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La tragédie du camp Thiaroye

Par Zyad Limam Cédric Gouverneur - Publié en décembre 2024
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Le 1er décembre 1944, près de Dakar, des centaines de tirailleurs de retour de la guerre réclament leurs droits. La répression est sanglante. Un crime colonial doublé d’un crime d’État. Dans une lettre au président Bassirou Diomaye Faye, son homologue français reconnaît enfin qu’il s’agissait d’un «massacre».

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Novembre 1944. Après quatre années de captivité dans les stalags allemands, des milliers de tirailleurs sont rapatriés par bateau en Afrique. Mais à leur arrivée au camp militaire de Thiaroye, à une quinzaine de kilomètres de Dakar, ils se rendent compte que les autorités françaises rechignent à leur payer les arriérés de soldes…

Le 27 novembre, ils protestent en refusant de monter dans le train pour Bamako. «Ces sommes d’argent conséquentes auraient pu changer le cours de la vie de ces hommes à leur retour dans leurs villages», explique l’historien Martin Mourre dans un récent entretien au CNRS. Le général de division Marcel Dagnan leur promet d’examiner leurs revendications. Mais en réalité, il prépare la répression: le matin du 1er décembre, les automitrailleuses du 6e régiment d’artillerie coloniale déciment les contestataires…

Le bilan officiel fera état de 35 à 70 victimes  un chiffre encore repris, en 2014, par le président français François Hollande lors d’une visite au Sénégal. Mais les historiens estiment le bilan réel à des centaines de morts. Ils en veulent pour preuve un document de la police militaire, antidaté, mentionnant la «désertion de 400 tirailleurs» lors d’une escale de leur navire à Casablanca. Étrangement, aucun autre rapport nementionne cette prétendue désertion massive, qui a probablement servi à effacer des registres les noms de quatre cents victimes du massacre de Thiaroye…

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En juillet dernier, les autorités françaises ont enfin reconnu que quatre Sénégalais, un Ivoirien et un Burkinabè, soit six victimes, étaient «morts pour la France». Un statut juridique, et donc historique, important. «La France ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique.» La réaction du Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, à cette annonce montre à quel point l’omerta qui a prévalu – côté français – pendant plusieurs décennies sur ce massacre a laissé des traces profondes. «Une décision qui pourrait être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie», a commenté la secrétaire d’État française aux Anciens combattants, Patricia Mirallès. Ce qui lui a valu cette réplique cinglante du Premier ministre Sonko: «Ce n’est pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver».

Le 1er décembre, le président Diomaye Faye a tenu une cérémonie solennelle et officielle marquant le 80e anniversaire de cette tragédie. En présence des présidents mauritanien, gambien, bissau-guinéen et comorien. La création d’un mémorial et d’un centre d’études a été annoncée. En attendant, il est toujours possible de revoir Camp de Thiaroye, le magnifique film de Sembène Ousmane, coréalisé avec Thierno Faty Sow en 1988. Prix spécial à la Mostra de Venise la même année, le film ne sortira en France qu’en 1998 dans quelques rares salles d’art et d’essai. Il a été rediffusé à l’occasion du Festival de Cannes 2024, dans la sélection Cannes Classics, qui reprend les grandes oeuvres du cinéma mondial. Un hommage bien tardif, mais nécessaire.