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Avec des réserves évaluées à 37,5 milliards de barils, l’industrie porte le pays au rang de premier producteur continental.SHUTTERSTOCK
Avec des réserves évaluées à 37,5 milliards de barils, l’industrie porte le pays au rang de premier producteur continental. SHUTTERSTOCK
Découverte / Nigeria

Le défi de l’or noir

Par Eric Ekobia - Publié en janvier 2024
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Grâce à des projets colossaux, comme la mise en service de la méga-raffinerie Dangote, la nation est déterminée à rebooster le secteur pour en tirer profit le mieux possible.

L’économie du Nigeria repose principalement sur l’industrie pétrolière. Le pays possède en effet d’importantes réserves, qui en font le principal producteur en Afrique, dépassant la Libye et l’Angola, avec une capacité de 1,249 million de barils par jour. Le pétrole brut, ou le providentiel or noir, a été découvert pour la première fois en 1956 à Oloibiri, dans l’actuel État de Bayelsa, dans la partie sud du pays, puis plus généralement dans le delta du Niger. Sa production a commencé entre 1957 et 1960.

Les réserves sont estimées à 37,5 milliards de barils selon la Direction générale du Trésor. Et l’économie du pays, ainsi que les comptes publics dépendent largement de cette industrie. En effet, le pétrole et le gaz représentaient 78% des revenus des exportations totales en 2022. Des contrats de partage de production et de joint-ventures ont été mis en place avec la compagnie Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), l’entreprise publique qui gère le secteur. Mais une partie de la production est également assurée par des acteurs locaux. Outre sa contribution majeure à l’économie, l’industrie pétrolière concourt aussi largement à la création d’emplois, avec plus de 65000 emplois directs, et plus de 250000 emplois indirects.

Cependant, si le Nigeria est un important producteur de pétrole, il ne le raffine pas – disposant pourtant de quatre raffineries publiques: trois au sud du pays et une au nord, dans l’État de Kaduna. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, alors que le pays avait deux usines opérationnelles, il faisait raffiner d’importantes quantités de pétrole à l’étranger pour combler le déficit. Une partie de l’or noir était également traitée au Cameroun, au Ghana et en Côte d’Ivoire.

La première raffinerie de pétrole du Nigeria, située à Alesa-Eleme, près de Port Harcourt, a commencé à fonctionner à la fin de 1965 avec une capacité de 38000 barils par jour, suffisante pour répondre aux besoins nationaux de l’époque. Une usine supplémentaire a été construite à Warri en 1978, avec une capacité de 100000 barils par jour. Une troisième, d’une capacité de 100000 barils par jour également, a commencé à fonctionner à Kaduna, mais n’est devenue pleinement productive qu’au milieu des années 1980. Une quatrième a été achevée en mars 1989 à Alesa-Eleme, portant la capacité du Nigeria à 445000 barils par jour.

Mais les quatre raffineries sont dans un état délabré et ne fonctionnent plus depuis plusieurs années. Si le gouvernement s’efforce de les rénover, elles n’ont produit que peu ou pas de carburant au cours de la dernière décennie. Résultat: même si le pays produit du brut, il continue de le raffiner à l’étranger et doit l’importer, ce qui fait grimper son prix. Le Nigeria importe en moyenne entre 90% et 95% de ses besoins en carburants. Il faut noter que, depuis les années 1970, l’État subventionnait le prix à la pompe, ce qui permettait aux Nigérians de payer l’essence beaucoup moins cher que le prix du marché. Cette subvention a pris fin au mois de mai 2023, à la suite de l’élection du président Bola Tinubu, et a engendré une augmentation de 230,78%, d’après le Bureau national des statistiques du Nigeria (NBS). La suppression doit permettre au gouvernement d’investir dans les infrastructures de transport, d’éducation ou encore de santé. Une mesure courageuse, première réforme choc de l’administration Tinubu, et indispensable à la recherche d’équilibre des finances nationales, selon la nouvelle équipe aux commandes.

