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Édito

L’illusion kaki

Par Zyad Limam - Publié en février 2022
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Si les coups d’État et les militaires pouvaient régler les problèmes de l’Afrique, ça se saurait.

Une étude menée par des chercheurs américains a dénombré plus de 200 coups d’État sur le continent depuis la fin des années 1950, la moitié d’entre eux étant qualifiés de succès (c’est-à-dire ayant duré au moins sept jours…). 200 coups d’État… Pour quels changements structurels ? Pour quelle révolution transformatrice ? L’Afrique se porte-t-elle mieux, globalement ? Si les militaires avaient les vraies bonnes solutions, les méthodes idéales pour « refonder », « corriger », « rectifier », on verrait des résultats qui dépassent les acronymes ronflants (MPSR et autres…), on verrait des pays forts et puissants, des institutions à toute épreuve. Au contraire. Et pire d’ailleurs, dans de nombreux pays, le coup d’État en appelle souvent un autre, favorisé par l’instabilité créée par le premier et/ou l’appétit d’une autre branche des uniformes. Et ainsi de suite.

On peut évidemment souligner la faiblesse de certains régimes civils, ou l’incurie de certains gouvernements « démocratiques », ou la défaillance des classes politiques court-termistes et souvent un peu trop gourmandes. On peut souligner que les régimes républicains de la ligne de front au Sahel n’ont pas su répondre aux défis sécuritaires. Mais cette bataille est-elle réellement possible sans un appui massif des pays riches ? Et les militaires locaux eux-mêmes ont-ils fait beaucoup mieux ? On peut rappeler que certains de ces présidents déchus ont tout de même été élus à la régulière ou presque, comme Roch Marc Christian Kaboré (mais aussi IBK, en tous les cas pour son premier mandat, et même le général en retraite Bah N’Daw avait une certaine légitimité). On pourrait surligner que les régimes militaires s’arrogent la totalité des pouvoirs, que l’arbitraire politique, économique, juridique, social, devient souvent la règle, aux dépens des contre-pouvoirs, des pouvoirs intermédiaires, de la société civile et de la justice. On pourrait aussi remarquer que ce sont les officiers qui deviennent les seuls maîtres du temps, à déterminer la durée et la nature des transitions (où les civils jouent souvent le rôle de faire-valoir).

Sur des opinions usées, épuisées par la gabegie économique, par la violence et l’insécurité, l’homme en galon peut apparaître comme un surhomme, un médicament miracle, une sorte de cocktail détonnant entre l’anxiolytique et l’antidépresseur, le tout dans un treillis bien lustré… Le discours est rodé aussi, nationaliste, populiste, vouant aux gémonies les puissances extérieures, la France, Paris, les impérialistes ou la planète Mars. Mais la réalité rattrape souvent cette fiction.

L’Afrique de ce début de XXIe siècle est peut être fragile, menacée, instable [voir pages 32-41]. Mais elle change. Les Africains sont ouverts sur le monde, ils sont jeunes, ils pratiquent d’une manière ou d’une autre la démocratie, l’échange des idées. Les sociétés africaines modernes sont trop complexes, trop métissées, trop diverses, trop désireuses au fond d’émancipation pour être dirigées au pas de l’oie. Et enfermées dans des formats décrétés par les militaires. Le monde extérieur tolère moins bien le coup d’État. Les sanctions s’accumulent. L’isolement se met en place, le business et le développement souffrent, les investissements se tarissent. Il faut alors négocier en position de faiblesse extrême. Et les populations sont impatientes. Du haut de la pyramide à la base, la descente peut être rapide…

Dans ces moments de semi- chaos, de désordre, on pense souvent à la phrase de Barack Obama : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions. » La gouvernance d’État et la démocratie restent l’objectif principal et l’instrument incontournable pour affronter les crises et la bataille du développement. Cette gouvernance et la démocratie incluent les forces armées, au service de la nation et des pouvoirs légitimes et élus. L’Afrique est au centre du monde, incontournable, et ce ne sont pas des militaires putschistes qui pourront montrer la voie.