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Le palais présidentiel, à Libreville. LUDOVIC/RÉA
Le palais présidentiel, à Libreville. LUDOVIC/RÉA
Transition

À la recherche d’un nouveau Gabon

Par Emmanuelle Pontié - Publié en mars 2024
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Le général Brice Oligui Nguema prévoit des élections en août 2025. D’ici là, il s’agit de mettre en place une nouvelle manière de gouverner, en rupture radicale avec les quatorze ans de mandature ABO. Un défi complexe dans un pays «à repenser». 

Vol en approche sur Libreville, un soir de février. Le A350 d’Air France est quasi vide. La dernière décennie de léthargie, et peut-être le « coup d’État de la libération » du 30 août dernier, assorti des attentes en suspens y sont probablement pour quelque chose. Sans compter les tarifs particulièrement élevés appliqués par la compagnie, profitant de sa situation de monopole depuis Paris vers le Gabon. Quatorze ans de mandature ABO plus tard, la célèbre cité balnéaire semble s’être assoupie. Son bord de mer pimpant, ses restaurants branchés aux parkings bondés de Land Cruiser, ses boîtes de nuit où le champagne coule à flots, ses immeubles orgueilleux et son offre hôtelière généreuse au centre-ville se conjuguent au passé. Sur la côte, seuls le palais présidentiel et la Cour constitutionnelle se dressent fièrement. Plus loin, éparses, de nombreux bâtiments en construction, laissés à l’abandon, avec des arbres qui ont poussé entre les fers à béton oubliés... Avec, en toile de fond, un pays aux allures fantômes, victime d’un demi-siècle de bongoïsme à bout de souffle, le général Brice Oligui Nguema, 49 ans, commandant de la Garde républicaine, a déposé dans un gant de velours le président Ali Bongo Ondimba au petit matin du 30 août dernier, quelques minutes après la proclamation des résultats de la présidentielle qui donnaient à nouveau le fils d’Omar Bongo Ondimba vainqueur. Ce dernier, très affaibli depuis son AVC du 24 octobre 2018, avait quasiment donné les clés du pays à son épouse Sylvia et son fils Noureddin. Tous deux arrêtés dès le lendemain, incarcérés et poursuivis pour détournement et blanchiment d’argent, faux et usages de faux, entre autres chefs d’accusation. Peu à peu, les langues se délient. Le petit personnel de l’ancien couple présidentiel raconte. Le comportement, les humiliations, l’appât du gain envers et contre tous. Surtout chez Madame. L’amour de la fête et la gabegie chez le fils. La drogue aussi. Rien n’est vérifiable, mais l’on veut croire, au fin fond des quartiers, qu’il n’y a jamais de fumée sans feu. On découvre qu’elle jouissait d’un avion personnel, probablement la seule First Lady au monde à bénéficier d’une telle largesse, aux frais du contribuable. En dépiautant la dette intérieure, on découvre encore des dizaines de sociétés bidon qui n’exécutaient pas les marchés, mais détournaient tranquillement des sommes colossales au profit des copains, des compagnons de pillage... Comme le confie un observateur de la place : «C’est terrible de voler autant. Pour quoi faire? Le Gabon est un petit pays, peu peuplé, et dont le sol regorge de richesses. En volant juste un peu, ils auraient quand même pu en faire un véritable émirat ! » En attendant, la dette publique globale culminait à plus de 7000 milliards de FCFA en 2022...

Le président de la transition Brice Oligui Nguema prend un bain de foule à Oyem, lors de la visite d’un chantier. FLICKR PRÉSIDENCE DU GABON
Le président de la transition Brice Oligui Nguema prend un bain de foule à Oyem, lors de la visite d’un chantier. FLICKR PRÉSIDENCE DU GABON

