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Dossier Côte d'Ivoire

L’urgence du développement durable

Par Elodie Vermeil - Publié en mai 2021
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Le parc national du Banco. NABIL ZORKOT
Le parc national du Banco. NABIL ZORKOT

​​​​​​​Protection des forêts, encadrement des cultures, assainissement des eaux, sauvegarde des lagunes, gestion des déchets… Les initiatives publiques, privées, issues de la société civile SE MULTIPLIENT pour protéger et faire fructifier un patrimoine menacé

La Côte d’lvoire est trop harmonieuse et sereine pour que la responsabilité soit prise de détruire aveuglément ses beautés naturelles et ses richesses les plus authentiques. L’homme est allé sur la Lune, mais il ne sait pas encore fabriquer un flamboyant ou un chant d’oiseau. Gardons notre cher pays d’erreurs irréparables qui pourraient, dans l’avenir, l’amener à regretter ses oiseaux et ses arbres », peut-on lire sur un panneau de la forêt du Banco. Ces mots, prononcés en 1971 par le président Félix Houphouët- Boigny, résonnent avec une acuité particulière, alors que l’urbanisation et la pression humaine fragilisent chaque jour davantage l’intégrité du premier parc national du pays. À l’autre bout de la ville, le boulevard Giscard d’Estaing, que l’on emprunte à la sortie de l’aéroport pour rejoindre le coeur de la capitale économique, offre une première image plutôt « aride » d’Abidjan. Difficile d’imaginer que cette vaste artère saturée de béton et de gaz d’échappement était autrefois séparée en deux par un terre-plein planté de flamboyants. Idem pour la lagune, sur les eaux transparentes de laquelle s’entraînait encore, dans les années 1980, l’ancien champion du monde de ski nautique Aymeric Benet, tandis que d’autres y pratiquaient le pédalo, la planche à voile… ou récoltaient les fruits d’une pêche abondante. L’agglomération abidjanaise croît à une telle vitesse et subit une pression démographique si importante que les efforts des pouvoirs publics relèvent parfois du pensum de Sisyphe. Pourtant, des actions fortes ont été entreprises dès la fin de la crise postélectorale de 2010-2011, dans le cadre du programme présidentiel d’urgence entamé par le volet salubrité. Depuis quelques années, prise de conscience planétaire aidant, les initiatives en faveur de l’environnement se multiplient, tant au niveau des autorités que de la société civile et du privé. La délicate équation cacaoyère, l’urbanisation galopante et le consumérisme effréné compliquent certes la mise en oeuvre de solutions pérennes, mais celles-ci existent et, accompagnées d’un travail de sensibilisation de fond, peuvent encore contribuer à infléchir la tendance. Aujourd’hui, une réelle transition est en train de s’opérer dans les mentalités et sur le terrain. La nouvelle politique forestière adoptée par le gouvernement est représentative de ce changement de paradigme.

Inverser la tendance de la déforestation

Avec un couvert forestier passé de 37 % du territoire national (16 millions d’hectares), en 1960, à quelque 11 % (3,4 millions ha), en 2015, la Côte d’Ivoire présente l’un des taux de déforestation les plus rapides du monde (plus de 200 000 ha de moyenne annuelle). En à peine six décennies, le pays a ainsi perdu plus de 80 % de sa forêt. Un constat « alarmant », selon Alain-Richard Donwahi – ministre des Eaux et Forêts depuis 2017 –, qui justifie la prise de conscience opérée au plus haut niveau de l’État : en 2014, au Sommet mondial sur le climat, le président Alassane Ouattara s’engageait fermement en faveur d’une « agriculture zéro déforestation ». Avec les nouveaux codes forestiers adoptés en 2014 puis 2019, le pays vise le reboisement de 20 % du territoire (environ 6 millions ha) à l’horizon 2030. Coût de l’opération sur la période : 616 milliards de francs CFA. La Côte d’Ivoire a aussi adhéré à l’initiative Flegt (Forest Law Enforcement, Governance and Trade), au mécanisme international de réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+) et à l’Initiative Cacao et Forêts contre la déforestation. En effet, dans ce pays dont l’économie repose essentiellement sur l’agriculture extensive, l’activité cacaoyère aurait contribué à hauteur de 30 % à la baisse du couvert forestier, les surfaces cultivées progressant, elles, de 40 % au cours des vingt dernières années (Banque mondiale). En cause également la criminalité forestière, avec l’orpaillage et le sciage clandestins. La politique concertée élaborée par le ministère des Eaux et Forêts et mise en oeuvre avec l’appui de diverses parties prenantes (Pnud, FAO, ONG, partenaires institutionnels, techniques et financiers, industriels, bailleurs de fonds…) se veut réaliste et pragmatique. Elle englobe à la fois la réhabilitation, le reboisement et l’agroforesterie pour utiliser moins de terre et « passer d’une agriculture extensive à une agriculture intensive, tout en faisant comprendre aux paysans, communautés et collectivités que les fruits de la forêt sont tous exploitables et que celle-ci peut rapporter de l’argent et être utile de différentes façons ». Une politique qui semble porter ses fruits puisque les chiffres de la déforestation, bien qu’encore importants, sont tombés à 60 000 ha/an en 2015, et à 47 000 ha en 2020 (Mighty Earth). Outre la création d’une Brigade spéciale de surveillance et d’intervention (BSSI) destinée à lutter contre « toutes les formes de criminalité liées à la forêt, à la faune et aux ressources en eau » et les partenariats stratégiques noués avec les industries de l’agroalimentaire et du bois (mise à disposition de « forêts utiles » pour exploitation et obtention de crédits carbone contre planting alterné et reboisement des parcelles), le ministère des Eaux et Forêts a également engagé en 2018 une vaste campagne nationale de sensibilisation au reboisement, à travers des opérations de planting étalées sur plusieurs mois et des actions en milieu scolaire menées en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale. « On a perdu assez de temps », affirme le ministre. Il est temps de semer les bonnes pratiques…

