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Découverte / Côte d’Ivoire

La stratégie de l’émergence

Par Philippe Di Nacera - Publié en octobre 2023
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Le pont de Cocody a été ouvert à la circulation le 3 août 2023. NABIL ZORKOT
Le pont de Cocody a été ouvert à la circulation le 3 août 2023. NABIL ZORKOT

Le gouvernement déploie son troisième Plan national de développement. La période 2021-2025 doit ainsi conduire à un changement en profondeur.

À la question de savoir comment amener un pays africain de plus de 29 millions d’habitants (selon le dernier recensement réalisé en 2021) à atteindre les critères de l’émergence, à savoir une croissance continue, l’intégration au système productif mondial, la formation d’une classe moyenne et l’élévation conséquente des conditions de vie de la population, le chef de l’État Alassane Ouattara a apporté une réponse dès son entrée en fonction en 2011: jeter aux orties la «gestion court-termiste» menée depuis la fin des années 1990 au profit de la planification du travail gouvernemental et du développement économique et social de la nation pour servir sa vision d’une «Côte d’Ivoire solidaire».

Les résultats ne se sont pas fait attendre. Le pays est sorti de l’ornière où il se trouvait, plombé par dix années de crise politique, qui a connu son apogée lors de l’élection présidentielle de 2011. Fini la stagnation, voire la récession (-4,1% en 2011). Il a repris sa place de locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest, et est aujourd’hui l’un des plus dynamiques et attractifs du continent. Dans son propos introductif du Plan national de développement (PND) 2021-2025, le président Ouattara écrit: «Grâce à la mise en œuvre de réformes structurelles de grande ampleur, le taux de croissance économique s’est établi en moyenne à environ 8% sur la période 2012- 2019, positionnant ainsi l’économie ivoirienne parmi les plus dynamiques en Afrique et dans le monde. Le revenu par tête a également doublé pendant cette période, pour s’établir à 2287 dollars US en 2020, correspondant à l’un des plus élevés en Afrique de l’Ouest.»

Si le Programme présidentiel d’urgence mis en place dès son accession à la tête de l’État a paré au plus pressé pour remettre la machine Côte d’Ivoire en marche dans tous les domaines (de la relance des institutions et de l’État au retour de la confiance des bailleurs internationaux, en passant par l’investissement massif dans les infrastructures et l’appel aux investisseurs internationaux), le premier PND, qui couvrait la période 2012-2015, a posé les fondations du renouveau économique du pays.

Selon la définition officielle, il s’agit d’«un document de référence qui fixe les objectifs à atteindre à la fois en termes de croissance et de niveau de vie, définit les priorités stratégiques de l’action gouvernementale en vue d’atteindre les changements significatifs débouchant sur l’épanouissement individuel et collectif des populations». En 2012, il s’agissait de rétablir les institutions, de relancer la croissance, d’engager les réformes qui permettraient le retour des investisseurs internationaux, de promouvoir une politique de grands travaux et d’infrastructures. «La route précède le développement» est un adage que le président a beaucoup répété lors de cette période, même lorsqu’il était critiqué par les Ivoiriens, toujours moqueurs: «On mange pas goudron!» À la surprise quasi générale, le pays s’est donc, dès 2012, remis en ordre de marche, affichant avec fierté une croissance frôlant les deux chiffres et une remarquable stabilité, quand ses voisins se débattent avec leurs soubresauts internes et les assauts du djihadisme conquérant. Douze ans plus tard, il a retrouvé la confiance des décideurs politiques et économiques mondiaux.

Le Plan national de développement pour la période 2016-2020 affichait pour la première fois l’objectif, pourtant encore hors de portée, d’«émergence à l’horizon 2020». Mais cette forte ambition, qui a surpris jusqu’à la population elle-même, avait pour but de mobiliser les acteurs économiques, les décideurs publics et l’ensemble des Ivoiriens. Aujourd’hui, elle est prise au sérieux. Le PND 2016-2020 entendait renforcer les acquis du Plan 2012-2015, approfondir les réformes engagées, notamment en ce qui concerne la transformation structurelle de l’économie et son attractivité aux yeux des investisseurs étrangers. Pendant la période considérée, le pays a fait un bond non négligeable dans le classement Doing Business de la Banque mondiale. La «diplomatie économique» devenait officiellement l’une des priorités du ministère des Affaires étrangères. Les nouvelles technologies, l’énergie et les mines, l’agriculture, le tourisme et l’artisanat, les infrastructures sur tout le territoire (routes, transports, urbanisation, etc.) étaient érigés en secteurs prioritaires. Et déjà, la jeunesse, sa formation et son employabilité, vues comme des facteurs essentiels pour la transformation de la société, prenaient une place plus importante dans les discours et les agissements des autorités. Autre témoignage de la réussite du pays: le privilège d’organiser, selon une décision de 2014, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) prévue du 13 janvier au 11 février 2024, avec la rénovation ou la construction de stades dans cinq grandes villes du pays et l’attente d’un afflux de visiteurs-supporters et de médias du monde entier.

