L'afrique célèbre Wole Soyinka au Maroc
Le 9 juillet, à Rabat, l’Académie du royaume du Maroc a fêté les 90 ans du prix Nobel de littérature 1986 .
Colloques, Séminaires, journées d’étude rythment l’année académique sur des enjeux tels que l’historiographie du continent, les perspectives de l’espace méditerranéen… L’ambition panafricaine de l’Académie s’illustre aussi au sein de la Chaire des littératures et des arts africains, qui a célébré Wole Soyinka cet été. Lancée en 2022, administrée par l’écrivain et universitaire camerounais Eugène Ébodé, sa mission est de décloisonner les aires linguistiques, géographiques et culturelles sur le plan continental.
AM: Que représente pour vous cet anniversaire au sein de l’Académie du royaume du Maroc? Soyinka:
Wole Soyinka: Je suis ému par l’esprit de cet événement. Quand Léopold Sédar Senghor a fêté ses 90 ans, je l’ai rencontré à Paris lors de l’hommage qui lui était fait: «Un jour, ce sera ton tour!», m’avait-il dit. Ce n’est pas un choc, mais c’est difficile à assimiler. Nous, écrivains, artistes, servons à tisser des liens entre les cultures, les nations. Un tel événement nous rappelle que des relations autres que politiques ou économiques existent entre les peuples. À mes yeux, le Maroc constitue un pont entre les Africains noirs et la civilisation arabe.
Qu’aviez-vous à cœur d’exprimer dans votre dernier roman, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde?
En tant qu’écrivains, nous devons parfois dénoncer la société. Nous accusons les États, réfutons leur leadership, les traduisons en justice, et il le faut. Or, les dirigeants ne sont pas les seuls coupables. Le peuple, très souvent, est un criminel envers lui-même. Il est crucial de tendre un miroir à la société, aux citoyens, et de dire: regarde ce que tu es devenu, ce que tu fais aux autres, à toi-même, regarde l’héritage que tu laisses. L’humanité se détériore, le cynisme se répand et n’est pas l’apanage du pouvoir.
En quoi l’écriture oscille-t-elle entre douleur et libération?
L’écriture s’apparente à un processus d’exorcisme pour les auteurs. Toute personne sensible évolue entre la douleur et l’effort pour s’en délivrer, ou au moins la mettre à distance pour continuer à vivre avec. Raconter ne serait-ce qu’une fraction de ce qu’il se passe dans notre environnement est une source de soulagement et de liberté .
Quelles différences y a-t-il entre les combats de votre génération et la nouvelle?
Le présent n’est pas pire que le passé. Mais ce qui demeurait dans l’ombre hier est aujourd’hui exposé au grand jour. Prenez l’exemple des réseaux sociaux: ils sont à la fois un outil de libération, mais aussi le théâtre de cruautés et de mensonges. Pour la jeunesse en particulier, il est difficile de s’y retrouver entre les faits et la fiction, la manipulation. Quelque chose a été perdu, et j’accuse la société d’avoir détruit la valeur positive de ce nouveau média, qui a été utilisé de manière constructive lors des Printemps arabes, par exemple. Mais lorsqu’il tombe entre les mains de ceux que j’appelle les brutes, il devient un instrument de tromperie, de terreur. Et la dignité humaine est défiée par d’autres forces que celles du pouvoir étatique.
Où avez-vous puisé cette force pour combattre le racisme, le colonialisme, la corruption au fil de votre vie?
La réponse peut sembler ironique, mais j’ai un besoin viscéral d’avoir l’esprit tranquille. C’est une quête perpétuelle. Je ne peux pas me sentir en paix si mon environnement est violent, brutal. Pour être soi-même, il faut s’exposer, s’engager.
Quelle place tient la spiritualité dans votre vie?
Je crois en l’humanité. Mais quand la spiritualité devient religion, laquelle est parfois employée comme un instrument de domination, de cruauté, contre l’émancipation, elle devient un ennemi. Je trouve ma spiritualité en forêt, où je me sens en paix avec moi-même et avec l’univers.
L’académie du royaume du maroc: une institution de savoirs et d’échanges internationaux Léopold sédar Senghor ou Neil Armstrong en sont des membres éternels. Créée en 1977 par le roi Hassan II, l’Académie du royaume du Maroc n’est pas qu’un cénacle de penseurs; elle est aussi un lieu d’intelligence collective, de production de savoirs, de publications, de dialogues interculturels et multidisciplinaires (sciences humaines, économie, arts…) dédié aux grandes questions contemporaines. Impulsée par le roi Mohammed VI, l’implication de la jeunesse est au cœur de ses actions, permettant une transmission intergénérationnelle. Constituée de trente académiciens marocains et de trente membres du monde entier, tissant des partenariats avec des instances étrangères pour échanger les expertises, l’Académie est dotée de divers instituts pour réaliser ses missions, soutenir la recherche, mener des projets communs, tels l’Instance supérieure de traduction, l’Institut royal de l’histoire du Maroc, ou encore l’Institut des arts, chacun œuvrant à la promotion de son sujet sur le continent et à l’international. |