L’impératif social
La sécheresse qui sévit depuis plusieurs années et les effets de la guerre en Ukraine ont des impacts particulièrement rudes. Le gouvernement se mobilise à court terme, tout en faisant de la lutte contre les précarités un axe essentiel de sa politique.
Après la crise du Covid-19 et les troubles chez son voisin éthiopien, qui ont fragilisé son économie et son pouvoir d’achat déjà faible, Djibouti doit continuer de faire face à une profonde crise sociale. En effet, 18% de la population souffrent d’extrême pauvreté (devant vivre avec moins de 2 dollars par jour) et 50% sont au chômage. Selon la Banque mondiale, ce fléau touche 70% des moins de 30 ans. En dépit d’investissements étrangers conséquents dans les infrastructures portuaires et de transport, le pays a encore du mal à s’industrialiser et à faire ruisseler ses bénéfices sur sa population. Si la Banque mondiale prévoit une croissance de 4,4% cette année et de 5,4% en 2024, il s’agit toutefois de créer davantage d’emplois en dehors du secteur public, des activités de service, et des secteurs bancaire et portuaire.
Il a d’abord fallu faire face aux conséquences des crises géostratégiques et climatiques. D’après la Banque mondiale, 68000 ménages des zones rurales et urbaines avaient besoin en 2022 d’une aide d’urgence. L’Association internationale de développement (IDA) a ainsi fait don de 30 millions de dollars, dans le cadre du « Projet d’urgence de protection sociale » engagé par l’État, pour permettre sur deux ans des transferts d’argent à 15000 ménages, soit 86000 individus, et 2200 étudiants des zones rurales, qui ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins. Le programme vise également l’autonomisation de 5000 ménages urbains, qui recevront 10000 francs djiboutiens et des plateaux-repas, et seront incités à créer leur activité économique.
Plus structurellement, le président Ismaïl Omar Guelleh et son gouvernement ont mis en place une véritable politique d’appui à la population. Grâce à une carte, la couverture médicale s’étend depuis 2014 à toute la population sans discrimination, que ce soit les actifs, du privé et du public, ou les chômeurs. Elle assure la gratuité des soins et des médicaments dans les centres de santé et les pharmacies de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS). Un système enviable pour certains pays occidentaux, car il est à l’équilibre, voire excédentaire. « La CNSS perçoit beaucoup plus de cotisations qu’elle n’a de dépenses. Par exemple, elle perçoit beaucoup de cotisations retraites, mais malheureusement, à cause d’une espérance de vie moins élevée qu’ailleurs, nombre de cotisants disparaissent avant de faire valoir leur droit ou profitent peu de leur retraite», indique l’économiste Zakaria Egueh, passé par la Banque africaine de développement (BAD) et l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti (DPFZA).
Gérés à 66% par le jeune Fonds souverain de Djibouti (FSD), ces capitaux sont ensuite placés dans des institutions financières, comme la Trade and Development Bank (TDB), banque de développement des États d’Afrique de l’Est, qui lui promet un rendement proche de 10% et dont elle est devenue actionnaire en y investissant 5 millions de dollars il y a deux ans, rappelle l’analyste.
FINANCEMENT ET ACCOMPAGNEMENT
Actuellement à la tête de deux cliniques dans la capitale, la CNSS y ouvrira cette année un hôpital général, édifice dont la première pierre a été posée en 2021. D’un montant de 80 millions de dollars financé par les fonds de la BAD et de la Banque islamique de développement (BID), il comprendra 220 lits et s’articulera autour d’une vingtaine de spécialités médicales et de 30 médecins. Faute de moyens techniques, la CNSS devait jusqu’à présent envoyer certains patients dans le privé pour des examens poussés, ou les évacuer dans des pays comme la Turquie. Mais une bonne santé ne va pas sans de bonnes conditions de logement, même dans un pays habitué culturellement à une certaine précarité du fait de son mode de vie nomade. Et au regard de la croissance de la population urbaine (+4,2% par an, selon la Banque mondiale), il fallait agir. 78% des habitants vivent en milieu urbain. En 2018, on estimait à un cinquième des Djiboutiens la population vivant dans des bidonvilles, comme celui de Balbala, à la périphérie de la capitale.
Mobilisant les financements et les dons étrangers, comme ceux du Fonds saoudien pour le développement et du secteur privé, la Fondation IOG, créée en 2016, construit de nombreux logements pour les personnes les plus démunies. À ce jour, 2100 logements ont été construits dans la capitale, une centaine à Ali Sabieh, des dizaines à Dikhil, Arta et Obock, et une centaine sont en construction à Tadjourah... À sa création, la fondation s’était donné l’objectif de fournir 20000 logements. Un effort soutenu en janvier par la Banque mondiale et ses 15 millions d’euros destinés à aider près de 2450 nouvelles familles à accéder à un logement décent.
Par manque de moyens et d’accès aux crédits, les classes moyennes peuvent difficilement s’offrir un logis. «Elles peuvent acheter leur bien au travers d’un dispositif de location-vente, avec des loyers réduits. Et pour ceux qui ne travaillent pas, ils peuvent bénéficier d’un logement gratuit», souligne Zakaria Egueh. Parmi les familles pauvres qui ont obtenu un logement, 1500 ont désormais accès à l’électricité, dans un pays où le kilowatt-heure est parmi les plus chers au monde, avec une tarification très avantageuse et l’eau gratuite pour tous.
Mais ce ne sont pas les seuls leviers qu’a activés l’État pour permettre au plus grand nombre de s’en sortir. Dans un pays où, selon l’Unicef, 70% des enfants ne finissent pas l’école primaire et 42400 enfants sont déscolarisés, Djibouti consacrait, en 2019, 20 % de ses dépenses courantes à l’éducation et la formation professionnelle. Et le gouvernement a fait de la réinsertion de ces enfants déscolarisés, qui sont surtout des adolescentes, une priorité. Des structures, appelées « Lire, écrire, compter », ont notamment été créées à Arta, Ali Sabieh, Tadjourah, Obock et Boulaos en partenariat avec l’Unicef. Une politique qui s’accompagne également d’un meilleur accès à l’eau dans les villages et lieux isolés, grâce à l’inauguration de citernes et de fontaines publiques, et à l’extension du réseau d’assainissement dans la capitale, financée en 2021 à hauteur de 12 millions de dollars par l’Agence française de développement (AFD).
De quoi renforcer et soutenir le tissu social, en attendant que la grande majorité puisse récolter pleinement les fruits de la croissance.