UNE TRANSITION ENGAGÉE

Six mois après son accession au pouvoir, le président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema, installé au Palais du bord de mer, multiplie les audiences, les consultations et les mises en place d’audits. Le mot d’ordre est clair: remettre le pays sur les rails. Il s’appuie sur la Charte de la transition qu’il a mise en place au lendemain de son accession au pouvoir, et qui affiche sept objectifs principaux : la restauration des institutions, la refondation de l’État, la préservation des principes républicains, le renouveau de la démocratie et de la citoyenneté, le maintien de la cohésion sociale, la consolidation des bases de la démocratie et la promotion du développement et de la prospérité des Gabonaises et des Gabonais. Parmi ses premières actions fortes, il a fait apurer une partie de la dette bilatérale, consentie par le Gabon auprès de la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement à hauteur de 47 milliards de FCFA, dès ses trois premiers mois au pouvoir. Et dans le même temps, la dette publique du pays a été remboursée à hauteur de 319 milliards de FCFA. Il a aussi diligenté la reprise des chantiers de réfection des routes dans la capitale, qui avaient été stoppés depuis des années, mais sur lesquels le génie civil s’active désormais. Le vaste chantier de la Baie des rois, situé en bord de mer autour de l’ancien port Môle, bat son plein. Certains restaurants et des boutiques y ont déjà ouvert, et la croisette toute neuve, ornée de bancs, attire les jeunes ou les familles les week-ends. Ils immortalisent leur passage avec les images que leur proposent des « photographes de plage », envoyant le cliché choisi sur leur téléphone. Un nouveau métier est né...

Le 15 février 2024, au palais présidentiel, lors de la cérémonie de signature de l’achat par l’État gabonais de 75% des parts de la société pétrolière Assala, avec Bob Maguire, son manager général. DÉSIREY MINKOH/PRESSE PRÉSIDENTIELLE
Le 15 février 2024, au palais présidentiel, lors de la cérémonie de signature de l’achat par l’État gabonais de 75% des parts de la société pétrolière Assala, avec Bob Maguire, son manager général. DÉSIREY MINKOH/PRESSE PRÉSIDENTIELLE

Le complexe géant de loisirs et d’hôtels de luxe attire des investisseurs venus de Dubaï, des Émirats surtout. Au Palais, on espère la Baie des rois achevée d’ici un an. Côté social, entre autres nouvelles mesures, on a réinstallé les bourses dans le secondaire pour un montant global de 6 milliards de FCFA. Et appliqué la gratuité des frais de scolarité. Le mois dernier, le projet de faire passer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans était sur la table, ce qui n’est pas pour déplaire aux salariés, dont le montant des retraites est plutôt faible, comme partout en Afrique, et qu’ils souhaitent en général prendre le plus tard possible. Fin février, la construction d’un nouvel hôpital à Port-Gentil était actée, confiée à l’entreprise turque FB Group. Des forages d’eau ont été diligentés dans les zones où la demande était la plus urgente. Des panneaux géants vantant des institutions fortes ornent le bord de mer, où l’on parle de santé et d’école, de bien-être pour les enfants ou les personnes âgées. Témoins de la volonté du nouveau pouvoir de rompre avec le passé, en se tenant plus près des populations. Oligui assume à cet effet un nouveau style, arpentant les régions, se faisant photographier au contact des Gabonais. Un peu trop, selon d’anciens barons des hautes sphères : « Il faut faire attention de ne pas forcer sur l’image populiste dans notre pays. Les Gabonais ont besoin de respecter la fonction, sinon le président va être débordé. Ici, quand on donne la main, on vous mange le bras. » Nostalgie des méthodes du passé? Au Palais, on persiste et on signe sur le nouveau respect affiché pour les citoyens, même lambda, qui auraient été les grands oubliés d’hier.

«GABON D’ABORD!»

