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«Cette terre a une dimension magique pour moi. Ce que je ressens là-bas est indicible.» EMERSON LAWSON
«Cette terre a une dimension magique pour moi. Ce que je ressens là-bas est indicible.» EMERSON LAWSON
Parcours

Laura Prince

Par Astrid Krivian
Publié le 14 juillet 2025 à 12h25
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La chanteuse et musicienne française part en quête de ses racines togolaises avec son second disque, chanté en langues mina et éwé: une démarche musicale, spirituelle, intime et historique, aux airs de sa terre d’origine. 

Adjoko, Star Prod/ Jazz Eleven, 2025.DR
Adjoko, Star Prod/ Jazz Eleven, 2025. DR

​​​​​​​​​​​​​​Son dernier album, Adjoko (son prénom togolais), est un chemin vers ses racines africaines, un parcours initiatique à la rencontre de ses ancêtres et de son héritage. Pour le réaliser, la chanteuse, musicienne et compositrice, qui a grandi en France, s’est immergée dans cette terre qu’elle avait seulement foulée quelques fois enfant. Entourée du pianiste ghanéen Victor Dey Jr. et du percussionniste béninois Samuel Agossou, elle irrigue son jazz lumineux et sa pop délicate de rythmes traditionnels du Togo et du Bénin. Ses recherches l’ont menée au-delà de la musique, explorant les liens avec l’histoire de l’esclavage.

«J’ai appris que notre demeure familiale, à Agbodrafo, village de ma famille paternelle, au Togo, jouxtait la maison des Esclaves. J’étais pétrie de questionnements, de tristesse, de colère, de douleur», confie Laura Prince. Au Bénin, à Ouidah, l’un des principaux ports de déportation lors de la traite transatlantique du XVe au XVIIIe siècle, elle est bouleversée par la porte du Non-retour, d’où embarquaient les esclaves africains, par l’arbre de l’Oubli, dont ils devaient faire plusieurs fois le tour pour oublier leurs origines.

Dans la chanson éponyme, elle rend hommage à Mary Prince: esclave affranchie née en 1788 aux Bermudes, elle est la première femme à témoigner de sa servitude au sein des colonies britanniques dans un livre publié en 1831. Quant au morceau Mawu, il célèbre cette divinité créatrice et féminine liée à la mer, aux éléments dans la religion vaudoue, chez les peuples éwé et mina du Togo et du Bénin. Du point de vue de la chanteuse, cette dimension sacrée de l’existence est une ressource essentielle: «Cette terre a une dimension magique pour moi. Ce que je ressens là-bas est indicible.»

À la fois douloureux et réconfortant, triste et émerveillé, ce voyage vers ses origines l’a profondément enrichie. «Je me suis retrouvée dans une communauté à laquelle je ne pensais pas appartenir. J’ai aussi obtenu mes papiers d’identité togolais, très précieux à mes yeux. Tout cela affirme mon identité, assoit mon lien spirituel avec mes ancêtres.»

Elle grandit à Paris dans un foyer bercé de musique, auprès de parents mélomanes qui lui transmettent leurs goûts éclectiques. Sur la platine paternelle crépitent du matin au soir les grandes voix africaines, Ray Charles, Maria Callas, Miles Davis, Mozart ou encore de la country. Sa mère est férue de chanson française – Charles Aznavour, Édith Piaf –, de pop anglo-saxonne – Elton John, Whitney Houston. Curieuse et autodidacte, Laura Prince s’exerce dès l’enfance sur un petit synthétiseur avec lequel elle reproduit les airs qu’elle entend. À 14 ans, elle prend des leçons de piano en jazz et en soul, compose ses premières chansons; à 20 ans, elle suit des cours de chant de gospel. Après le baccalauréat, elle s’ennuie sur les bancs de l’université de Nanterre, dans des études de sociologie et d’ethnomusicologie, trop théoriques à son goût. Elle enchaîne les petits boulots, puis quitte un jour son travail pour se consacrer pleinement à la création de son premier album, Peace of Mine, en 2021. «J’ai longtemps cherché ma place. Grâce à la musique, je l’ai enfin trouvée. Elle me permet de m’exprimer, de faire passer des émotions, de m’apaiser.»