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Édito

L’Europe si proche,
si loin...

Par Zyad Limam - Publié en juillet 2022
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NOEL QUIDU/FIGARO MAGAZINE
NOEL QUIDU/FIGARO MAGAZINE

L’Europe donc. 27 États membres (on a perdu récemment le 28e, le Royaume-Uni, décidé à s’auto-isoler dans un Brexit assez suicidaire…). 450 millions d’habitants libres de s’installer sur tout le territoire de l’Union. Un espace unique où des États à la très longue histoire ont décidé de renoncer à une partie de leur souveraineté pour favoriser la création d’un marché commun, l’application de normes exigeantes en matière d’environnement, de couverture sociale, de liberté politique, de respect des droits de l’homme. Un espace aussi de paix, pour des nations qui se sont sauvagement combattues au fil des siècles. Tout n’est pas parfait, les divisions ne sont jamais loin et les forces qui veulent miner le système de l’intérieur non plus, mais l’un dans l’autre, c’est la zone la plus riche, la plus libre, la plus égalitaire et la plus protectrice du monde. Une exception précieuse, à ce moment de l’histoire où les autocraties, Russie, Chine et alliés, cherchent à renverser l’équilibre géostratégique. Au moment aussi où les États-Unis se déchirent, où la démocratie la mieux établie montre qu’elle peut sombrer. L’Union est surtout particulièrement riche. Avec un PIB de près de 15 000 milliards d’euros, l’UE est la deuxième puissance économique du monde, juste derrière les États-Unis et encore un peu devant la Chine. Le PIB par habitant s’élève à plus de 30 000 euros par an. Et sachant que l’Union investit des dizaines de milliards d’euros par an pour soutenir et accélérer le développement de ses membres les plus pauvres.

Voilà où nous en sommes. D’un côté, cet Europe-là. Et de l’autre, l’Afrique, avec plus de 1,3 milliard d’habitants, 3 000 euros par an (qui varient selon les calculs) pour chacun d’entre eux, et un PIB global de 2 600 milliards d’euros – presque autant que l’Italie, et moins que la France. D’un côté, une Europe vieillissante et richissime, et de l’autre, à sa frontière sud, un immense continent, une terre à la fois de promesses, mais aussi de pauvreté et de conflits pour des centaines de millions de personnes.

Les migrations sont une donnée de l’humanité et de l’histoire des peuples. Les femmes et les hommes n’ont qu’une seule vie. L’énergie du désespoir les porte à essayer d’atteindre un possible eldorado. Les frontières, les armes ne les retiendront pas. Ils et elles traverseront les déserts, ils monteront à bord de rafiots innommables, ils se feront racketter par des passeurs sans âme, mais ils iront en Europe. Quelle que soit la hauteur des barbelés, ils et elles tenteront de passer, au risque de leur vie.

Dominée par les discours populistes, par la peur des électeurs face à ces vagues de migrants, par la difficile intégration aussi de ces populations nouvelles, l’Europe se barricade en l’absence de toute autre vision. Soixante ans après la fin de la longue nuit coloniale, elle a bien du mal à penser son sud autrement qu’en matière de menaces : l’islam en tout premier lieu, les Arabes, les Noirs, le terrorisme, etc. Ou de clichés : ils ne s’en sortiront pas, c’est la corruption, la violence ou les maladies. Le paradigme reste de se protéger de ce chaos. Et de cette différence.

De déclarations d’intentions en promesses de financements, l’Union européenne n’a jamais véritablement considéré son flanc sud – dont la vitalité démographique est une donnée structurante du futur – comme une véritable opportunité stratégique, une priorité à long terme. Son approche reste largement dictée par les schémas classiques, États-Unis, OTAN, tentative de séduction de la Russie (dont on voit aujourd’hui à quel point ce calcul était erroné). L’Europe ne mesure pas le potentiel africain, le marché tel qu’il existe avec ses dizaines de millions de consommateurs middle class, les ressources minières, le pétrole et le gaz, les terres arables, l’eau, le soleil, les défis communs de la sécurité et du changement climatique…

La mise en place réelle et progressive d’un tel partenariat changerait la donne, y compris pour les migrations. La mise en place d’un tel partenariat supposerait aussi que l’Afrique entre de manière plus décisive dans les « critères européens », en matière de gouvernance, de droits de l’homme, d’institutions.

De part et d’autre, le chemin sera long. Et pendant ce temps-là, des femmes, des hommes, des enfants tenteront toujours encore la traversée du désert et de la mer.