Akouédo : un second poumon vert en ville

L’ancienne décharge géante d’Akouédo, à Abidjan, devrait donner naissance à un parc de nouvelle génération (visualisation). DR
L’ancienne décharge géante d’Akouédo, à Abidjan, devrait donner naissance à un parc de nouvelle génération (visualisation). DR

Attendue de longue date par les populations vivant à proximité, la fermeture de la décharge d’Akouédo, mi-2019, constitue une réelle avancée dans l’assainissement du cadre de vie des Abidjanais. Elle coïncide avec l’entrée en service du Centre de valorisation et d’enfouissement technique de Kossihouen, à une quarantaine de kilomètres d’Abidjan. Arrivée à saturation en 2004, la décharge, ouverte en 1965, une époque où la population de la capitale économique n’excédait pas les 300 000 habitants – contre plus de 6 millions aujourd’hui, lesquels produisent quotidiennement près de 5 000 tonnes de déchets –, a accueilli jusqu’à sa fermeture la majeure partie des ordures ménagères de la ville, soit quelque 18 millions de tonnes en un peu plus de cinquante ans. Après plusieurs tentatives de réhabilitation dans les années 2000, rapidement abandonnées en raison de difficultés financières liées entre autres à la crise politique qui sévissait alors, c’est à l’opérateur ivoirien PFO Africa qu’a été confié le réaménagement du site, effectué en partenariat avec le groupe français Veolia. Emblématique des gros chantiers de la Côte d’Ivoire verte, ce projet consiste à réhabiliter 92 hectares de foncier pour en faire un vaste parc urbain doté d’infrastructures culturelles, sportives et éducatives… En somme, un Central Park ivoirien – le célèbre espace vert new-yorkais étant auparavant l’une des plus grandes décharges du monde. Dans un premier temps, les massifs d’ordures seront stabilisés et sécurisés (terrassement et remodelage, comblement des ravins, création de digues de soutènement), puis imperméabilisés à l’aide d’une couverture étanche. Des fossés périphériques permettront de canaliser les eaux de ruissellement vers la lagune sans qu’elles soient polluées au contact des déchets, et le biogaz issu de la fermentation de ces derniers sera capté par 200 puits de dégazage avant d’être acheminé vers une plate-forme technique où il sera traité et pourra être valorisé en énergie électrique grâce à une unité de cogénération. Selon les opérateurs, « en matière de réduction d’émissions d’équivalent CO2 dans l’atmosphère, ce traitement permettra une économie de l’ordre de 76 000 tonnes CO2/an ». L’eau accumulée dans les massifs d’ordures sera également captée par une centaine de puits mixtes et pompée vers la plate-forme technique, où elle sera dépolluée. Le dispositif sera complété par la création de bassins de stockage des eaux pluviales polluées par les lixiviats (jus toxiques issus de la fermentation des ordures). C’est le plus ancien des quatre secteurs de la décharge – où les déchets, relativement stabilisés, ne produisent plus de gaz – qui sera aménagé et ouvert au public. On y trouvera un centre de formation aux métiers de l’environnement, une zone de loisirs et de sports (terrains de volley, basket, handball, football, courts de tennis, skate park, piste de jogging…), une esplanade des arts, une promenade aménagée dans une parcelle de forêt, une « allée des géants » rassemblant les plus grands arbres du pays, une pépinière, un potager, etc. Les trois autres dômes seront progressivement ouverts au public au fur et à mesure de leur stabilisation. Ainsi réaménagé, le site donnera naissance à un ample parc urbain de près de 100 ha qui offrira un espace de vie sain et ludique aux populations. Le délai de réalisation des travaux (phases d’étude, parc urbain et toutes ses infrastructures), entamés début mars, est estimé à trente mois.

