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Le Premier ministre Robert Beugré Mambé aux côtés du président Alassane Ouattara.PRESSE DE LA PRÉSIDENCE DE CÔTE D’IVOIRE
PRESSE DE LA PRÉSIDENCE DE CÔTE D’IVOIRE
Récit

La longue marche vers la coupe

Par Zyad Limam Dominique Mobioh Ezoua - Publié en décembre 2023
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Depuis 2014, la Côte d’Ivoire s’organise et investit pour accueillir la CAN. Un effort réellement national et un enjeu en matière de visibilité et d’image globale.

Le pari et l’engagement étaient d’ampleur. Le 19 septembre 2014, à Addis-Abeba, Lambert Feh Kessé, président du Comité de pilotage, présente le dossier de candidature de la Côte d’Ivoire pour l’organisation de la CAN 2019 ou 2021. Pour un pays en train de panser les plaies d’une crise armée encore fraîche dans les mémoires, la démarche revêt un caractère presque thérapeutique et offre un horizon motivant. Alassane Ouattara, le chef de l’État nouvellement élu, cherche à mobiliser les énergies et à replacer la Côte d’Ivoire sur la carte. Le football reste un dénominateur commun à tous les Ivoiriens, et la Coupe d’Afrique des nations est devenue au fil des années un rendez-vous sportif majeur à l’échelle globale. Le pays des Éléphants a des arguments à faire valoir. La Côte d’Ivoire a déjà organisé la Coupe d’Afrique en 1984, avec deux villes hôtes: Abidjan et Bouaké. Elle a remporté deux fois la compétition, en 1992 (avec la bande de Yéo Martial) et en 2015 (avec celle d’Hervé Renard), et à chaque fois face auGhana. Les Éléphants ont participé à trois Coupes du monde d’affilée en 2006, 2010 et 2014, mais sans pourtant passer le premier tour. Le pays compte de grands noms du football, comme le regretté Laurent Pokou, et depuis les frères Yaya et Kolo Touré, Youssouf Fofana, Basile Boli, Bonaventure Kalou, Gervinho, d’autres encore, sans oublier évidemment l’incontournable Didier Drogba. Depuis le milieu des années 2010, la sélection nationale se cherche. Voir revenir la Coupe d’Afrique en terre ivoirienne pourrait lui donner un nouveau souffle! La Côte d’Ivoire avait voulu organiser l’édition 2006, une candidature sans succès. Pas question, cette fois-ci, d’échouer! Le Comité de pilotage propose un thème fédérateur: «Côte d’Ivoire, terre d’intégration.» Une approche qui va bien au-delà du slogan marketing. Avec plus de 30% de résidents aux origines étrangères, le pays est un creuset vivant du brassage des peuples. L’appartenance de la Côte d’Ivoire à un espace de libre circulation des biens et des personnes, au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), permettra aussi d’en faire un événement régional. Et au moment de la candidature, à Addis, la Côte d’Ivoire peut déjà arguer d’un dynamisme économique notable, avec des taux de croissance élevés (7,6% et 10,8 %, en 2012 et 2013). Le président Ouattara a annoncé des plans ambitieux en matière de rénovation et d’investissements dans les infrastructures. L’ambition est là. Le pays paraît déjà suffisamment solide, politiquement et financièrement, pour accueillir cette CAN.

DES INVESTISSEMENTS AUX INFRASTRUCTURES

En 2014, la CAF (Confédération africaine de football) attribue en une fois les trois éditions de la CAN: 2019 au Cameroun, 2021 à la Côte d’Ivoire et 2023 à la Guinée. On connaît les péripéties calendaires qui suivront. En juillet 2017, la CAF décide de passer de 16 à 24 équipes, et de bouger la compétition du mois de janvier à juin, sur l’été européen, pour mieux s’insérer dans le calendrier international. Puis, viennent les retards des uns et des autres. En 2019, l’Égypte a été amenée à suppléer la défaillance du Cameroun. Et la CAN se reprogramme pour 2021. C’est alors qu’intervient la crise du Covid-19, qui bouleverse tous les chronogrammes, et le retrait de la Guinée. Enfin, arrive la prise en compte d’une évidence climatique. Difficile de jouer au football en pleine saison des pluies et sous des trombes d’eau. Retour, donc, à une édition en janvier… Mais de changements en décisions, et comme souvent en Afrique, les choses se mettent en place à la fois dans la douleur, mais avec une sorte de constance et de résilience. La 34e édition de la CAN se jouera donc bien en Côte d’Ivoire, du nord au sud, et de l’est à l’ouest du pays, dans quatre villes différentes (Abidjan, Bouaké, San-Pédro, Korhogo, Yamoussoukro), du 13 janvier au 11 février 2024. Pour le pays hôte, il va s’agir de ne pas lésiner sur les moyens et de relever les multiples défis financiers, humains, organisationnels d’une compétition que les officiels annoncent comme «la meilleure des CAN jamais organisées». Le prestige du pays est en jeu, la Côte d’Ivoire joue gros. C’est la première fois qu’elle accueille un événement de cette ampleur, avec toutes les répercussions possibles – positives ou négatives – en matière d’image de marque, de retombées politique, économique, touristique, etc. Le COCAN (Comité d’organisation) est mis sous l’autorité du Premier ministre et présidé par François Amichia, ancien ministre des Sports et maire PDCI-RDA de la commune de Treichville, à Abidjan. Le budget est ambitieux, aux alentours de 800 millions d’euros (520 milliards de FCFA), largement financé par l’État ivoirien. L’enveloppe concerne la rénovation de certains stades (ceux d’Ebimpé, dit Alassane Ouattara, et de Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan, ou encore le stade de la Paix à Bouaké). Et la construction de nouvelles enceintes aux normes internationales (à San-Pédro, Yamoussoukro, Korhogo). Il y a aussi les cités de la CAN, les infrastructures d’accès, l’amélioration du réseau routier, en particulier les connexions entre les villes hôtes, dont la célèbre Côtière. L’autoroute menant à Yamoussoukro a été prolongée jusqu’à Bouaké. Les plateaux techniques des dispensaires et des hôpitaux ont été modernisés pour répondre aux besoins de la compétition, des joueurs, des staffs et des milliers de supporters. Le pays, en tout cas, est en chantier permanent.

