Tunisie
L’art au secours du pays
Par
Julien Wagner -
Publié en mai 2017
Alors que la population est durement touchée par la crise du tourisme suite aux attentats de Sousse et du Musée du Bardo en 2015, les artistes tunisiens se mobilisent pour donner un nouveau souffle au pays.
« Auparavant, on chuchotait... » A contempler les peintures exposées dans la très belle maison antique de la Villa Sebastian, à Hammamet, Abdelaziz Krid, professeur des Beaux arts de Tunis à la retraite, se rappelle qu’il a changé de monde. Que la chute du régime Ben Ali en 2011 a bel et bien signé la fin de dizaines d’années de frustration artistiques. Alors ses héritiers, ils les regardent avec joie... et un peu d’envie aussi. « Ce qu'on vient d'acquérir comme liberté d'expression permet aux jeunes de s'éclater, d’ouvrir des voies nouvelles. Ils peuvent désormais exploiter au maximum cette liberté qu’ils ont arrachée. »
A l’occasion du troisième Symposium Méditerranéen des Ateliers d’Art Contemporain (16 au 30 avril), on ne pouvait que constater cette effervescence. Trente trois artistes, dont près de la moitié de Tunisiens, ont été conviés à venir travailler sur place pendant deux semaines puis à partager leur création au travers d’une exposition dans cette maison du bord de mer qu’un milliardaire américain fit construire durant les « Années folles » (1920-1930).
Ymen Berhouma, 41 ans, est une peintre tunisienne confirmée. Ella a exposé aussi bien en Tunisie qu’en Europe. Conviée à Hammamet, elle a accepté de participer à son tout premier symposium et elle en est ravie : « Il y a eu durant ces deux semaines passées entre artistes une belle énergie. » Pour elle, c’est indéniable : « Il y a une renaissance de l’art dans notre pays. Je sens un bouillonnement chez les jeunes. Il n’y a qu’à voir le succès d’artistes comme Nidhal Chamekh ou Selma Feriani. Mais on retrouve aussi ce bouillonnement du côté des mécènes qui sont de plus en plus nombreux à nous aider et à acheter de l’art tunisien. »
Mourad Lechkine, le directeur de l’hôtel Les Orangers, à Hammamet, en est la preuve. Il est le principal sponsor du symposium. Il a accueilli toute l'équipe et tous les artistes durant trois semaines en contrepartie de quelques unes des œuvres produites durant l’évènement. « Son père est un grand amateur d’art et il a transmis cette passion à son fils. Sans lui, rien de tout cela n’aurait été possible », concède Rim Ayari, Fondatrice et Coordinatrice générale de l’évènement.
Un soutien fondamental alors que l’Etat n’a pas les moyens de ses ambitions le concède le ministre des Affaires culturelles Mohamed Zine el abedine, venue pour l’exposition Villa Sebastian : « Il y a effectivement en ce moment une profusion culturelle réelle et nous essayons de l’accompagner. D’abord par des incitations fiscales afin d’attirer les mécènes, les sponsors et les investisseurs. C’est pour cette raison que nous avons créé la Commission nationale pour l’investissement culturel et patrimonial. Mais nous offrons aussi des subventions quand nous le pouvons afin d’initier des mouvements. »
Preuve de ses difficultés : la Cité de la culture, avenue Mohamed V à Tunis, dont la construction a été lancée voilà plus de dix ans , n’a toujours pas ouvert ses portes. « Elle le sera d’ici la fin de l’année », promet Mohamed Zine el abedine. C’est que la tâche est immense. Le patrimoine culturel tunisien est multimillénaire et a déjà bien du mal à être préservé. « Notre pays est un musée à ciel ouvert. Il y a 30 000 sites culturels ici. C’est une des civilisations les plus importantes et les plus riches en Méditerranée. Et l’Etat est loin d’avoir les ressources pour la mettre en exergue. »
Pour clore l'évènement, samedi 29 avril, les gravures, peintures et scultptures réalisés par les 33 artistes invités ont été exposées au Centre culturel international d’Hammamet.
Avec une baisse du PIB de près de 10% en 2015, le pays, très dépendant des revenus touristiques, survit difficilement depuis les attentats du Musée du Bardo (18 mars 2015) et de Sousse (26 juin 2015) dans lesquels plus de 60 personnes ont perdu la vie, en grande majorité des touristes étrangers. D’ailleurs, malgré les dizaines de personnes invitées dans le cadre du symposium, l’hôtel Les Orangers remplit à peine la moitié de ses 372 chambres. Et les rues d’Hammamet sont désespérément vides.
« Ca reprend un peu depuis le début de l’année, soupire Ahmed, restaurateur en centre-ville. Les Allemands sont là, les Français moins. Le problème c’est que la Grande-Bretagne continue de nous classer comme une destination dangereuse et les Anglais ne viennent pas. » Dans cette situation, la culture n’est évidemment pas une priorité. Mais elle a son rôle à jouer. « On ne fait pas de développement patrimonial et culturel pour les uouristes, rappelle le ministre. On le fait d’abord pour soi-même. Pour régénérer nos forces, pour être capable de parler de notre histoire et de notre civilisation de manière créative et innovante. Mais c’est vrai, il faut aussi penser au développement économique. C’est très important. »
Selima Treia, peintre d’une quarantaine d’années, s’est lancée dans l’art juste avant la Révolution de Jasmin. Pour elle, venir à Hammamet, peindre, c’est un acte militant. « Le terroristes ne choisissent pas leur cible par hasard. Ils veulent tuer le tourisme. Ils veulent faire en sorte que notre pays ne réussisse pas. Aujourd’hui, nous vivons une grave crise économique. Notre monnaie a été dévaluée, les jeunes ne trouvent pas de travail... Mais il faut se battre et continuer à être optimiste. Malgré les problèmes, nous restons fiers. A chacun de ne pas se laisser abattre et de faire ce qu’il sait faire. » Et advienne que pourra.