La lagune aux eaux blanches

C’est ainsi que les Ébrié qualifient l’eau de la lagune lorsqu’elle est trouble. Au cours des dernières décennies, cet immense plan d’eau de 560 km2, indissociable de l’identité d’Abidjan, a gravement pâti de l’emprise des hommes et de leurs activités : vidange de bateaux, pollution chimique d’origine agricole, rejets industriels, déchets ménagers et pharmaceutiques, déversement des eaux usées de Cocody, Yopougon, Riviera et Bingerville, sans oublier les déchets électroménagers et ferrailles en tout genre. Autant dire que les pêcheurs ont connu des jours meilleurs… La lagune respire mal, on le sent, on le voit, et du coeur d’Abidjan jusqu’à sa lointaine périphérie, elle charrie d’innombrables détritus qui stagnent en nappes peu ragoûtantes sur ses rives. L’État a bien tenté de l’assainir en 2008, puis en 2013, à travers le programme du Centre ivoirien antipollution (Ciapol), qui ambitionnait de dépolluer 125 ha de plan d’eau, mais sans succès. En 2019, la Côte d’Ivoire et la France ont noué un partenariat dans le cadre d’un projet mené en collaboration avec le ministère de l’Environnement et du Développement durable via le Ciapol, financé par la France. Celui-ci vise la conception d’un dispositif de collecte, de traitement et de valorisation des macrodéchets des baies lagunaires d’Abidjan ainsi que l’élaboration d’un programme de sensibilisation et de mobilisation de toutes les parties prenantes concernées par leur pollution. Pollution qui pose de réels problèmes de santé publique. Mais en l’absence de poubelles et de chaînes de ramassage, difficile de sensibiliser les habitants des quartiers populaires au respect de leur environnement. C’est pourtant ce que l’État et certaines initiatives privées s’évertuent à faire, dans l’optique de responsabiliser les Abidjanais aux enjeux d’hygiène afin de favoriser les bonnes pratiques en matière de déchets. Les mauvaises habitudes, comme jeter ses ordures directement dans la rue ou les brûler, ont en effet la vie dure, et sont l’une des causes de l’insalubrité à Abidjan, puisqu’elles entraînent la formation de dépôts sauvages, libèrent des substances toxiques dans l’air lors de leur combustion et, dans le cas des sachets en plastique (toujours utilisés par les petits commerçants sept ans après leur interdiction), bloquent l’évacuation des eaux usées, bouchant les canalisations et provoquant parfois des inondations. C’est afin d’enrayer ces comportements inciviques que l’Anasur a instauré en février 2017 les opérations « Grand ménage », qui mobilisent tous les premiers samedis du mois les habitants autour d’actions de nettoyage de la ville. Au-delà des projets décidés au niveau central, certains maires de commune profitent de leur proximité avec les administrés pour développer leurs propres actions de sensibilisation, comme Raoul Aby avec le programme « Marcory, commune propre, commune chic ».

