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Révolution numérique

La jeunesse s'engage

Par Julien Wagner - Publié en mai 2017
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Une génération entreprenante et créatrice émerge, surfant sur la RÉVOLUTION NUMÉRIQUE. Ces quadras et trentenaires créent des entreprises ou des activités avec le souci des enjeux sociaux.
 
Sur la scène culturelle, le professionnalisme de toute une génération d’entrepreneurs nés dans les années 1970 et 1980 n’est plus à prouver. La blogueuse Aïsha Dème, cofondatrice d’Agendakar, première plate-forme culturelle online du Sénégal, a lancé en 2009 son agence de communication numérique, Nelam Services. Spécialiste du community management et de la publicité sur Internet, son équipe a lancé pour différents clients l’application web et mobile Ndakaru (« Dakar », en wolof), afin de mieux circuler dans la capitale, engorgée par ses embouteillages.
 
Elle a aussi signé la campagne « No Smoke Revolution », qui a soutenu l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Le chanteur Faada Freddy et son ami Ndongo D, du groupe de hip hop Daara J, ont monté leur studio à Dakar, Bois sacré, qui permet à leurs cadets d’enregistrer dans des conditions professionnelles. Ils se distinguent par ailleurs par leurs clips léchés, d’une grande qualité visuelle comme Sénégal, qui a carrément fait en 2015, en partenariat avec le gouvernement, la promotion du pays comme destination touristique.
 
La jeune réalisatrice Angèle Diabang, ancienne présidente du Bureau sénégalais des droits d’auteur (BSDA), a signé un documentaire remarqué sur le gynécologue congolais Denis Mukwege. Elle a fondé sa société à Dakar, Karoninka, pour produire ses films, mais aussi ceux d’autres cinéastes, des jeunes bourrés de talent comme elle. Parmi eux, El Hadj Mamadou « Leuz » Niang, né en 1973, devenu réalisateur et producteur de séries télévisées à grand succès, telles que Un café avec… et Dinama Nekh, dont les deux premières saisons ont été achetées par A+, la filiale africaine de Canal+.
 
Formé au Média Centre de Dakar, sa ville, qu’il n’a jamais quittée, il a d’abord été technicien dans l’audiovisuel puis s’est fait connaître en réalisant des clips pour différents artistes musiciens. Il a travaillé pour le label Jololi, détenu par Youssou N’Dour, avant de réaliser avec Angèle Diabang et Ousseynou Ndiaye un film intitulé L’homme est le remède de l’homme, puis son documentaire Les Pieds dans l’eau sur les inondations récurrentes à la saison des pluies dans les banlieues de Dakar (Prix 2010 des meilleurs jeunes réalisateurs de l’UEMOA).
 
Autre grande figure dakaroise, Omar Victor Diop, 37 ans, qui a quitté une carrière prometteuse dans la communication chez British American Tobacco, après une grande école de commerce parisienne, pour se lancer dans sa passion, la photo, avec une rigueur que ses aînés ne peuvent que lui envier.
 
Il s’est justement fait connaître en mettant en lumière le dynamisme de sa génération, avec ses portraits d’activistes culturels dakarois – notamment Adama Paris, fondatrice de Dakar Fashion Week, Aïsha Dème et beaucoup d’autres. Animé par un esprit d’entreprise fort, il mène sa barque grâce aux outils que lui donnent la photo numérique et les réseaux sociaux. Le voilà parti en orbite sur la scène artistique internationale avec ses séries inspirées d’auto portraits (Diaspora) qui revisitent l’histoire coloniale. Connu et reconnu, il reçoit désormais des commandes conséquentes de direction artistique de campagnes de publicité pour Pernod Ricard, d’un spécial « déco » de Madame Figaro, en passant par des installations de vitrines pour une grande marque de luxe.
 
