
La BAD en quête d’un nouveau leadership
La Banque africaine de développement élira son nouveau président à Abidjan le 29 mai prochain, dans un contexte de bouleversements macroéconomiques mondiaux. Et avec l’exigence de mieux répondre aux défis du continent. L’ancien ministre mauritanien Sidi Ould Tah se présente à la fois comme le candidat de la raison et du changement.
Le 29 mai prochain à Abidjan, le Conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement procédera à l’élection du successeur du Nigérian Akinwumi Adesina, qui ne peut se représenter au terme de ses deux quinquennats (2015-2025). Cinq candidats sont en lice : l’ex-vice-présidente de la banque, la Sud-Africaine Bajabulile Swazi Tshabalala, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli (ex-gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale – BEAC), le Sénégalais Amadou Hott (ancien ministre, qui fut l’envoyé spécial de la BAD auprès de l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique), le Zambien Samuel Munzele Maimbo (ex-haut responsable de la Banque mondiale) et enfin le Mauritanien Sidi Ould Tah, qui a dirigé pendant dix ans (2015-2025) la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). Une élection qui se déroule dans un climat tendu. Les États-Unis sont le premier actionnaire non africain de la BAD avec 6,35 % des parts et 6,5 % des droits de vote… Et l’administration Trump réexamine la participation américaine dans chacun des organismes multilatéraux, accusés de ne pas être assez en phase avec les intérêts de Washington. Ou de défendre un agenda de « gauche » : climat, énergie renouvelables, dépendance à la Chine…
Dans ce contexte international, il faut aussi répondre plus efficacement aux défis du continent : infrastructures, transition énergétique, sécurité alimentaire, emploi des jeunes, endettement, sans oublier les impacts des chocs exogènes (Covid, guerre en Ukraine, etc.). Les besoins africains de financement sont estimés à 400 milliards de dollars par an, en partie assurés par les différentes Banques multilatérales de développement. La BAD a accordé plus de 10 milliards de prêts en 2024, dont près de la moitié pour des projets liés à la résilience climatique et à la transition énergétique. En juin dernier, le conseil des gouverneurs de la Banque a approuvé une augmentation de capital de 117 milliards de dollars pour atteindre 200 milliards. C’est la seule institution financière africaine que les agences de notation (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch Ratings) gratifient d’un Triple A. Mais pour les observateurs, la question de l’efficacité, de la rapidité, de la flexibilité de la banque se pose aujourd’hui avec autant d’acuité que celle du capital. Et un certain nombre d’actionnaires souhaiteraient élire un président de changement, d’adaptation.

Entré le dernier dans la compétition, le mauritanien Sidi Ould Tah, 60 ans, pourrait correspondre au « profil ». Ancien représentant de son pays à la Banque mondiale et au Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES), il a ensuite été ministre de l’Économie et des Finances de son pays (2008-2015). Il a surtout présidé, de 2015 à 2025, la BADEA, Banque arabe pour le développement économique en Afrique. Sous sa direction, l’institution a multiplié ses financements par dix, s’imposant comme un acteur incontournable du paysage financier africain, notamment dans l’appui aux microentreprises et aux PME, et dans le développement des infrastructures, en particulier dans les pays enclavés. C’est surtout un praticien expérimenté des milieux financiers des pays du Golfe, dont les investissements en Afrique subsaharienne ont dépassé 100 milliards de dollars depuis 2012. Dans le contexte actuel, Émirats arabes unis, Arabie saoudite et Qatar seraient susceptibles d’apporter le surplus de financement dont le continent a besoin. À condition, comme le souligne un observateur, « de pouvoir corriger les a priori négatifs sur la stabilité du continent ».
Coordonner l’action des BMD
Ces derniers mois, le candidat mauritanien a reçu le soutien du président Alassane Ouattara et de la Côte d’Ivoire, pays du siège, locomotive régionale au sein de la CEDEAO et qui représente 4 % des droits de vote à la BAD. La très influente Tanzanienne Frannie Leautier, ex-cheffe de cabinet du président et du vice-président de la Banque mondiale et ex-vice-présidente de la BAD, lui apporte son « soutien total », le qualifiant d’« homme de peu de mots mais d’actions concrètes ». Ould Tah est « quelqu’un qui connaît bien le système des BMD, comprend les enjeux africains et peut négocier à l’échelle internationale », écrit-elle dans une tribune publiée par Jeune Afrique en février.
Sidi Ould Tah s’est lancé dans la course à la présidence en janvier, soit un an après le premier candidat déclaré, le banquier tchadien Abbas Mahamat Tolli, qui est soutenu par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Ould Tah n’a jamais travaillé à la BAD, ce qui pourrait lui permettre de jouer, auprès des actionnaires, la carte du candidat du renouveau. Notamment face à l’ancien ministre sénégalais Amadou Hott ou à Bajabulile Swazi Tshabalala, ex-vice-présidente de la BAD. La Sud-Africaine est la seule femme en lice et elle bénéficie du soutien actif de son président, Cyril Ramaphosa. Son élection serait une première. Mais elle doit affronter un autre candidat issu de l’Afrique australe (zone SADEC), le Zambien Samuel Munzele Maimbo, qui a fait une longue carrière à la Banque Mondiale de Washington.
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Rencontré à Paris à la mi-avril, Sidi Ould Tah confie à Afrique Magazine qu’en cas d’élection le 29 mai, il s’accordera « cent jours de réflexion et de consultation » au siège, afin d’écouter « toutes les parties prenantes » : banques, assureurs, entreprises, mais aussi think tanks, société civile, médias… « La BAD a son rôle central à jouer, mais tout le monde est impliqué dans le développement », déclare-t-il. Le candidat assume vouloir « changer de méthode afin d’avoir davantage d’impact, trouver les moyens d’accélérer les processus, tout en respectant les règles ». Son programme, explique-t-il, consisterait en une mobilisation accrue de ressources, notamment via la restructuration de l’architecture africaine de financement et une coordination accrue des politiques des diverses BMD panafricaines (la BAD, mais aussi la Banque ouest-africaine de développement – BOAD –, Africa Finance Corporation – AFC –, la Banque africaine d’import-export – Afreximbank –, etc.). Il compte également « transformer » l’endettement en investissement, grâce au secteur privé, notamment en s’appuyant sur les PME/PMI, formaliser le secteur informel et son maillage de microentreprises. Ce qui pourrait évidement séduire les conservateurs américains… Surtout, il entend faire de la vague démographique africaine un atout plus qu’un handicap : « En 2050, un humain sur cinq sera Africain », rappelle Sidi Ould Tah, qui souligne que le continent, fort de ses importantes potentialités (jeunesse, terres arables, minerais, capacité solaire, etc.), peut devenir « un géant du monde ».