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Édito

L’Amérique en dérive

Par Zyad Limam - Publié en octobre 2023
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Novembre 2024. Cette date semblerait presque lointaine dans le chaos généralisé des affaires de l’humanité, les bousculades des urgences et des enjeux.​​​​​​​Pourtant, un an, c’est déjà demain, et l’échéance pourrait marquer un palier supplémentaire de rupture. En novembre prochain, se dérouleront les élections américaines. Celles qui installent ou réinstallent le pouvoir exécutif, mais aussi une partie du pouvoir législatif, avec le renouvellement complet de la Chambre des représentants et celui partiel du Sénat. Dans un an, le sort du pays le plus puissant du monde, celui autour duquel s’organise encore, et malgré tout, un semblant d’architecture internationale (très imparfaite, certes, mais une architecture quand même), sera dans la balance.

Les États-Unis d’Amérique sont essentiels. C’est le cœur de l’Occident, du système démocratique, libéral et capitaliste. Leur déstabilisation aurait des répercussions sismiques. On peut critiquer leurs politiques, leurs dirigeants, les Irak multiples, mais nous autres, non-américains, soumis à cette tutelle plus ou moins pesante, nous avons besoin que cette puissance soit gouvernée de manière relativement rationnelle. Le poids de l’Amérique est si important que le reste de l’humanité ne peut pas se permettre qu’elle déraille.

Or, cette stabilité américaine est en jeu, la démocratie américaine est en jeu. Pour cette élection cruciale, l’homme qui mène la course à l’investiture du Parti républicain s’appelle Donald Trump. Son visage couleur orange est mondialement connu. Erratique, colérique, désorganisé, népotiste, imprévisible, provocateur, hors-la-loi… Son premier passage à la Maison-Blanche (2017-2021) a laissé l’Amérique à bout de souffle. Et nous aussi. Le candidat ex-président, âgé tout de même de 77 ans, a des dizaines de chefs d’accusation à son actif, une première dans l’histoire. La plus grave étant sa tentative d’inverser le résultat des élections présidentielles de novembre 2020. Et son rôle supposé dans l’attaque stupéfiante du Capitole, le 6 janvier 2021. Trump était prêt, clairement, au coup d’État. Et il prétend revenir à la Maison-Blanche en janvier 2025, sans avoir jamais exprimé le moindre regret, au contraire, en exacerbant son discours, ses menaces et ses outrances. Et ce danger public est suivi les yeux fermés par des dizaines de millions d’Américains, subjugués par le slogan MAGA («Make America Great Again»). Des Américains généralement surarmés qui détestent la culture globale, les étrangers, les Américains non blancs, les immigrants et les migrants, l’égalité des droits, les droits des femmes, les minorités, les différences sexuelles, ceux qui ne croient pas en Dieu ou ceux qui croient en un autre Dieu.

Sans être trop excessif, on ne peut pas exclure l’avènement d’un post-fascisme à l’américaine, d’une «démocratie» foncièrement il libérale et dangereuse, qui serait assise sur le premier arsenal nucléaire du monde. Les écrivains se sont déjà saisis de ces scénarios catastrophe, de cette dystopie si possible. Certains imaginent même une nouvelle guerre de Sécession, un éclatement de la fédération entre États progressistes et États conservateurs…On imagine l’impact sur le reste du monde…

Face à ce possible tsunami, se dresse comme il peut un homme de 80 ans, le président Joe Biden, candidat à sa réélection, santé fragile, pas hésitants, fatigue apparente. Et un Parti démocrate tiraillé par les différences, entre un nécessaire centrisme pragmatique et des tentations nettement plus à gauche.

Les sondages du jour donnent pour le moment une quasi égalité entre Biden et Trump, une donnée en soi consternante. Mais d’ici novembre, tout est possible. L’âge de l’un et de l’autre ouvre un champ des bouleversements possibles. Il faudra aussi choisir ou confirmer des candidats à la vice-présidence, qui se trouveront à un souffle du pouvoir. La justice pourra certainement jouer son rôle. La démocratie a des ressources, des militants. Rien n’est écrit.

Et nous autres, non-américains, nous devrons attendre sur le côté la conclusion temporaire de cette histoire qui, pourtant, nous concerne