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La mosquée nationale d’Abuja est l’un des plus importants édifices de la capitale fédérale.SHUTTERSTOCK
La mosquée nationale d’Abuja est l’un des plus importants édifices de la capitale fédérale. SHUTTERSTOCK
Découverte / Nigeria

L'urgence et l'ambition

Par Emmanuelle Pontié - Publié en janvier 2024
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Restaurer la confiance et attirer les investissements en masse pour financer le développement et résorber la pauvreté. C’est le pari audacieux du chef de l’État. Et il a quatre ans pour réussir.

224 MILLIONS D’HABITANTS. Soit 2,80% de la population mondiale. Un sous-sol regorgeant de réserves en pétrole, gaz, or, lithium, étain, tantale. Trois des dix hommes les plus riches d’Afrique, dont Aliko Dangote, qui caracole en tête du palmarès continental avec une fortune estimée à 13,5 milliards de dollars. Un marché immense, la première économie du continent en volume, avec un PIB de 440 milliards de dollars, mais aussi des disparités abyssales dans un pays où 133 millions de citoyens vivent dans la pauvreté, dont 71 millions dans l’extrême pauvreté, et où les gratte-ciel aux vitres argentées, les Hummer et les villas au luxe insolent ornées de barbelés et de gardes armés côtoient les bidonvilles et les masures les plus misérables. Bienvenue au Nigeria, le géant anglophone d’Afrique de l’Ouest, qui trône au sein de nations francophones dont le budget national dépasse parfois de peu celui de Lagos State et sa fameuse capitale économique hors norme, fascinante et réputée ingérable. C’est justement l’ancien gouverneur de Lagos, Bola Ahmed Tinubu, qui a prêté serment le 29 mai dernier, après les élections générales du 25 février, pour présider aux destinées du pays. Au terme d’une campagne agitée début 2023, avec plusieurs recours de l’opposition contre son élection, dont les derniers sont finalement rejetés par la Cour suprême fin octobre, il devient président. L’ambition de toute une vie, pour ce Yoruba musulman (ce qui n’est pas fréquent) de 71 ans. Bola Tinubu, fils de commerçants, qui a fait fortune aux États-Unis après de brillantes études de comptabilité et un début de carrière chez Deloitte, rêve de politique dès ses 30 ans. Il rentre alors au Nigeria pour être élu sénateur de Lagos Ouest. Mais le coup d’État du 12 juin 1993 du général Sani Abacha l’oblige à fuir le pays. Il séjourne à Cotonou, d’où il œuvre au rétablissement de la démocratie dans son pays. À la mort de Sani Abacha en juin 1998, Bola Tinubu rentre à Lagos, où il est élu gouverneur de l’État en 1999, puis en 2003. Redoutable businessman, sa fortune s’étoffe. Ses détracteurs le surnomment le Parrain. Mais ce dernier prouve en deux mandats de quatre ans que la capitale économique peut être «gérée». Il fait diminuer l’insécurité, entre autres en donnant aux milliers de voyous des postes de… sécurité. Il réduit les go slow, améliore les accès à l’électricité et change le visage de la ville qui, tout en restant bouillonnante, devient plus vivable et fréquentable. Il prend les rênes du pouvoir avec la réputation d’un homme rompu aux arcanes du pouvoir et de la politique, même si une bonne partie de la population n’a pas voté pour lui, notamment les jeunes, craignant pour certains une continuité avec les deux précédents mandats APC décevants de Muhammadu Buhari. Pourtant, dès son installation à la villa présidentielle d’Aso Rock à Abuja, le nouveau chef de l’État donne le ton et impose des réformes courageuses. Il supprime les subventions sur le carburant, qui plombaient les finances du pays depuis des années, avec un gouffre équivalent à 10 milliards de dollars par an, soit un cinquième du budget fédéral. Au risque de mettre le feu dans les quartiers. Les syndicats sont vent debout, mais il arrive à les calmer, au moins pour un temps, à force d’habiles négociations. Il décide aussi d’augmenter les salaires des fonctionnaires, sous forme de primes immédiates, avant de planifier demain une augmentation pérenne du salaire minimum.

