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La relève arrive

Par DOUNIA BEN MOHAMED - Publié en octobre 2018
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Politique, culture, business, société civile… Les nouvelles générations cherchent à fortement s’impliquer dans les débats d’aujourd’hui et de demain.

Abdourahmane Cissé, 37 ans, ancien ministre chargé du Budget – entré au gouvernement à 32 ans seulement ! – et conseiller spécial de la présidence ; Mamadou Touré, 42 ans, ministre de la Promotion de la Jeunesse et de l’Emploi des Jeunes ; Souleymane Diarrassouba, 46 ans, ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME… Si le gouvernement Gon Coulibaly II, récemment constitué, compte de jeunes têtes d’affiches, ce n’est pas un hasard. La Côte d’Ivoire est un pays jeune. Selon les résultats du dernier recensement de la population, plus de trois personnes sur quatre ont moins de 35 ans. Sur les scènes politique et privée, le rajeunissement du leadership se confirme. Même l’armée n’est pas en reste et a entamé un processus de rajeunissement de ses effectifs. Une nouvelle génération d’Ivoiriens, marquée par la décennie de crise politico-militaire, apparaît, bien décidée à participer à la reconstruction du pays. Sans révolution, ni heurts. Mais en saisissant toutes les opportunités que leur offre le déploiement d’Internet et des outils numériques dans le pays. « La transformation digitale de l’économie ne va pas surprendre les jeunes », assure Alain Kouadio. Cet entrepreneur ivoirien, PDG du groupe immobilier Kaydan, est bien connu des forces montantes du pays. Il est à l’origine de la CGECI Academy – dont la septième édition s’est tenue à Abidjan en septembre dernier –, qui a vocation de créer une culture entrepreneuriale chez la jeune génération. Et le processus est en marche. « Cette génération n’est pas née dans l’Étatprovidence. Elle a grandi avec la certitude qu’elle doit prendre son destin en main. »
Une prise de conscience née durant la décennie de crise politico-militaire qu’a traversé le pays et qui a durablement marqué l’enfance et l’adolescence de cette génération. Avec l’avènement d’Internet, on obtient cette génération de « cybercitoyens » qui transforme, avec ses propres codes, le pays. « Dieu merci, aujourd’hui, il y a Internet ! » lâche Edith Brou, la plus célèbre influenceuse digital d’Abidjan. « On ne peut plus nous blaguer. Nous sommes capables de réagir en temps réel, de faire du fact-checking, même si malheureusement il y a aussi beaucoup de fake news. C’est un peu un couteau à double tranchant. Mais maintenant, en Afrique, et surtout dans mon pays, la jeunesse, les moins de 30 ans ont cette possibilité de dire ce qu’ils pensent, en tant que citoyens numériques, d’être des relais d’information ou des diffuseurs. Ils débordent de créativité grâce à cet outil numérique et s’en saisissent pour tourner en dérision des personnes qui se sont mal conduites. »
Loin de se limiter à commenter, c’est une génération qui agit. « Les jeunes ont compris qu’ils peuvent tout faire, et notamment répondre à des problèmes sociétaux d’en bas. Ils savent désormais que l’État ne peut pas tout résoudre seul », ajoute Edith Brou. En matière de business également, Internet se veut un accélérateur pour ces entrepreneurs 2.0. « Avec la technologie, l’aide de la communauté virtuelle, vous pouvez avoir un projet qui soit relayé et structuré de bout en bout sur les réseaux, vous pouvez le rendre visible dans les espaces internationaux, et ainsi obtenir des financements pour le mener à bien. » Et si la communauté se mobilise, c’est parce que cette génération, ivoirienne, panafricaine et fière de l’être, encourage le « made in Côte d’Ivoire ». « Je prends le cas de jeunes entrepreneurs que je soutiens, comme Yvan Akré et Axel- Emmanuel Gbaou qui se sont lancés dans la fabrication du chocolat : ils démontrent à travers le monde entier qu’il est possible d’être de jeunes Ivoiriens et de s’approprier la fabrication et la production de chocolat de notre pays. La révolution numérique va nous permettre de pouvoir changer les choses. D’autant que des jeunes entrent en politique également pour pouvoir changer les choses de l’intérieur. La génération des années 1980 à 2000, on a grandi ensemble, et aujourd’hui, on participe au changement dans notre pays. »
 
Des éveilleurs de conscience 
Un rajeunissement de la scène politique, réel, est également en cours, mais encore limité selon Mariama, trentenaire, conseillère en communication qui travaille pour le compte de personnalités locales : « C’est sur la scène privée que les choses avancent réellement. Les jeunes commencent, à leur façon, à chercher à s’en sortir sans attendre les politiques. Ce qui est dommage, c’est que ces derniers ne leur laissent pas toujours la place. Même quand on regarde les institutions publiques, il y a peu de jeunes. Il y a bien un changement de mentalité, mais si on ne fait pas partie des décideurs, comment changer les choses ? » déplore Mariama.
Ceci dit, rien ne décourage la jeunesse. Pour les élections municipales, la jeune génération est bien représentée, observe-t-elle. Même si, pour elle aussi, c’est sur le volet social qu’elle est la plus visible : « Les influenceurs de la Toile s’activent et activent les choses dans le milieu social essentiellement. Quand il y a des sinistrés, des inondations, une solidarité se crée, portée par cette nouvelle génération de cybermilitants, souligne Mariama. Nous, qui avons connu la guerre en Côte d’Ivoire, où l’on est restés cloîtrés chez nous, on a pris l’habitude, pour s’informer, de partager des informations, de passer par les réseaux sociaux, ce qui a créé des liens entre des personnes qui ne se connaissaient pas. La crise a accentué ce phénomène. Ce sont des éveilleurs de conscience, mais comment mesurer réellement leur impact ? »
 
Une jeunesse qui s’impose 
Pour Fanta Bernath de Font-Réaulx, PDG d’Adwowi Africa, la Côte d’Ivoire n’échappe pas à une tendance continentale : la jeunesse s’impose. « Les jeunes prennent leur place et changent la face de la Côte d’Ivoire, comme celle du continent. Ils ne vont pas réinventer la roue. Ils prennent ce qu’ils ont et essaient de l’adapter à leur milieu. Ils ont une approche très pragmatique. Nous, les aînés, on a un peu plus de mal, on est toujours dans la nostalgie du passé. On serait prêts à ralentir le progrès, alors qu’eux anticipent sur l’avenir.
Aujourd’hui, quand on voit tous ces jeunes entrepreneurs, on note la même volonté de bénéficier de cette technologie que nous envoie l’Europe, associée à nos traditions africaines de solidarité et de partage. À travers leur projet, ils manifestent la préoccupation de répondre à des besoins. Il y a un côté spirituel à la façon dont les jeunes se déploient aujourd’hui. Ils se sentent envoyés, en mission, en charge du salut de leur pays. À nous de nous appuyer sur la jeunesse pour évoluer.
Pas seulement pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, mais aussi pour celui de l’Afrique, et du monde finalement… »
C’est par ailleurs le message lancé par le président Alassane Ouattara lors de ses voeux à la nation du 31 décembre 2017 : « Ne vous lancez pas à l’aventure, au péril de vos vies. Vous êtes mieux au pays, et le pays a besoin de vous. Jeunes, vous êtes notre plus grand atout. […] Vous êtes la Côte d’Ivoire de demain. »