L’Afrique au-delà de Trump
Nous sommes dans le monde et le retour de Donald Trump au pouvoir est aussi une affaire africaine. Si le continent n’a jamais été réellement une priorité américaine (y compris à l’époque de Barack Obama), il le sera encore moins. Le 47e président des États-Unis n’a aucune appétence pour un continent qu’il ne connaît pas, où il n’a pas d’affaires nide terrains de golf, une terre qu’il considère à valeur zéro. On se rappelle aussi la fameuse interjection de janvier 2018, à propos des « pays de m… ». Pour Washington, stratégiquement, il s’agira donc avant tout de préserver les intérêts vitaux, de contrer la Chine et la Russie. Probablement de réduire drastiquement son réseau diplomatique. Ou de redimensioner Africom, le centre de commandement militaire lié à l’Afrique. Il y aura certes des «dossiers». Trump favorise cette approche par silo, où il peut obtenir des gains rapides, comme c’est le cas par exemple dans le conflit RD Congo-Rwanda. Il n’a toujours pas de secrétaire d’État adjoint mais a nommé un proche pour gérer le « dossier Afrique». Sans que l’on sache vraiment quel est le poids réel de Massad Boulos, citoyen américain d’origine libanaise, qui a par ailleurs le mérite d’être le père de Michael Boulos, époux de Tiffany, la fille cadette du président Trump.
C’est sur le plan économique que les dégâts seront conséquents. Les États-Unis veulent se désengager de l’aide au développement. Et de tout financement qui ne contribue pas à leurs intérêts étroits (America First). La liquidation quasi pure et simple de l’Usaid souligne de manière stupéfiante ce virage, qui aura fort probablement pour corollaire la disparation du Millenium challenge et de l’Agoa. Au moment où ces lignes sont écrites, l’administration Trump envisage de mettre fin à la contribution américaine au Fonds africain de développement (FAD), le guichet concessionnel de la Banque africaine de développement destiné aux pays à faible revenu. Parmi les actions prioritaires du FAD, les financements climatiques à destination des pays les plus fragiles. Or le climat, c’est la bête noire des trumpistes. En termes de coopération et de développement, l’agenda s’est considérablement rétréci. La stratégie sera de privilégier les approches bilatérales et transactionnelles, en particulier dans les secteurs minier, énergétique et des infrastructures. La seule véritable «nouvelle» idée utile serait de favoriser directement le secteur privé, censé, à lui seul, assurer le progrès.
Il va falloir agir avec sang-froid face à cette situation, qui est là pour durer. Trump peut paraître erratique, échevelé, mais il est aussi l’incarnation d’une idéologie illibérale puissante, d’une vision du monde à sens unique, portée par un appareil relativement cohérent, et surtout déterminé. Il faudra maintenir des liens réalistes, des canaux de communications, prendre ce qui est à prendre, en particulier pour le secteur privé. Et puis l’Amérique reste un centre incontournable de création, de richesses, d’intelligence. La bataille intérieure n’est pas encore perdue, les forces et les résistances anti-Trump vont se réorganiser.
Ce pivot américain peut aussi être une opportunité, le moment pour l’Afrique de réinitialiser ses partenariats globaux. Après tout, le commerce entre les États-Unis et le continent ne représentait en 2024 qu’un montant de 71,5 milliards de dollars (et les exportations africaines dans le cadre de l’Agoa ont atteint 9,3 milliards de dollars en 2023). Cela reste bien modeste par rapport aux poids de l’Union européenne (325 milliards de dollars en volume) et à celui de la Chine (295 milliards de dollars). Il y a d’autres partenaires possibles, les pays du Golfe, bien sûr, en premier lieu. Mais pour l’Afrique, l’horizon stratégique majeur devrait surtout s’écrire aux côtés de Bruxelles et de Beijing. L’Afrique a besoin de partenaires solides qui peuvent envisager globalement une coopération à long terme. L’Europe et la Chine sont dans l’urgence de repenser le monde sous Trump, de réorienter une partie des énergies. L’Afrique a des ressources, un marché, des «arguments» démographiques, économiques, sécuritaires. Elle peut devenir un des paramètres majeurs de rééquilibrage dans ce monde dystopique. On pourrait alors se prendre à imaginer, à rêver d’une grande coalition trilatérale, Nord-Sud, entre l’Europe, la Chine et l’Afrique.