UNE BATTERIE DE RÉFORMES

Il faudra d’abord convaincre la jeunesse, très nombreuse. Ici, sur le parking du centre commercial The Palms, à Ibadan.SADAK SOUICI
Il faudra d’abord convaincre la jeunesse, très nombreuse. Ici, sur le parking du centre commercial The Palms, à Ibadan.SADAK SOUICI

Il débloque des soutiens d’urgence en cash pour les couches les plus pauvres, ainsi que 240 millions d’euros pour le secteur agricole, 150 millions d’euros pour les PME et 90 autres millions pour le secteur manufacturier. Il déclenche aussi une dévaluation de la monnaie, ce naira avec lequel il faut remplir un sac géant pour payer un dîner dans un restaurant chic, et annonce la fin des taux de change multiples pour aligner l’officiel sur celui du marché noir. Des mesures, applaudies par les économistes, qui étaient attendues mais toujours reportées par son prédécesseur Buhari, surnommé Baba go slow par ses détracteurs. Des mesures, aussi, directement destinées à doper l’investissement, premier cheval de bataille du mandat Tinubu. La feuille de route de son gouvernement est claire: attirer le maximum d’investisseurs dans le pays afin de redresser la barre et financer le développement. Second axe: ne plus dépendre du seul or noir, un secteur sans cesse en baisse depuis une dizaine d’années à cause de la corruption, des pillages et des détournements massifs de barils. Le mot d’ordre, c’est diversifier. En boostant l’agriculture, d’une part, et les mines, d’autre part. Le sous-sol du pays, exploité avant l’indépendance pour ses minerais précieux, la richesse de leur teneur et l’ampleur des réserves, avait été laissé à l’abandon au profit du pétrole providentiel. Aujourd’hui, le pays mise sur le retour des sociétés locales et étrangères pour y investir. Par ailleurs, selon le ministre d’État Ekperikpe Ekpo chargé des Ressources pétrolières et du Gaz, le projet du gazoduc Nigeria-Maroc (d’une longueur de 5700 kilomètres et d’un coût de 25 milliards de dollars) devrait entrer en travaux dès 2024. Les réserves en gaz du Nigeria, colossales, couplées à celles des pays voisins, devraient approvisionner demain l’Europe à des prix compétitifs. Un nouveau marché qui s’ouvre.

REPRENDRE UNE PLACE À LA HAUTEUR

Inspirée de Dubaï, la Centenary City d’Abuja sera smart et business.NICK HANNES/PANOS-REA
Inspirée de Dubaï, la Centenary City d’Abuja sera smart et business.NICK HANNES/PANOS-REA

En bref, et en à peine plus de six mois, Bola Tinubu a commencé son mandat sur les chapeaux de roues. S’attaquant à tous les secteurs, assistant à toutes les grandes rencontres mondiales, comme le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris, Africa Climate Summit à Nairobi ou le G20 à New Delhi. Réputé travailleur infatigable, il garde ses collaborateurs à la villa d’Aso Rock jusque tard dans la nuit et reçoit ministres et visiteurs non-stop. À Abuja, le rythme incessant d’impressionnants Land Cruiser noirs aux vitres teintées donne le tempo. Les allers-retours en avion entre Abuja et Lagos aussi. Le monde politique et celui du business s’entremêlent, signent des contrats, revisitent les lois qui doivent sécuriser le business, assainir les zones où l’insécurité sévit, notamment au nord avec Boko Haram. Au-delà de la volonté affichée de remettre la «machine» en route, l’autre ambition est de clamer: «Nigeria is back!» Pour la sous-région, déjà. Le Nigeria a pris la tête de la Cedeao et a frappé fort dès le départ, en menaçant les putschistes nigériens d’une guerre, déclenchant la stupéfaction internationale. Une manière de montrer que la nation souhaite prendre sa place dans l’environnement francophone, y compris politiquement, et y faire valoir son opinion. Ce qui est assez nouveau. Pour sa première visite chez ses voisins, le président a choisi le plus proche, le Bénin, à l’occasion de sa fête nationale. Mais l’ambition du grand pays va au-delà. Avant le départ pour le G20 de New Delhi, la question d’une candidature du pays comme 21e membre du club des très grands a été évoquée. Et devrait faire son chemin dans l’avenir. Bola Tinubu a quatre ans pour réussir. Dans un pays où la démographique donne le tournis et où l’urgence sociale aura du mal à trouver des réponses en quelques années, le pari des investissements massifs pour exploiter son immense potentiel et financer le développement est audacieux. En attendant, à ce jour, il semble qu’une page se tourne. Le rythme, les idées, la manière de gérer a changé. Une autre équipe est aux commandes. Mais une bonne partie des Nigérians, dont les préoccupations se trouvent à des annéeslumière de l’agitation d’Aso Rock, attend de voir pour croire à un réel changement.