UNE VISION AMBITIEUSE À MOYEN TERME

L’amélioration des conditions de vie de la population depuis douze ans (la pauvreté a reculé de 16,5% de 2011 à 2020), la modernisation rapide de l’économie (même la crise sanitaire de 2020 n’a pas arrêté le mouvement), le retour massif des investisseurs étrangers et la confiance des bailleurs internationaux permettent aujourd’hui d’envisager la transformation structurelle du pays. C’est le rôle du PND 2021-2025 (59000 milliards de francs CFA, issus essentiellement du secteur privé, mobilisés sur la période), qui mise sur un effort massif d’industrialisation de l’économie. Il s’agit, d’abord et avant tout, de transformer au sein même du pays les matières premières dont il regorge: cacao, café, anacarde, hévéa, etc. Priorité à l’agro-industrie! Et on s’approprie également le concept, nouveau en Côte d’Ivoire, de «champions nationaux», créés dans les secteurs prioritaires avec le soutien des pouvoirs publics, un peu sur le modèle du Nigeria. L’objectif étant que la part du secteur manufacturier atteigne les 15% du PIB en 2025 (contre 10,9% en 2019).

Inauguration du Parc des expositions, le 17 juillet 2023, par le Premier ministre Patrick Achi, avec à gauche le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME Souleymane Diarrassouba et le vice-président Tiémoko Meyliet Koné.  ISSOUF SANOGO/AFP
Inauguration du Parc des expositions, le 17 juillet 2023, avec Patrick Achi, alors Premier Ministre, et à gauche le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME Souleymane Diarrassouba et le vice-président Tiémoko Meyliet Koné.  ISSOUF SANOGO/AFP

Les leviers de ces transformations ne sont autres que le renforcement du capital humain, en particulier la jeunesse, érigée en priorité des priorités, l’investissement dans les industries de transformation, le développement régional équilibré, la digitalisation de l’économie et de l’administration publique, ou encore la lutte contre la corruption. Le tout au service d’une amélioration conséquente des conditions de vie de la population: allongement de l’espérance de vie à la naissance, qui devrait atteindre les 62 ans en 2025 (contre 57 ans actuellement); accès généralisé aux services de base (l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau, l’électricité); réduction à 31,5% de la pauvreté en 2025, avec un objectif de PIB par habitant de 3480 dollars; et création de 4 millions d’emplois dans la période de quatre ans que couvre le Plan.

Le pont de Cocody a été ouvert à la circulation le 3 août 2023. NABIL ZORKOT
Le pont de Cocody a été ouvert à la circulation le 3 août 2023. NABIL ZORKOT

«Le PND 2021-2025 vise la transformation économique et sociale nécessaire qui permettra d’atteindre l’objectif décennal à l’horizon 2030, qui ambitionne de hisser la Côte d’Ivoire au rang des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure», a déclaré le 31 mars 2022 la ministre Nialé Kaba, en charge du Plan et du Développement, devant les partenaires au développement économique, rappelant la détermination propre au pays.

Car, si les PND successifs sont directement opérationnels, le gouvernement fait de la prospective à 2030, et même à 2040. Des outils qui donnent une vision du pays à moyen terme, et dont les autorités s’inspirent lors de l’élaboration de ces plans. L’objectif est ambitieux: «La Côte d’Ivoire, puissance industrielle, unie dans sa diversité culturelle, démocratique et ouverte sur le monde», dans laquelle la pauvreté est ramenée à 20% et le taux d’investissement global atteint 40% (contre 22% aujourd’hui).