ou Ecoplast Innov, une start-up cocréée par Édith Kouassi, qui transforme les pneus usagés en matériaux de construction. Il y a aussi Andy Costa, avec son ONG My Dream for Africa, qui promeut le vélo en Côte d’Ivoire et plus largement sur le continent. La société Green Countries Compost, fondée par Sylvère Kouakou il y a quelques années, transforme les déchets des usines agroalimentaires en engrais organique. Et Yves-Landry Kouamé, un jeune blogueur, qui sensibilise à l’écologie et recense ses actions sur le Web (etresensibleasonenvironnement. mondoblog.org).