Ce « respect » des Gabonais, version CTRI, passe aussi par une sorte de remise au goût du jour du vieux slogan lancé par Omar Bongo : « Gabon d’abord ! » Par exemple, une attribution prioritaire aux entreprises gabonaises des marchés publics dont le montant est inférieur ou égal à 150 millions de FCFA a été décidée. L’État procède aussi par prises de participation dans des domaines souverains. Il est ainsi entré dans le groupe agroalimentaire Ceca-Gadis, dans le but de surveiller, voire subventionner, les prix des denrées de base. Il a aussi pris des parts dans une nouvelle société en partenariat avec Afrijet pour relancer la mythique compagnie Air Gabon, qui s’appellera Fly Gabon et devrait d’ici quelques semaines lancer son premier vol longue distance vers Johannesburg. Avant de relier Paris, concurrencer Air France en vue de faire baisser les coûts de la destination, et accessoirement apporter une nouvelle fierté nationale. Enfin, le 15 février dernier, le président Oligui a signé l’achat de 75% des parts de la société pétrolière Assala Gabon, au cours d’une cérémonie fortement médiatisée. Dans la foulée, la société Vivo Energy Gabon cédait 30 % de ses parts détenues dans le capital de la Société gabonaise d’entreposage de produits pétroliers (SGEPP) à l’État gabonais. Un message fort à destination de la population. Comprenez : dorénvant, nos richesses nous reviennent. Peu à peu, autre signe de confiance retrouvée, la diaspora commence à rentrer. Le CTRI lui ouvre les portes. Pour exemple, la nomination au poste de commissaire au Plan de Vulgain Andzembe, économiste et financier ayant fait carrière à la Banque de France à Paris.

Six mois après son arrivée, le président de la transition dont les origines, à la fois fang du Woleu-Ntem par son père et téké du Haut-Ogooué par sa mère, lui confèrent une belle assise ethnique dans le pays n’aurait pas fait de faux pas, selon la plu- part des Gabonais. « Si la présidentielle avait lieu aujourd’hui, il passerait haut la main, à 100 % ! Toutes ses décisions et actions, à ce jour, sont plébiscitées. Il surfe sur son image de libérateur. Et prochain, se tiendra le Dialogue national inclusif (DNI), sous la présidence de l’archevêque de Libreville. Début juin, le Parlement se transformera en constituante, et fin août, la première mouture d’une nouvelle constitution devrait être prête, à adopter par référendum entre novembre et décembre. Début 2025, débuteront les travaux du nouveau code électoral et la révision des listes. Et la présidentielle se tiendra en août 2025.

​​​​​​​UNE PÉRIODE DE GRÂCE LONGTEMPS ATTENDUE

Nul doute que le président de la transition sera candidat. Il s’en est aménagé la possibilité. À ce jour, les Gabonais se demandent bien qui se tiendra en face. Son gouvernement inclusif ayant intégré certains chaque déplacement ou intervention du nouveau président, chaque nomination, chaque action, en mesurant avec satisfaction le chemin parcouru en si peu de temps. Une période de grâce, comme il est coutume de le dire. À Libreville, on attend aussi des petites améliorations du quotidien, comme l’allègement des embouteillages, où l’on peut passer jusqu’à trois heures sur le boulevard du Bord de mer pour traverser la ville aux heures de pointe. Ou encore la levée promise bientôt du couvrefeu, même repoussé à minuit, qui proscrit les soirées en boîtes de nuit (bien que certains s’y enferment jusqu’au petit matin, afin d’échapper à la restriction de circuler) et handicape pas mal les fins de soirées au restaurant gastro Idiora, dans l’ancien complexe Majestic, franchement, un président qui coupe Internet pour une présidentielle et un militaire qui le remet en faisant un coup d’État, c’est du jamais-vu! Un très bon signe. Et quoi qu’il se passe dans l’avenir, rien ne pourra être pire que les dernières années Bongo », commente un haut cadre camerounais, installé au Gabon depuis deux décennies. Et à propos d’avenir, le chronogramme politique a été lancé. Du 1er au 30 avril des poids lourds potentiels qui auraient pu être candidats, comme l’opposant historique Alexandre Barro Chambrier, nommé vice-Premier ministre en janvier dernier. Et les ministres, même pour un jour, n’auront pas le droit de se présenter... Pour l’heure, personne ne se pose encore la question du déroulé du scrutin de 2025. Les Gabonais savourent la page qui vient de se tourner, scrutent adresse gourmet et branchée, favorite de la jet-set locale, ou encore au bar et au restaurant le Lokua, haut lieu de rencontre nocturne où l’on aime refaire le monde, un verre de whisky rare à la main. Comme s’enorgueillir des performances de l’international de foot Pierre-Emerick Aubameyang, qui vient de battre le record de buts de la ligue Europa, par exemple. Des soirées à la mode Libreville, quoi !