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Édito

La fin du Sahel ?

Par Zyad Limam - Publié en octobre 2022
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Au moment où ces lignes sont écrites, le Burkina Faso vit son second coup d’État en huit mois (et le neuvième depuis l’indépendance…). Un officier, le capitaine Ibrahim Traoré, en remplace un autre, le lieutenant-colonel Damiba. Pendant ce temps, l’offensive coordonnée des groupes djihadistes s’amplifie. 40 % du territoire échappe au contrôle des autorités. Et les services de base, comme l’école ou la santé, sont profondément impactés. La situation humanitaire s’aggrave chaque jour un peu plus, avec son lot de réfugiés, de déplacés.

Au moment où ces lignes sont écrites, la ville de Djibo, au nord du pays, est sous blocus djihadiste. Nous ne sommes qu’à 200 km de la capitale. Plus rien ne rentre : ni nourriture, ni eau, ni produits de première nécessité, ni médicaments. Plus personne ne sort depuis la mi- février. Presque huit mois… La ville est menacée par la famine. Le 26 septembre, un convoi de ravitaillement, avec plusieurs dizaines de poids lourds, a été annihilé par les djihadistes. Au moins 11 soldats ont été tués. Et 50 civils sont portés disparus.

Dans un pays longtemps considéré comme un exemple de vivre-ensemble, le conflit fait sauter les digues. Les Peuls, soupçonnés d’être la cinquième colonne du terrorisme, sont stigmatisés. Les discours de haine se multiplient, traversant les frontières. Sur les réseaux sociaux, sur les pages Facebook, certains n’hésitent pas à appeler à « l’épuration ethnique ».

Au Mali voisin, la situation n’est guère plus enviable. Le régime militaire dirigé par Assimi Goïta paraît incapable de faire face à l’offensive de l’organisation État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), en particulier dans le nord-est du pays. Les offensives s’accentuent depuis mars dernier. Et le retrait de la force Barkhane a fragilisé un peu plus les lignes de défense. Les troupes du groupe de sécurité privée russe Wagner ne semblent pas en mesure d’inverser la tendance, et encore moins d’assurer une meilleure protection des civils. À Bamako, le pouvoir paraît surtout concentré à ouvrir des fronts aussi inutiles que contre-productifs. Contre la société civile, contre ce qui reste de démocratie, contre le Niger, son voisin historique, en insultant son président à la tribune des Nations unies. Contre la Côte d’Ivoire, son principal partenaire, son voisin au sud, là où vivent près de 3 millions de Maliens, en instrumentalisant ad nauseam la crise des 46 soldats ivoiriens détenus. Seul le Niger semble tenir, pour le moment, malgré ses fragilités immenses, ses frontières quasi incontrôlables. Peut-être parce que le pacte social est plus ancré. Et que la gouvernance est mieux structurée.

Si les militaires savaient gérer (mieux que les civils), s’ils avaient cette fameuse recette magique pour gouverner et sauver un pays, ça se saurait. Les statistiques ne jouent pas en leur faveur. Sur le plan de la gouvernance, mais aussi sur le plan de la sécurité. Les militaires n’ont pas les moyens, la logistique qu’ils demandent à l’État. Mais l’État est pauvre, souvent faillible, corrompu. Être au pouvoir ne fera pas apparaître, par miracle, plus d’armes, plus de logistique, plus de moyens…

Évidemment, on peut critiquer la France, faire indéfiniment le procès du néocolonialisme. Faire de Paris la cible expiatoire de toutes les douleurs, à Dakar, à Bamako, à Ouagadougou. On peut continuer à se tromper d’époque pour nourrir la foule. Alors que l’enjeu, c’est la gouvernance, ses propres forces. Oui, la France perd son influence. Mais on peut difficilement lui reprocher l’effondrement sécuritaire de la région. C’est le seul pays qui a réellement mis ses hommes sur le terrain. Et si Paris intervient, ce n’est pas pour l’argent, les ressources, les mines, ou quelque autre improbable trésor. Tout cela est marginal pour la septième puissance économique mondiale.

Dans le même registre, on peut faire croire que la grande Russie viendra sauver le Sahel. Qu’elle incarne le nouvel étendard anticolonial, au moment même où elle s’attaque, sans provocation, à son voisin, l’Ukraine, dans un pur moment d’impérialisme. On peut faire croire que la Russie n’utilise pas l’Afrique pour monter les enchères dans cette nouvelle guerre froide, semi-chaude, qui s’installe, pour contrer la France justement. On peut faire croire au peuple qu’une société de sécurité privée viendra résoudre les problèmes et les impuissances des armées nationales. On peut faire même croire qu’elle s’intéresse au développement des « frères africains ».

On peut nous faire croire tout cela. Mais la vraie question, c’est l’incapacité des États concernés de faire face à la menace, à mieux combattre. La vraie question, c’est de faire nation, de rassembler. La vraie question, c’est de rétablir des institutions civiles viables, promouvoir la gouvernance, la démocratie interne. La vraie question, c’est d’investir, même le peu, qu’il y a dans le développement économique, dans le désenclavement. La vraie question, c’est de promouvoir la solidarité régionale, s’appuyer sur les institutions ouest-africaines, sur les alliances entre États de la région pour faire front ensemble, pour s’entraider.

Bien sûr, les cyniques répondront : on peut rêver. Mais tout le reste n’est que propagande illusoire et suicidaire. Dont le coût sera immense pour des dizaines de millions d’Africains sahéliens.