Le nouveau stade d’Ebimpé et les routes ont été rénovés pour l’occasion.DR
Le nouveau stade d’Ebimpé et les routes ont été rénovés pour l’occasion.DR

Évidemment, les «luttes de territoires» ne vont pas manquer lors de ce long processus de préparation. Entre le COCAN et le ministère des Sports, les escarmouches sont nombreuses. Le Premier ministre d’alors, Patrick Achi, très engagé sur le dossier de la CAN, doit arbitrer en permanence, avec un calendrier toujours plus exigeant… L’énergie est entièrement tournée vers la date du 13 janvier, jour du match d’ouverture. Et au moment où ces lignes sont écrites, courant novembre, c’est pratiquement tout de suite ou demain matin.

Le 12 septembre 2023, une forte pluie, un petit déluge comme les connaît régulièrement Abidjan, s’abat sur le stade d’Ebimpé, au nord de la capitale économique. La pelouse est rapidement inondée. L’eau ne s’évacue plus. Impossible de jouer. L’arbitre doit suspendre le match entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Le test grandeur nature tourne au cauchemar. Les réactions sont vives. La pelouse d’Ebimpé a coûté à elle seule 1,2 milliard de francs CFA (1,8 million d’euros), une facture plus élevée, dit-on, que pour les grands stades européens. Cette «déconvenue» aura des effets. Il faut «réparer» Ebimpé au plus vite, sur la base d’un bon diagnostic. Le COCAN et la CAF (Confédération africaine de football) vont se montrer nettement plus pointilleux sur l’état des stades et des pelouses. Les inspections se multiplient.

