L’université veut se décentraliser
Publié en août 2019
Partir étudier à Abidjan une fois son bac en poche ne sera plus une obligation. Face à l’effectif grandissant d’étudiants, rapprocher les études supérieures des jeunes est devenu un impératif. En 2014, le gouvernement a initié le Programme de décentralisation des universités (PDU). Cinq ans après, il présente un premier bilan avec, à la clé, trois facultés en cours de construction, et en partie opérationnelles.
Incontournable, la principale université du pays, Félix-Houphouët-Boigny, à Cocody, l’un des quartiers résidentiels d’Abidjan, est saturée. Le campus de la faculté Nangui Abrogoua d’Abobo, également à Abidjan, tout comme le site de Bouaké n’arrivent pas non plus à contenir les quelque 250 000 à 300 000 bacheliers annuels, dont plus de la moitié provenait du privé. Jusqu’en 2013, ces trois établissements accueillaient en tout entre 80 000 et 100 000 nouveaux étudiants. Face à cette réalité, le gouvernement a initié, en 2014, un Programme de décentralisation des universités (PDU), l’objectif étant de rétablir plus d’égalité entre les jeunes en rendant plus accessible le système d’enseignement supérieur.
Enfin, l’implantation d’un campus, au sens noble d’aménagement du territoire, a impulsé un développement local bénéfique aux capitales régionales en les dotant d’investissements forts. « Une université qui s’implante dans une ville secondaire, ce sont des personnels d’enseignement, d’encadrement technique, des étudiants, une autre population qui arrive. Donc une nouvelle richesse qui est apportée à la ville », explique Macky Dembelé, coordonnateur PDU.
Projets en continu
Dans la pratique, le PDU repose essentiellement sur la construction de nouvelles infrastructures : cinq avant 2020, et encore cinq après 2020 [voir carte]. Chacune est portée par une « spécialité » adaptée à son contexte géographique. À Korhogo, l’agropastoralisme constitue le principal enseignement, alors qu’à Daloa, c’est l’agroforesterie. Pour Man, la géologie, les mines, les matériaux, l’agriculture. À San- Pédro, c’est la construction navale, les ressources halieutiques et le génie civil. À Bondoukou, c’est la littérature, les arts et lettres et l’architecture. Ces diverses branches n’empêchent pas les cours traditionnels en licence 1, 2 et 3. Mais en master 1 et 2, les élèves sont dirigés vers la faculté qui enseigne la spécialisation souhaitée. Bien qu’il y ait urgence, les politiques ont décidé d’avancer prudemment. « Le tout n’est pas de construire des bâtiments. Il faut aussi tenir compte de la disponibilité des ressources humaines, et notamment des enseignants, déjà insuffisants dans les structures existantes, ainsi que du personnel universitaire », confie une source proche de la primature. Le développement des établissements de San-Pédro – le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly a lancé les travaux en novembre 2018 – et de Bondoukou, par exemple, est organisé en quatre « phases ». Le nombre d’étudiants devra croître progressivement à chaque rentrée : 3 000, 7 000, puis 15 000, pour atteindre 20 000 étudiants lorsque le campus sera pleinement opérationnel.
Prévue pour être construite en trois étapes, l’université d’Adiaké devra, elle, former aux métiers du cinéma, de l’art, des industries culturelles et du sport. Le projet consiste à transformer cette ville du sud est en véritable hub universitaire pour la Côte d’Ivoire et la sous-région. L’idée est d’associer le secteur privé au succès de l’opération. Ce qui conduira, à terme, à la construction d’écoles maternelles, primaires et secondaires, de centres de police, de banques, de commerces, etc. Selon des sources proches du gouvernement, il n’est pas question de construire la structure d’un seul tenant. Cela se fera UFR [unité de formation et de recherche, ndlr] par UFR, étape par étape. « Par exemple, commençant par l’UFR des sciences cinématographiques, on construit les deux amphithéâtres, tous les bâtiments de travaux dirigés qu’il faut, et on laisse une zone attenante disponible pour le privé. Il s’installe et développe son activité en lien avec le cours qui est enseigné. Dans trois, quatre ou cinq ans, on voit comment cela se passe, et on essaie d’y ajouter un autre UFR », explique cette source.
Des difficultés à surmonter
D’une manière générale, la volonté politique est là, fortement réaffirmée par le président Alassane Ouattara lors de son discours du 31 décembre 2018. Cependant, le programme devra prendre en compte les contraintes en matière de ressources humaines et financières pour réussir. Macky Dembelé explique que cela a obligé le gouvernement à définir des tranches de réalisation puisque les finances de l’État ne permettent pas la réalisation des travaux d’une seule université de 20 000 places en une seule et unique tranche. Selon lui, le retard dans l’exécution des projets peut être minimisé, « car quand on parle de développement, il convient d’aller à un rythme qui accorde aux acteurs en charge de sa mise en oeuvre de bien comprendre ce qu’ils font eux-mêmes. Et là, il s’agit de discussions entre les spécialistes que nous engageons, les autorités administratives et politiques locales et, enfin, les populations pour valider la vision de leur université à l’horizon 2020 ».