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L’électricité pour tous, un casse-tête à résoudre

Par Cédric Gouverneur - Publié en octobre 2016
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Trop d’Africains vivent encore dans le noir. Mais comment répondre à ces besoins sans trop accroître les rejets de CO2 ? Les pistes existent.

Six cent cinquante millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Ce qui implique de sévères conséquences en termes de mobilité sociale : activités économiques devant cesser à la nuit tombée, écoliers ne pouvant faire leurs devoirs, dépenses en piles grevant le budget des ménages… Quant aux privilégiés raccordés au réseau, ils pâtissent des fréquentes coupures : les entreprises du continent perdent en moyenne 56 jours de travail effectif par an (25 jours au Sénégal, 144 au Burundi). Malgré les efforts déployés ces dernières années, la production totale d’électricité en Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, demeure faible : avec 45 GW, elle est équivalente à celle de la Suède.

Surtout, le processus demeure trop lent, progressant à un rythme de 1,2 % par an, bien en dessous des taux de croissance économique. D’ici 2040, selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la proportion de population sans courant devrait chuter de 57 à 25 %. Mais la croissance démographique du continent est telle que 500 millions d’Africains vivront alors encore dans le noir…

Autre dimension du défi énergétique africain : comment répondre à ces immenses besoins sans (trop) accroître les rejets de CO2 ? Très polluantes, les centrales à charbon sud-africaines ne sauraient représenter un modèle d’avenir. Les colossaux barrages hydroélectriques éthiopiens, s’ils ne rejettent pas de gaz à effets de serre, ne sont pas sans impacts sociaux et environnementaux (déplacements de populations, inondations de terres arables). La solution réside davantage dans l’éolien et le solaire, ressources propres et inépuisables : partout sur le continent fleurissent des projets de parcs d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Adoptée en décembre dernier à la COP21, l’Initiative pour les énergies renouvelables en Afrique ambitionne la production de 10 000 MW éoliens et solaires d’ici 2020. « Venez investir dans l’énergie en Afrique !, avait, lors de la COP21, clamé Thierno Bocar Tall, patron de la Saber (Société africaine des agrocarburants et des énergies renouvelables, une émanation de l’UEMOA et de la BAD) Nous garantissons une bonne gestion et une bonne rémunération ! » Puisse son appel être entendu.

Maxence Chabanne
COFONDATEUR DE LAGAZEL
Des lampes solaires made in Africa

BURKINA FASO. EN OCTOBRE, l’entreprise Lagazel y ouvrira son premier atelier de fabrication de lampes à batterie solaire. À l’origine de ce projet, deux frères chefs d’entreprise, originaires de la région de Saint-Etienne et amoureux de l’Afrique. Rencontre avec Maxence Chabanne, l’un des cofondateurs.

AM : Comment est née cette initiative ?
Maxence Chabanne : Mon frère Arnaud, ingénieur en énergies renouvelables, gère depuis douze ans CB Énergie, une entreprise de pompage solaire installée au Burkina. Un de ses jeunes employés burkinabés lui a soufflé l’idée d’une lampe solaire qui serait portative, imaginée d’après le modèle d’une lampe à pétrole. Ils ont fabriqué quelques prototypes, les ont vendus aux villageois des alentours. Avec succès : ils ont décroché un prix de la Banque mondiale de 100 000 dollars pour financer le projet ! C’est là que j’interviens : Arnaud et moi sommes fils et petits-fils d’industriels dans le Stéphanois. J’ai une PME de transformation de métal à Saint-Galmier, près de Saint-Étienne. Nous avons donc associé nos savoir-faire pour industrialiser cette fabrication en Afrique même. Une agence de design a conçu notre produit avec nos équipes sur place : les modèles Kalo sont en métal, solides, à l’épreuve des chocs pour un usage quotidien. Dix heures de charge en plein soleil permettent jusqu’à 48 heures d’utilisation. Et il y a, bien sûr, un port USB pour recharger les téléphones portables.

Des initiatives de ce type n’existent-elles pas déjà ?
Nous ne sommes pas les seuls sur le marché. Mais notre produit est l’un des plus résistants. On a décroché la certification de la Banque mondiale « Lighting Global », une garantie de qualité. Surtout, le nôtre est « social ». Ce n’est pas du made in China qui débarquera en Afrique par porte-conteneurs, il sera fabriqué sur place, par des Africains. Notre atelier au Burkina qui emploie une vingtaine de personnes sera inauguré dès le 13 octobre.

Comment serez-vous distribués ?
Nous avons trouvé des distributeurs au Burkina et dans les pays limitrophes : Mali, Niger, Bénin, Côte d’Ivoire… Nous travaillons aussi avec les humanitaires : le HCR (Haut commissariat aux réfugiés) a acheté 4 500 de nos lampes pour les camps de réfugiés maliens au nord du Burkina. Nous sommes aussi en contact avec Électriciens sans frontières (ESF), avec qui on développe un modèle dédié aux écoles. L’Afrique est si immense que, même si des efforts sans précédent sont déployés aujourd’hui pour électrifier, il faudra des décennies pour connecter les foyers : les solutions hors réseau comme la nôtre ont donc leur raison d’être. D’ailleurs, nous en vendons autant en ville qu’à la campagne, du fait des coupures fréquentes du réseau. La Kalo sera commercialisée entre 10 et 30 euros selon les modèles. Nous en fabriquons également en France, pour les consommateurs européens : le public pourra acquérir nos produits sur Internet, sur le site marchand Un coq dans le transat. Là, ils sont vendus au prix de 40 à 60 euros. C’est plus cher, car c’est made in France.

Vous proposez aussi des ateliers de fabrication de lampes clef en main…
Oui, la L-Box : on a regroupé dans deux containers de 20 pieds l’ensemble de nos établis, avec postes à soudure, machine de cambrage, visseuses… Pour un investissement de 100 000 à 150 000 euros, l’acquéreur pourra fabriquer 120 000 à 150 000 lampes par an et surtout créer une quinzaine d’emplois ! On est en discussion avec une ONG sénégalaise : ils trouveront le personnel et se chargeront des contacts avec les autorités locales, nous nous occuperons de la formation du personnel. L’idée est de mettre en place un cercle vertueux : fabriquer localement pour participer à l’industrialisation de l’Afrique.