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LOLA SHONEYIN

« LA PERSÉCUTION DES HOMOSEXUELS EST POLITIQUE »

Par Michael.AYORINDE - Publié en novembre 2014
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POÉTESSE ET ROMANCIÈRE nigériane, Lola Shoneyin pourrait se contenter de gérer sa carrière littéraire, en pleine ascension sur le continent et dans le monde anglophone. Son premier livre, The Secret Lives of Baba Segi’s Wives (éd. Serpent’s Tail, Londres), dont l’action se déroule dans une riche famille polygame du pays yoruba, est déjà traduit dans une dizaine de langues dont l’hébreu, l’allemand, l’italien et le néerlandais. Best-seller au Nigeria, il s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires à Lagos. Publié en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, cet ouvrage « osé » a aussi fait l’objet d’une pièce de théâtre et d’une comédie musicale, en attendant son adaptation au cinéma – un scénario est en cours d’écriture. Avec un savant mélange d’humour et de profondeur, Lola Shoneyin y aborde sans tabou des thèmes aussi complexes que la polygamie, les relations hommes-femmes ou la sexualité en Afrique.

Mais la belle-fille par alliance du dramaturge Wole Soyinka, le premier Prix Nobel de littérature africain – dont elle est très proche –, a choisi d’être une écrivaine engagée, tout comme son mentor. Cette ex-enseignante de 40 ans, mère de quatre enfants, défend les droits de l’homme, mais aussi l’accès du plus grand nombre à la culture. En novembre, elle organise chaque année à Abeokuta, berceau des familles Soyinka et Fela Kuti, l’un des plus grands événements culturels d’Afrique. Pendant le Ake Festival [voir Mix Culture, p. 112], de grands écrivains et artistes venus du monde entier partagent leur savoir avec des enfants et des adolescents du pays yoruba. Un vrai pari dans le pays le plus peuplé du continent, dont l’image est encore trop associée à Boko Haram, aux escroqueries, aux enlèvements et à Ebola… Une initiative qui force l’admiration.

AM : La polygamie est un thème majeur de votre premier roman. Mais quelle place occupe cette pratique dans la société nigériane ?
Lola Shoneyin : Elle divise terriblement. Je suis née dans une famille monogame et mes parents m’ont toujours conseillé d’éviter les relations avec des hommes issus de foyers polygames. Mon père et ma mère pensaient que les enfants de ces ménages avaient appris à cacher leurs pensées du fait qu’ils vivaient dans un environnement où la jalousie était omniprésente… Ce conseil, je ne l’ai pas suivi. Mon premier mari a grandi dans une famille polygame, notre mariage n’a duré que quelques semaines. Je pense que pour les femmes et les enfants, la polygamie est toujours un facteur de malheur. Un phénomène que je mets à jour dans mon roman. Dans les foyers polygames, les femmes s’entre-déchirent pour leur plus grand malheur et celui de leurs enfants. Les seuls bénéficiaires de ce système, ce sont bien sûr des hommes.

Et concernant l’homosexualité, pourquoi le gouvernement nigérian a-t-il décidé de la combattre en adoptant une loi spécifique au début de l’année ?
Très bonne question. Dans un pays où le fondamentalisme religieux se développe de façon spectaculaire, adopter une loi contre les mariages entre les individus de même sexe encourage l’intolérance, ce qui n’est vraiment pas nécessaire. La loi en elle-même n’est pas utile parce que le Nigeria dispose déjà de tout un arsenal répressif, notamment des lois contre la sodomie. Notre constitution est très claire quant au fait de savoir qui peut prétendre au mariage, et aucun couple homosexuel n’a formulé une demande d’union. Quand on a tout cela à l’esprit, il est facile de conclure que c’est une loi démagogique adoptée par un président inquiet pour son avenir politique.

Quelles sont les conséquences de cette politique ?
Les dirigeants africains démocratiquement élus doivent se rappeler qu’ils ont la responsabilité de protéger les droits des minorités. Quand ils renoncent à ces obligations, les conséquences sont catastrophiques. Des rapports indiquent que des homosexuels sont traqués, qu’ils sont déshabillés, agressés, torturés et tués. C’est ce qui arrive quand des lois déshumanisantes sont adoptées. Dans la culture africaine, l’homosexualité a toujours existé. Par exemple chez les Ibos, à l’est du Nigeria, l’homosexualité féminine a été reconnue et acceptée. Nombre de pays du continent sont dirigés par des gens qui ne lisent pas et sont heureux de développer des discours anti-intellectuels qui leur permettent de régner sur leur pays.

Cette loi est-elle liberticide ?
Le simple fait de soutenir publiquement les homosexuels peut désormais vous conduire en prison pour dix ans. Les homosexuels seront quant à eux condamnés à quatorze ans de prison ferme. Moi-même, aux yeux de la loi, je pourrais être placée en détention pour les propos que je viens de tenir…

Est-ce aussi un moyen pour le gouvernement d’éviter des sujets embarrassants tels que la corruption ?
Lors du Forum de Davos en janvier 2014, le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a suggéré que la corruption n’était pas le plus important problème de l’État. Je m’insurge contre cette opinion. Je pense au contraire que c’est la cause principale de nos difficultés. Les dirigeants que nous avons eus avaient d’abord pour objectif d’amasser les immenses quantités d’argent qui leur permettraient de rester très influents, même après avoir quitté le pouvoir. La corruption est la raison pour laquelle le premier pays producteur de pétrole du continent ne peut pas fournir d’électricité à ses habitants. La corruption est la raison pour laquelle la majorité de la population de ce pays excessivement riche vit sous le seuil de pauvreté.

Pourquoi Boko Haram est-il aussi actif ? Pourquoi le président donne-t-il le sentiment de ne pas pouvoir le combattre ?
Si les autorités nationales avaient pris le temps de former la jeunesse dans les États du nord, Boko Haram n’aurait sans doute pas eu la possibilité d’avoir autant de recrues. Pour eux, la perspective d’aller au paradis pour y retrouver des vierges est beaucoup plus séduisante que tout ce que le régime fédéral peut leur offrir. Chaque jour, des gens sont assassinés dans le nord du Nigeria et les populations commencent à s’interroger sur la capacité des forces armées à mettre fin à la violence. La responsabilité du président est plus que jamais engagée.