Ces célébrités ne sont que les arbres qui cachent la forêt. Toute une génération de jeunes entrepreneurs s’active à Dakar, décidée à ne pas quitter le pays, mais à le construire, et le voir se transformer sous leurs yeux, en y participant activement. La trentenaire Moussoukoro Diop a été repérée par le magazine Forbes Afrique en juin 2015 comme l’une des rares femmes à innover en Afrique de l’Ouest dans le digital. Membre du Réseau des blogueurs du Sénégal, elle a participé à l’organisation du premier Forum Africtivistes à Dakar en 2016, et se déclare « prête à tweeter la révolution, à changer les mentalités, à lutter pour une nouvelle forme de démocratie en Afrique en utilisant les nouveaux médias, en mobilisant sur des campagnes par les réseaux sociaux ».
 
Ces campagnes citoyennes et collectives ne sont pas seulement sénégalaises, avec le mot d’ordre politique lancé en 2011 « Wade dégage », puis le « Non au mur » qui s’est opposé à un projet immobilier qui aurait défiguré la Corniche à Dakar, ou encore la campagne de prévention sanitaire « SenStopEbola ». Elle a aussi participé à « Bring back our girls » en faveur des lycéennes de Chibok au Nigeria et lancé #JigeenuSenegal (« Les femmes du Sénégal », en wolof), un réseau de blogueuses qui rend hommage aux destins ordinaires et aux luttes quotidiennes des femmes du pays.
 
L’entrepreneur Fary Ndao, ingénieur géologue de 29 ans passionné par les questions énergétiques et écologiques, est aussi un poète et slameur. Il signe des tribunes sur le site associatif Teranga Web, vitrine du think thank L’Afrique des idées, et s’active lui aussi dans le multimédia. Il se présente d’emblée sous différentes casquettes : « Géologue, entrepreneur et artiste. Passionné de science, de sport et d’Afrique. » L’une de ses dernières actions a consisté à créer un mapping (carte interactive numérique) pour aider les citoyens à repérer les lieux d’inscription pour obtenir la carte d’identité et d’électeur biométrique Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).
 
Son point de départ : « Remédier au manque d’informations fiables et centralisées sur les différents lieux des commissions d’inscription, en croisant des données obtenues par des jeunes sur Facebook et Twitter, puis Google Maps et Open Street Map ». Le tout est fait gratuitement, sur son temps libre, en marge de ses activités de consultant dans le secteur pétrolier, lui aussi en plein essor au Sénégal.
 
Pape Alé Niang, journaliste sur la chaîne de télévision privée 2STV, n’anime pas seulement plusieurs émissions de débat politiques et culturelles très suivies – Pile ou Face, Décryptage, Ça me dit Mag et La Touche originale –, il a aussi lancé son site d’informations généraliste, Dakar Matin.
 
Des incubateurs d’entreprises tentent de décupler l’énergie déployée par les jeunes pour percer. Ainsi, la plate-forme publique-privée CTIC Dakar, premier incubateur dédié aux TIC, lancé en 2011, a soutenu 75 entreprises qui emploient aujourd’hui 150 personnes qualifiées et coaché 2 000 jeunes diplômés pour les aider à lancer leur activité. Parmi eux, Aïsha Dème et son agence Nelam Services, mais aussi Sérigne Barro, fondateur de l’agence digitale People Input en 2002, une entreprise de 45 employés qui vend des solutions web et mobiles à des opérateurs télécoms, des groupes média et des institutions au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Cameroun.
 
L’équipe de CTIC Dakar est menée entre autres par Eva Sow Ebion, une jeune Franco-Sénégalaise qui se destinait initialement à l’art en France, mais qui a décidé de s’installer à Dakar pour canaliser de manière positive toute l’énergie qui peut s’y trouver. Elle est désormais invitée à travers le monde dans des forums prestigieux pour partager son expérience d’incubation d’entreprises au Sénégal. La liste serait trop longue pour être exhaustive, mais des initiatives telles que CTIC ou Jokkolabs, un espace de coworking pour jeunes entrepreneurs lancé en 2010 à Dakar, sont en train de faire des émules et d’essaimer, portant haut les espoirs d’un Sénégal moderne, épanoui et prospère.