Tous impliqués

De façon générale, dans le monde, on observe ces dernières années un engouement croissant pour la cause environnementale. En Côte d’Ivoire, les représentants du climate smart sont jeunes, dynamiques, fiers de leur pays et soucieux de son avenir. Ils se nomment Andy Costa (entrepreneur, influenceur, ambassadeur du vélo en Afrique), Nader Fakhry (explorateur 2.0 et infatigable promoteur de la destination Côte d’Ivoire), Yaya Koné (cofondateur et PDG de la start-up Coliba, qui met la technologie au service du recyclage des déchets plastique), Édith Kouassi (fondatrice de la start-up Ecoplast Innov, spécialisée dans la collecte et le recyclage de déchets plastique et de pneus), Eliza Saad (cofondatrice avec Lynne Fakhri et Sarah Sayegh de l’ONG IvoGreen, sensibilisant à l’approche écoresponsable et à la réappropriation par les populations du riche patrimoine naturel ivoirien), ou encore Kherann Yao (jeune champion Unicef, fondateur de l’ONG Green Ivory, qui mène des actions de sensibilisation dans les écoles primaires publiques)… Bien davantage qu’au prolongement d’une société régie par les codes mondialisés du protocole HSE (Hygiène sécurité environnement), on assiste véritablement au développement d’un écosystème vertueux témoignant d’un réel désir de mieux-être et de mieux vivre son environnement naturel et humain. En sport, cela passe par des excursions vertes à la (re)découverte des sites préservés d’Abidjan et alentour, ou des sorties plogging (collecte des déchets en courant ou en marchant) pour sensibiliser aux gestes de salubrité. Niveau gastronomie, on met en avant les produits locaux et healthy ; on privilégie les circuits courts, le locavorisme, les fruits et légumes naturels issus d’une culture raisonnée. Côté art, les plasticiens lèvent la voix et les outils pour la cause : quand Yéanzi réalise des portraits en faisant fondre sur des coupures de presse les sacs plastique usagés polluant son quartier, le sculpteur Jems Koko Bi fonde Abidjan Green Arts – première biennale des arts pour la forêt et l’environnement –, tandis que le photographe Ananias Leki Dago immortalise les splendeurs de la Nawa. Dans le domaine associatif non plus, les initiatives ne manquent pas : club Abidjan ville durable, association J’aime ma lagune, projet collectif d’écocitoyenneté Moi Jeu Tri, afterwork militant Green Drinks Abidjan, association Les Fourmis Vertes de Babi… et bien d’autres.

Miser sur l’écotourisme ​​​​​​​

La cité balnéaire de Grand-Béréby, avec son aire marine protégée. NABIL ZORKOT
La cité balnéaire de Grand-Béréby, avec son aire marine protégée. NABIL ZORKOT

Le pays a aussi une belle carte à jouer avec l’écotourisme et les occasions de création d’emplois et de devises que celui-ci représente. L’ambitieuse stratégie « Sublime Côte d’Ivoire », élaborée pour 2018-2025, inclut dans ses neuf projets un volet important lié à ce domaine d’activité. Combinant développement durable, écologie et services, il pourrait avoir un impact positif sur des problèmes sociétaux, comme l’exode rural et le chômage, grâce à la valorisation des régions, la grande capacité d’absorption des emplois et le vaste champ d’activités concernées : transports, hébergement, culture, restauration… En la matière, et depuis quelque temps déjà, plusieurs initiatives privées se distinguent. Pionnier dans ce secteur, Jean-Marc Bini est le créateur des domaines BINI (l’un à une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan sur l’autoroute du Nord, deux autres non loin de Bingerville), lesquels proposent une expérience « terroir » amusante et instructive, à la découverte des traditions et de la riche flore ivoirienne. Dans un tout autre registre, l’hôtel-restaurant L’Île flottante, construit par le Français Éric Becker, se compose d’une dizaine de structures en matériaux naturels reposant sur des caissons remplis de quelque 700 000 bouteilles et autres déchets plastique récoltés dans la lagune Ébrié. Autre lieu, autre île : celle des Robinsons, à Grand-Lahou, splendide témoin de l’érosion qui ronge peu à peu l’ancien comptoir. Au programme : ventilation naturelle, éclairage solaire, douche à l’eau de pluie, pêche et marché du jour, empreinte carbone minimale ! Du côté de Grand-Béréby, à Tabaoulé, Jean-Paul et Daniel Hameidat, eux, proposent une autre expérience à la Robinson Crusoé dans leur bel écolodge axé sur l’autosuffisance et la préservation de l’environnement. Implanté sur un sanctuaire préservé et lieu de ponte privilégié de tortues marines, leur « camp retranché » bénéficie d’une proximité exceptionnelle avec ces magnifiques reptiles, activement protégés depuis 2010 par l’ONG CEM (Conservation des espèces marines en Côte d’Ivoire), avec laquelle les frères Hameidat travaillent en étroite collaboration. C’est à Grand- Béréby que, fin 2020, les autorités ont officiellement annoncé la création de la première Aire marine protégée de Côte d’Ivoire, qui devrait dynamiser le tourisme local et entraîner des retombées favorables en matière de création d’emplois.