DES PERTES VERTIGINEUSES

Avec l’inauguration de la méga-raffinerie Dangote, le Nigeria devrait ne plus dépendre de l’étranger pour l’importation de ses carburants. Sa construction a démarré en 2014 dans la zone franche de Lekki, dans l’État de Lagos, avec une capacité de raffinage de 650000 barils de pétrole brut par jour. Elle s’impose aujourd’hui comme la plus grande du continent. Alors que 33 millions de litres sont consommés par jour, l’usine Dangote devra produire 53 millions de litres de pétrole raffiné par jour. Et avec le projet de 200000 barils par jour du groupe nigérian BUA, associé à la société française Axens, qui sera opérationnel en 2025, le Nigeria espère une amélioration de sa croissance économique et des réserves de change. Malgré l’envolée des cours mondiaux du pétrole brut, l’économie nigériane n’en a pas pleinement bénéficié. Selon le Bureau national des statistiques du Nigeria, en 2022, le secteur pétrolier a contribué directement à hauteur de 5,67% du PIB. L’activité est également le premier pourvoyeur de recettes publiques et de réserves de devises pour le gouvernement fédéral. Mais ces dernières années, il y a eu une diminution des recettes de l’État. Ce mouvement à la baisse est en partie dû à la politique de diversification fiscale du gouvernement, à la réduction de la production et au détournement massif de brut dans le delta du Niger. Des pertes vertigineuses estimées à près de 620 millions de barils entre 2009 et 2020, soit une valeur représentant 42 milliards d’euros. En 2022, les recettes fiscales de l’État représentaient 6,9% du PIB nigérian, les recettes fiscales issues du secteur pétrolier et gazier ont atteint 1,8% du PIB, soit 26,1% des revenus. Son poids réel dans l’économie dépasse largement celui de sa contribution au PIB.

Le gaz naturel joue aussi un rôle important dans cette industrie. En effet, les sols disposent d’énormes réserves en gaz, les premières en Afrique. La plus grande exploitation en matière de gaz naturel est menée par l’entreprise Nigeria Liquified Natural Gas (NLNG), exploitée conjointement par plusieurs sociétés et les États fédérés. Elle a commencé sa production en 1999. Le Nigeria, avec des réserves de près de 5300 milliards de m3 , est aujourd’hui le 3e producteur de gaz naturel d’Afrique, après l’Algérie et l’Égypte.

RESTRUCTURER L’INDUSTRIE

Installation de la Nigerian Petroleum Development Company, filiale de la NNPC, dans l’État d’Edo.SHUTTERSTOCK
Installation de la Nigerian Petroleum Development Company, filiale de la NNPC, dans l’État d’Edo.SHUTTERSTOCK

Longtemps attendue et finalement promulguée, la loi sur l’industrie pétrolière (PIA) de 2021 est l’une des tentatives les plus audacieuses visant à restructurer le secteur. Elle fournit à l’industrie un cadre juridique, réglementaire, fiscal et de gouvernance. Bien qu’il constitue une source majeure de revenus, le secteur pétrolier est à la traîne par rapport à d’autres en matière de contribution au PIB. Si elle est mise en œuvre avec diligence, la PIA devrait contribuer à faciliter le développement économique du pays, en attirant et en créant des opportunités dans un environnement plus sécurisé pour les investisseurs nationaux et internationaux.

Cette industrie est confrontée à des défis complexes, tels que la dépendance économique. En effet, le Nigeria se repose fortement sur ses revenus pétroliers, ce qui rend son économie vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux du pétrole. C’est pourquoi l’un des premiers mots d’ordre de l’administration Tinubu est la diversification urgente de l’économie, afin de s’affranchir de la dangereuse dépendance au seul pétrole. Le développement de l’agriculture ou l’exploitation des ressources minières, entre autres, sont à l’ordre du jour. La corruption est un autre problème qui touche les contrats, les licences et les recettes. Le manque de transparence nuit à une gestion efficace des ressources pétrolières. En outre, les communautés locales ont souvent protesté contre les compagnies pétrolières en raison de l’impact environnemental, de la dégradation des terres, du manque de répartition des bénéfices et des inégalités sociales. Des déversements de pétrole ont affecté les écosystèmes locaux, le marché de la pêche et la santé des populations.