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La tradition, et après ?

Par Coralie Pierret - Publié en juin 2017
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Même si les artistes guinéens connus et reconnus, comme les romanciers Camara Laye ou Tierno Monénembo, sont encore très prisés, les jeunes commencent à percer.

Comme un monument au centre du village de Kouroussa, la forge des années 1930, dépeinte dans L’Enfant noir, tourne toujours. Camara Laye y battait le fer avec les marteaux et les enclumes de son père, écrit-il dans son roman autobiographique, prix Charles Veillon en 1954. En avril dernier, des notables de la région, des griots et d’anciens amis sénégalais viennent conter les plus beaux exploits du fils du pays. La cérémonie est préparée par les organisateurs de « Conakry capitale mondiale du livre » (CCML). « Abidjan est réputé pour sa musique, Bamako pour sa photographie, Ouagadougou pour son cinéma, Conakry le sera pour ses ouvrages », assure Sansy Kaba Diakité, le commissaire général de l’événement initié par l’Unesco.
 
Aujourd’hui, les treize millions de Guinéens se partagent deux maisons d’édition, une vingtaine de bibliothèques et de librairies. Plus de 60 % de la population ne sait ni lire ni écrire selon les estimations des autorités. « 130 points de lecture seront construits cette année », précise Lamine Camara, président de l’Association des écrivains de Guinée.
 
Le budget de CCML s’élève à 60 milliards de francs guinéens (6 millions d’euros). L’État s’est engagé à en verser 50 %, mais « les institutions internationales et partenaires traînent pour le restant », confie le ministre de la Culture Siaka Barry. Or, une partie de l’enveloppe a déjà été dépensée pour l’ouverture, le salon du livre et les hommages aux auteurs célèbres guinéens et africains (Williams Sassine, Tierno Monénembo, Ahmadou Kourouma, etc.). Des honneurs qui interrogent : pourquoi offrir une large place à ceux qui sont décédés ou déjà reconnus et pourquoi ne pas inviter les plus jeunes ? questionnent des acteurs du secteur culturel.
 
En Guinée, une poignée d’écrivains arpente les bibliothèques en attendant d’être placés sur les étagères. Certains s’étaient donné rendez-vous en mars dernier au centre culturel franco-guinéen (CCFG) pour l’événement « Sur les murs la poésie », organisé en partenariat avec les éditions Gandaal. Dans l’espace des expositions, chacun clame et affiche ses propres compositions. Depuis que le Petit Musée a fermé ses portes, le CCFG est l’unique salle de spectacle du pays. « L’ambition est de faire le lien entre ce qui se fait ailleurs et ici, pour inspirer, servir de lieu de création et potentiellement de vitrine et de relais pour les artistes locaux », explique le directeur, Nicolas Doyard. Il a lancé avec son équipe de nouveaux rendez-vous où fusionnent plusieurs formes artistiques : le cinéma avec un concert, la projection d’un documentaire avec la confection d’une sculpture.
 
« Ce n’est pas dans les habitudes ici de mélanger les genres. Je rêverais que l’on me présente une création comme les Ballets africains [troupe de danse mythique de Guinée, NDLR] version électro ! », poursuit le responsable. Pour se tourner vers le futur et couper le cordon avec la tradition, cette maison mise aussi sur le numérique : avec l’organisation de Playday, un tournoi de jeu vidéo, ou l’installation prochaine du wifi en accès libre. « La nouvelle technologie est un avantage. Dans les années 1970, les pellicules cinématographiques étaient envoyées en Europe pour être développées. Aujourd’hui, les facilités sont extraordinaires, mais on ne peut pas les mettre à profit sans formation », déplore le cinéaste et documentariste Thierno Souleymane Diallo.
 
LES MOTS DE BILIA BAH
 
Seulement, les moyens sont modestes. Pour gagner leur vie, les chanteurs s’adonnent progressivement à la « mamaya », chant mandingue coutumier. Ils deviennent « chansonniers à la gloire de ceux qui ont de l’argent en échange de quelques billets », explique le comédien Ibrahima Sory Tounkara, du Théâtre national. Mais certains chanteurs de la nouvelle génération se distinguent. Kandia Kora ou Soul Bang’s, respectivement finaliste et gagnant du prix découverte RFI 2016, mêlent rythmes modernes et traditionnels.
 
Quand il ne slalome pas entre les tables de la brasserie des arts, dont il est le gestionnaire, l’écrivain est adossé au comptoir et cause avec ses clients, spectateurs ou artistes. Bilia Bah n’est jamais éloigné des salles de spectacle. Avec sa compagnie, La Muse, née en 2011, et sa troupe de dynamiques comédiens, ils défendent la culture comme levier de développement.
 
« Regardez l’industrie musicale ou cinématographique nigériane : le secteur peut rapporter de l’argent ! Mais ici, il n’y a rien dans la caisse », regrette le manager. C’est pour remédier à cette solitude qu’il a lancé le premier festival de théâtre guinéen, après une résidence à la Cartoucherie de Vincennes en région parisienne. La première moisson est la bonne. Sept ans plus tard, deux des participants sont entrés dans le cercle : le Guinéen Hakim Bah a reçu le prix RFI et le Camerounais Édouard Elvis Bvouma celui de la SACD. Aujourd’hui, tout le monde se les arrache sur le continent ou en Occident. L’auteur de Cour commune et de Châteaux de la ruelle aurait pu partir en Europe pour écrire, il a choisi de rester en Afrique. « Il y a tout à faire. Il faut créer un nouveau public et démystifier la scène. » Le ras-le-bol n’est jamais loin. Mais la première de ses casquettes est celle du théâtre en partage.