DES TESTS RÉUSSIS

Le 16 octobre 2023, le président Alassane Ouattara procède à un remaniement du gouvernement. Un nouveau Premier ministre est nommé, Robert Beugré Mambé, alors gouverneur du district autonome d’Abidjan. Le PM prend le dossier à bras-le-corps, en occupant lui-même la fonction de ministre des Sports et du Cadre de vie, accompagné d’un ministre délégué, Adjé Silas Metch. À 71 ans, Robert Beugré Mambé n’a rien d’un inconnu. Membre du PDCI-RDA, il préside de 2005 à 2010 la Commission électorale indépendante (CEI) dans une ambiance politique particulièrement polarisée. Il tient tête au président Gbagbo et devient l’une des bêtes noires du régime, avec lequel il ferraille pendant des mois sur la composition des listes électorales et les conditions d’organisation du scrutin de décembre 2010. Il est débarqué sans ménagement à la veille du vote. Alassane Ouattara, élu président, le nomme à la tête du district autonome d’Abidjan en 2011, puis ministre chargé des Jeux de la francophonie en 2016. Lorsque le PDCI-RDA quitte la coalition au pouvoir en 2018, Mambé sera l’un des tout premiers à rejoindre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Le président n’a pas oublié, il apprécie la loyauté. Ce qui compte aussi à ses yeux, c’est que Beugré Mambé avait justement mené à bien «le sauvetage» des Jeux de la francophonie en 2017. Consensuel, avec des amis sur une grande partie de l’arc politique ivoirien, fidèle au président, c’est donc aussi un technicien à qui l’on demande de piloter, au plus près, la dernière ligne droite avant la Coupe. Depuis, les réunions d’évaluation se tiennent sous l’autorité du PM, chaque semaine ou presque. Le budget est surveillé à la loupe. Tout comme le calendrier. Et l’on décompte les jours. Les bonnes nouvelles sont aussi de retour. Le 17 novembre dernier, les Éléphants de Côte d’Ivoire sont opposés aux Pirates des Seychelles, en éliminatoires de la Coupe du monde. Le test sera probant et la pelouse du stade Alassane Ouattara semble désormais prête à toutes les rencontres prévues, dont le match d’ouverture et la finale. Le 19 novembre dernier, lors de la finale de la Ligue des champions féminine de football, qui a opposé les Mamelodi Sundowns d’Afrique du Sud à la formation marocaine du Sporting Club de Casablanca, la pelouse du stade Amadou Gon Coulibaly a également subi son stress test, lequel s’est révélé positif. À ce jour, chacun des six stades de la compétition a été officiellement réceptionné par la CAF et déclaré apte à abriter les différentes rencontres. Le patron de la Confédération africaine de football a tenu à s’exprimer publiquement: «Je voudrais que le monde entier voie ces magnifiques réalisations. Et que plus personne ne se pose la question de savoir si la Côte d’Ivoire est prête pour -l’organisation de la CAN», a déclaré Patrice Motsepe. Autre enjeu majeur de cette 34e CAN: la sécurité. Celle de l’accueil du public, de la circulation des foules à Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké, Korhogo et San-Pédro, de la formation des stadiers et des agents sur site. Et la mise à niveau des différentes forces de sécurité (police, gendarmerie, forces armées) impliquées dans la CAN, en particulier sur l’aspect très sensible de la menace terroriste. Mais aussi la lutte contre la criminalité «traditionnelle». Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Vagondo Diomandé est en première ligne. Des pays amis, comme la France et les États-Unis, apportent leur appui. Comme l’a souligné le Premier ministre Beugré Mambé, «la Côte d’Ivoire doit être à même d’assurer la sécurité de chaque personne qui viendra faire la fête du football sur son sol». Une déclaration qui engage pleinement la responsabilité des unités de défense et de sécurité. Celles-ci multiplient les simulations des dispositifs sécuritaires à Abidjan, ville test, pour en vérifier l’efficacité. Des schémas et des stratégies de sécurisation, notamment au niveau de la circulation, sont régulièrement exposés et discutés. Il en est de même aux frontières de la Côte d’Ivoire, où des dispositions particulières sont prises pour renforcer le filtrage. Car cette 34e CAN est particulière. Quasiment tous les pays voisins de la Côte d’Ivoire sont qualifiés pour la phase finale: Mali, Burkina Faso, Guinée, Ghana. Il devrait y avoir du monde, ce qui augure une belle fête populaire, mais ce qui est aussi presque une première pour une Coupe d’Afrique. Avec des risques possibles et de vastes frontières à contrôler. Les tensions diplomatiques au sein de l’UEMOA sont réelles entre Abidjan et les pays sous régime militaire, comme le Mali et le Burkina. Mais comme le souligne ce haut responsable voirien, «les peuples se connaissent, nous sommes cousins, nous sommes terre d’accueil, et la magie du football et de la CAN, c’est aussi cette capacité de rassembler et de transcender». Pour la nation, la mobilisation, l’investissement et les enjeux sont plus que conséquents. La Coupe d’Afrique est une compétition qui se regarde aux quatre coins du monde, relayée par les télévisions, les réseaux sociaux.

Le nouveau stade d’Ebimpé et les routes ont été rénovés pour l’occasion.DR
Le nouveau stade d’Ebimpé et les routes ont été rénovés pour l’occasion.NABIL ZORKOT

Une CAN bien organisée, sans incidents notables, aura certainement un impact en matière de soft power pour un pays quasi émergent, mais finalement encore assez méconnu à l’échelle globale. Une belle CAN est un coup de projecteur, la possibilité d’attirer, demain, des talents, de nouveaux investisseurs étrangers, des touristes. Sur le plan interne, la question des retombées pour la population est tout aussi essentielle. Une partie de la facture globale doit avoir un impact positif. Les infrastructures routières permettront d’accélérer le désenclavement des villes secondaires, de favoriser le développement hors les murs d’Abidjan. La mise à niveau de certains services hospitaliers et de sécurité devrait bénéficier à tous. La compétition elle-même devrait favoriser le commerce, la restauration, les célèbres maquis, l’hôtellerie, l’artisanat, avec des créations d’emplois dans le transport, le tourisme, les services.

ÉVITER LES ÉLÉPHANTS BLANCS

Reste enfin la question délicate de l’après Coupe d’Afrique pour les infrastructures en dur de la compétition elle-même. Dans les milieux du football continental, le débat sur le cahier des charges imposé par la CAF est toujours aussi vif, avec un certain nombre de stades à la mode ancienne, en béton, destinés à durer, la construction des cités adjacentes et des terrains d’entraînement, etc. Le football ivoirien pourrait en profiter, mais cela reste malgré tout un petit championnat qui ne draine pas des foules immenses. Et ces infrastructures ont un coût d’entretien récurrent. Il faut à tout prix éviter les «éléphants blancs», ces monuments dispendieux et abandonnés, comme la piscine olympique de Rio ou celle d’Athènes. Les stades et leur environnement ne devront pas qu’être utiles au football. Il faudra leur imaginer une seconde vie, de nouvelles vies, accueillir d’autres compétitions et d’autres sports, promouvoir l’événementiel culturel et associatif, créer autour de ces enceintes des opportunités pour les jeunes. En attendant, tout est prêt ou presque. Place au jeu, et que le meilleur gagne!