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Découverte / Niger

Le défi démographique

Par Seidik Abba - Publié en avril 2023
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L’État consacre près de 22 % de son budget à l’Éducation nationale, notamment pour améliorer les conditions d’accueil des élèves. Ici, des écoliers à Ouallam, en 2022.KAY NIETFELD/ZUMA PRESS/ZUMA/RÉA
L’État consacre près de 22 % de son budget à l’Éducation nationale, notamment pour améliorer les conditions d’accueil des élèves. Ici, des écoliers à Ouallam, en 2022.KAY NIETFELD/ZUMA PRESS/ZUMA/RÉA

Véritable frein à la prospérité, la croissance annuelle de la population nigérienne atteint 3,8 %. Depuis son arrivée au pouvoir, Mohamed Bazoum a décidé de lever l’hypothèque que cette problématique fait peser sur le développement économique.

«Plus nous faisons d’enfants, moins nous sommes capables de les éduquer ; et moins nous les éduquons, plus ils feront des enfants à leur tour : facteurs, dans notre contexte socio-économique, de retard de développement et de croissance. » En novembre 2021, depuis peu installé dans le fauteuil présidentiel, Mohamed Bazoum affirme sa volonté de briser le tabou de la démographie galopante au sein de son pays. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : portée par une croissance annuelle de 3,8 %, la population double tous les 18 ans. Le nombre de Nigériens passera ainsi de 25 millions actuellement à 50 millions en 2040. Et à l’horizon 2050, le pays, qui enregistre une moyenne de sept enfants par femme, deviendra le deuxième le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest, après le Nigeria. En raison de cette croissance démographique exponentielle, ni son entrée en 2011 dans le cercle convoité des États producteurs de pétrole, ni sa croissance économique moyenne de 6 % entre 2011 et 2020 n’ont eu d’incidence véritable sur le développement humain. Résultat : pendant deux décennies (de 1999 à 2019), et malgré des efforts considérables, le Niger est resté dernier au classement de l’indice de développement humain (IDH), établi par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

L’école est le meilleur indicateur de ce défi démographique. En 2020, près de 817 000 enfants ont frappé aux portes des établissements publics. À supposer que l’on en eût placé 80 par classe – un nombre pour le moins antipédagogique –, le pays aurait eu besoin de 10 000 classes chaque année, et d’autant d’enseignants. Même en consacrant actuellement jusqu’à 22 % de son budget à l’Éducation nationale, le Niger peine à accueillir les écoliers dans des conditions décentes et à leur délivrer un enseignement de qualité. En attestent les taux de réussite aux examens scolaires, qui sont en 2022 de 27,18 % pour le brevet d’études du premier cycle (BEPC) et de 28,95 % pour le baccalauréat. Faute d’alternative, les élèves sont accueillis dans des classes en paillote (40 % du nombre total de classes, soit environ 36 000), lesquelles peuvent prendre feu et provoquer des tragédies nationales, comme à Niamey en novembre 2021, où une école maternelle a brûlé et causé la mort de 26 enfants âgés de 5 à 6 ans. La démographie non maîtrisée impacte par ailleurs la qualité des soins maternels et infantiles. Avec 78 décès pour 1 000 naissances, la république affiche un taux de mortalité infantile encore très élevé.

UNE BOMBE À RETARDEMENT

« Le poids démographique, il faut le dire, nous empêche de renforcer le développement de notre capital humain en assurant l’accès de nos compatriotes aux services sociaux (éducation, santé, etc.) et en facilitant l’accès de chacun à un emploi décent », a regretté, toujours en novembre 2021, le président. On pourrait faire le même constat en matière de lutte contre la pauvreté, elle aussi compromise par l’augmentation trop rapide de la population. En 1962, le revenu national par habitant était de 160 dollars, contre 90 dollars pour le Dahomey (actuel Bénin) ; en 2020, le même revenu était de 550 dollars pour un Nigérien et de 1 280 dollars pour un Béninois. Pour l’économiste du développement Kiari Liman-Tinguiri, ancien doyen de la faculté d’économie de Niamey, la démographie maîtrisée au Bénin et galopante au Niger participe à l’explication de cette différence de fortune entre les deux peuples. L’autre grand défi, c’est de nourrir la population. Derrière l’initiative 3N, « les Nigériens nourrissent les Nigériens », lancée par l’ancien président Mahamadou Issoufou, apparaissait l’ambition de garantir l’autosuffisance. Il n’en a rien été. Près de dix ans plus tard, le Niger est encore plus dépendant des importations de denrées alimentaires.

Mohamed Bazoum a donc choisi de prendre le taureau par les cornes. Fait inédit, il a créé en avril 2022 l’Office nigérien de la population (ONP). « Sa mission principale, selon son texte de présentation, est la maîtrise de la croissance démographique et la capture du dividende démographique. Il s’agira de manière spécifique pour l’ONP d’élaborer et de mettre en œuvre, à travers les ministères sectoriels, une stratégie d’accompagnement de la transition démographique. »

CHANGEMENT DE PARADIGME

Afin de prouver que ce dossier lui tient à cœur, le président a rattaché l’Office à son cabinet et porté à sa tête le professeur Habibou Abarchi, universitaire connu et respecté. Et c’est le chef de l’État lui-même qui a présidé en janvier dernier la première réunion de son Conseil d’orientation stratégique.

Par ailleurs, la transition démographique repose aussi sur la scolarisation de la population féminine. Près de 77 % des filles sont mariées avant leurs 18 ans, se retrouvant ainsi hors du système scolaire. Partant du principe que celles qui seront éduquées se marieront plus tard et feront moins d’enfants, le président a demandé à son gouvernement de construire partout sur le territoire des internats pour filles. Mieux que quiconque, Mohamed Bazoum, philosophe formé à l’université de Dakar, sait que la transition entre une démographie incontrôlable et une démographie maîtrisée est un phénomène de société qui a besoin d’une appropriation collective.

Longtemps ministre de l’Intérieur, donc responsable du culte et tutelle des chefferies locales, il a choisi de mobiliser les leaders religieux et les autorités traditionnelles. Les premiers convaincront les plus réticents que la maîtrise de la démographie n’est pas contraire aux valeurs islamiques, tandis que les seconds porteront la dynamique du changement jusqu’aux endroits les plus reculés du pays.

À l’aune de bonnes perspectives pétrolières et minières, marquées par la mise en service prochaine du pipeline Niger-Bénin et la construction de la mine d’uranium d’Imouraren, le chef de l’État entend éviter que le souci démographique prive son pays des retombées d’une croissance économique classée parmi les trois meilleures d’Afrique en 2023 (16,2 %, selon les autorités).

Seidik Abba : Journaliste et auteur de Mali-Sahel, notre Afghanistan à nous ? (Impacts Éditions, 2022).