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LAÏLA MARRAKCHI « JE SUIS PLUS POP QUE ROCK ! »

Par Michael.AYORINDE - Publié en janvier 2014
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QU’A-T-ELLE DONC FAIT pendant huit ans depuis la sortie de son film générationnel Marock, traitant des moeurs libérées d’une certaine jeunesse marocaine, devenu culte ? D’abord, un enfant, son premier. Ensuite, un projet d’adaptation, finalement abandonné, du roman Oufkir, un destin marocain, de Stephen Smith.

Sans doute cette histoire contemporaine du général Mohamed Oufkir, ancien ministre de l’Intérieur et homme des basses oeuvres du roi Hassan II, décédé dans de sombres circonstances en 1972 après un coup d’État raté, est-elle encore trop sensible au Maroc. Enfin, un nouveau film, Rock the Casbah, second long-métrage très réussi (voir p. 108).

Nous avons rencontré la réalisatrice Laïla Marrakchi. Née à Casablanca il y a trente-sept ans, elle vit aujourd’hui à Paris, où elle a eu du mal à s’adapter, a appris le cinéma, a fait ses armes, fait la connaissance de quelques-uns de ses techniciens et, finalement, où elle connaît le succès. Entretien avec une femme pétillante qui s’inspire de sa vie privée pour signer des oeuvres personnelles.

AM : Marock, et maintenant Rock the Casbah… Quel est ce lien que vous entretenez avec le rock ?

Le film n’est pas rock. Dans la forme, il est assez classique, mais il en porte l’esprit. Ce que j’aime dans le mot « rock », ce n’est pas la musique en soi, mais l’idée, c’est-à-dire cet esprit de rébellion, cette liberté de ton, de dire ce qu’on pense… Plus qu’un lien avec la musique, c’est un état d’esprit, parce que je serais plus pop que rock (Rires.).

Interprétée par votre cousine Morjana Alaoui, l’adolescente de Marock est devenue mère dans Rock the Casbah. Faut-il en déduire que vos personnages évoluent comme vous dans la vie ?

C’est vrai qu’avec Marock je tourne la page sur mon adolescence, ma jeunesse passée au Maroc, l’année du bac, tout ce que ça représente, les enjeux qu’il y a. Après, l’adolescence est quelque chose qui m’est très cher et j’y reviendrai. Rock the Casbah parle des femmes pas complètement accomplies dans ce qu’elles voulaient être, d’une certaine perte d’illusion… C’est vrai que c’est en phase avec ce que je vis aujourd’hui, mais il est un peu normal, dans ce qu’on écrit ou ce qu’on fait, qu’il y ait un écho entre ce qu’on vit et ce qu’on imagine.

À l’image des femmes de votre film, pensez-vous être passée à côté de ce que vous vouliez être ?

Non, je suis contente. Mais ce n’était pas simple de s’extraire de sa famille, de son clan, de ses racines, de vivre ailleurs, même si je repars souvent au Maroc. Il faut aussi s’adapter à une société parisienne qui n’est pas facile, dont il faut les codes. J’élève mon fils dans un environnement différent alors que j’ai grandi au soleil, à Casablanca. C’est un parcours où il y a plus d’inconnu que de connu. Pendant longtemps ça a été un handicap, mais là j’essaie de le vivre comme une richesse.

Votre mari, Alexandre Aja (réalisateur de La colline a des yeux ou Piranha 3D), est producteur associé de Rock the Casbah. Comment se passe le travail en famille ?

Il est là, à la fois très loin, mais aussi assez proche. Son regard est toujours bienveillant et intéressant. On se connaît depuis qu’on est adolescents, on a un regard mutuel sur notre travail et le sien est très important, il y a une confiance absolue. Notre vie, c’est un désir de cinéma partagé, vécu au quotidien.

Vos oncles, les frères Marrakchi, étaient distributeurs et exploitants de salles de cinéma au Maroc. Est-ce par leur biais que vous avez découvert le cinéma ?

Oui. Quand nous étions enfants, mon oncle distributeur faisait des projections chez lui tous les dimanches en 35 mm. J’ai des souvenirs d’enfance chez lui avec l’odeur de la pellicule et le thé qui passait entre les changements de bobine (Sourire.). C’est vrai que j’ai grandi dans cet univers-là et, enfants, quand mes parents ne savaient pas quoi faire de nous, ils nous envoyaient au cinéma. On voyait des Bruce Lee, des Sergio Leone et on écumait les salles de cinéma toute la journée.

Quand avez-vous décidé d’être réalisatrice ?

C’est en tant que cinéphile que j’ai voulu faire du cinéma. À l’âge de 15-16 ans, le cinéma m’intéressait, mais il n’y avait pas de modèles, pas d’exemples. Bon, il y avait Farida Benlyazid et quelques réalisatrices marocaines, mais c’est galère d’être cinéaste dans des pays comme les nôtres. Alexandre, pour le coup, m’a beaucoup poussé. Lui venait d’une famille de cinéma [il est le fils du réalisateur Alexandre Arcady et de la critique de cinéma Marie-Jo Jouan, NDLR], et comme pour lui, c’était possible, il m’a dit : « Évidemment, vas-y, il y a plein de choses à raconter ! »

En tant que cinéaste, comment vous positionnez- vous par rapport à l’attente internationale de films politiques sur le Printemps arabe ?

C’est fatigant. Quand on vient d’un pays du Sud, on est forcément porte-parole, mais c’est tellement lourd à porter ! On est obligé d’expliquer ce qui se passe dans le monde arabe, notre position, la politique du Maroc, le roi… Est-ce qu’on pose autant de questions à des Américains qui font des films ? Je ne veux plus qu’un film soit incapable d’exister sans polémique, terroristes, bombes ou volonté de choquer.

Par Claire Diao