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L'ARMÉE D'AFRIQUE, HISTOIRE ET MÉMOIRE

Par Pascal.BLANCHARD - Publié en juillet 2014
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DEPUIS LE XVIIIe SIÈCLE, l’armée française avait pour tradition de recruter des combattants ou des troupes supplétives dans son empire colonial : Sénégal, Antilles, comptoirs des Indes et, enfin, les célèbres Mamelouks de Bonaparte en Égypte. Dans l’imaginaire collectif, ces soldats s’inscriront comme une figure incontournable de l’entreprise coloniale, mais aussi comme une spécificité française au regard de leur présence sur les champs de bataille dans le monde entier, y compris en Europe et en France, même avec la guerre de 1870.

C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender la venue de centaines de milliers d’hommes venus des quatre coins du monde pour la Grande Guerre. Sur quatre années de conflit, on comptera en Europe 134000 combattants venant d’AfriqueOccidentale française et d’Afrique-Équatoriale française, 2 000 Somalis et Comoriens, et 29000 tirailleurs malgaches, auxquels s’ajouteront plus de 5000 travailleurs. À la démobilisation, la majorité des soldats est rapatriée et seul un petit nombre reste en France avec les troupes stationnant dans les garnisons de la métropole. Une école de formation d’officiers indigènes s’ouvre à Fréjus, mais les effectifs restent limités. Parmi eux, on trouve engagés volontaires, recrutés de force ou militaires de carrière (créoles, pieds-noirs, citoyens du Sénégal, indigènes et sujets de l’empire...). C’est une découverte pour tous, pour les Français comme pour les combattants, et derrière les injustices et inégalités de statuts et de promotion, il y a aussi des destins personnels comme ceux de Bakary Diallo ou de l’émir Khaleb, petit-fils d’Abd el-Kader. Deux des héros de la série Frères d’armes que nous venons de proposer à France Télévisions avec Rachid Bouchareb.

De septembre 1939 à mars 1940, on achemine en métropole plus de 38000 de ces soldats, alors qu’en Afrique du Nord, 20000 autres tirailleurs attendent d’embarquer. Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942, l’armée d’Afrique constituera le creuset où se reconstitue l’ensemble de l’armée française avec du matériel américain. Après les succès du Corps expéditionnaire français en Italie (CEFI, 1943-1944), l’armée d’Afrique débarque en France en août 1944. Après la seconde guerre mondiale, des unités issues de l’empire colonial (Maghreb et Afrique subsaharienne) sont engagées en Indochine. Avec les indépendances, l’armée d’Afrique n’a plus de raison d’être. Quelques formations de l’armée française perpétuent aujourd’hui les traditions et l’histoire de ces unités, en particulier avec le 68e régiment d’artillerie d’Afrique à La Valbonne, près de Lyon, et le 1er régiment de chasseurs d’Afrique, à Canjuers dans le Var. Le bilan de cette longue histoire est majeur. Plus d’un million et demi de combattants et de travailleurs sont venus se battre en France. Leur histoire individuelle, mais leur histoire collective aussi, commence à s’écrire, en dehors des mythes et des légendes, et au-delà des généralités ou des simplifications. Ils n’ont pas été des victimes de l’histoire, leurs motivations furent multiples, chaque récit est une histoire individuelle forte, avec ses parts d’ombres et de lumières.

Par PASCAL BLANCHARD HISTORIEN Il est l’auteur de Frères d’armes, une série de 50 portraits de combattants venus en France des quatre coins du monde. Cette collection documentaire, réalisée par Rachid Bouchareb, est diffusée sur France Télévisions depuis mai 2014 .