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Mahamoud Ali Youssouf-DR
Mahamoud Ali Youssouf-DR
Union africaine

Le diplomate et le vétéran

Par Cédric Gouverneur - Publié en octobre 2024
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Ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis 2005, Mahamoud Ali Youssouf est candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine (CUA). Face, principalement, à Raila Odinga, l’éternel opposant kényan. Verdict au prochain sommet de l’Union en février 2025.

Raila Odinga- DR
Raila Odinga- DR

​​​​​​​Qui prendra le relais, pour un mandat de quatre ans renouvelable, du Tchadien Moussa Faki Mahamat à la présidence de la Commission de l’Union africaine (CUA) ? La conférence des 55* chefs d’État et de gouvernement membres doit désigner son successeur par un vote secret à la majorité des deux tiers. Scrutin prévu en février 2025, lors du prochain sommet de l’Union africaine. En vertu du principe de rotation régionale adopté en 2018, le nouveau président devra être issu de l’Afrique de l’Est. Outre le Mauricien Anil Gayan et le Malgache Richard Randriamandrato, deux candidats se démarquent : l’actuel ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahamoud Ali Youssouf (59 ans), et l’ex-Premier ministre kényan, Raila Odinga (79 ans).

Si la candidature du Kenya peut paraître solide du fait du poids de ce pays (première économie régionale) et de l’aura de son président William Ruto (élu en 2022), celle de Djibouti (un million d’habitants) dispose de sérieux atouts. Mahamoud Ali Youssouf met notamment en avant ses deux décennies d’expérience diplomatique et son polyglottisme : « Je suis le seul candidat capable de faire le lien entre les différentes régions de l’Afrique, étant francophone, anglophone et arabophone. » Il souligne également la puissance de projection diplomatique de Djibouti : le pays est incontournable au sein de la Corne (traversée par de fortes tensions), entretient des liens avec les Occidentaux comme avec la Chine (tous y possèdent des bases navales), mais aussi avec les pays du Golfe, situés juste de l’autre côté du détroit de Bab el-Mandeb. « Depuis vingt ans, Djibouti est particulièrement actif en matière de dialogue, de paix et de sécurité », déclarait Youssouf à Afrique Magazine dans une récente interview, rappelant « la longue tradition d’écoute » de son pays.

Le candidat à la présidence de la CUA avait annoncé les priorités de son programme : faire taire les armes (notamment dans la Corne, au Soudan et en République démocratique du Congo), mettre en œuvre la ZLECAf, lutter contre le changement climatique et assurer la transition écologique. Il avait déploré « le temps long » de certaines institutions (Union africaine, Nation unies), « qui ne correspond pas toujours aux urgences du présent », estimant du devoir des responsables africains issus de la génération des postindépendances de « se hisser au niveau de la jeunesse », sur un continent où l’âge médian est inférieur à 20 ans.

La candidature de Raila Odinga  surnommé dans son pays « le Tracteur » (Tinga en swahili), pour sa robustesse  a reçu l’appui de plusieurs poids lourds anglophones : le président kényan William Ruto, mais aussi le Rwandais Paul Kagame, l’Ougandais Yoweri Museveni, ainsi que l’ancien chef d’État et diplomate nigérian Olusegun Obasanjo. Alors qu’il a été cinq fois candidat à la présidentielle au Kenya  et cinq fois battu , sa nouvelle ambition interpelle. Certains au Kenya s’étonnent de ses aspirations panafricanistes et de le voir si facilement quitter la scène politique intérieure. La décision de briguer la Commission interpelle aussi la jeunesse et les manifestants qui, en juin et juillet derniers, ont contesté, parfois au péril de leur vie, les mesures d’austérité fiscale du président Ruto. La candidature d’Odinga à la présidence de l’UA serait motivée non seulement par les ambitions panafricanistes de Ruto, mais également par la volonté du chef d’État kényan d’offrir une voie de sortie à un opposant toujours remuant : selon le député kényan David Sankok, un ticket Raila Odinga/Rigathi Gachagua (actuel vice-président du Kenya) constituerait « la plus grande menace » pour la réélection de Ruto en 2027. De son côté, le Tracteur conteste toute compromission. Refusant la théorie de la retraite dorée avant l’heure, il met en avant sa « sagesse » son expérience politique, et aussi sa connaissance de l’UA, où il a occupé la fonction de haut représentant pour le développement et les infrastructures. Un poste peu visible, qu’il avait décroché en 2018 avec l’appui du président kényan de l’époque, Uhuru Kenyatta, soucieux (déjà ?) de l’éloigner de la vie politique nationale…

Dans tous les cas de figure, Raila Odinga devra aussi tenir compte de son âge. Le vénérable opposant fêtera, en janvier prochain, son 80e anniversaire… Vingt ans de plus que Mahamoud Ali Youssouf, dans un continent jeune, très jeune. Une défaite d’Odinga à l’élection à la présidence de la CUA serait un nouveau revers pour Nairobi, après l’échec en 2017 de la candidature d’Amina Mohamed face au Tchadien Moussa Faki Mahamat.

Mahamoud Ali Youssouf et Raila Odinga ont, quoi qu’il en soit, entrepris une véritable campagne de terrain, multipliant les déplacements. Les émissaires et envoyés spéciaux jouent aussi leur partition. Ministre des Affaires étrangères, Mahamoud Ali Youssouf s’appuie notamment sur le calendrier diplomatique pour défendre sa candidature. Et William Ruto n’hésite pas à prendre Raila Odinga dans ses valises, comme lors du dernier sommet Chine-Afrique de Pékin ou lors de l’assemblée générale des Nations unies à New York.

L’objectif des deux camps sera évidemment de convaincre au-delà des alliances politiques et linguistiques traditionnelles. Il faudra aussi tenir compte des équilibres à construire pour la nouvelle commission de l’UA. Outre la présidence, huit postes de la commission sont ouverts. Et in fine, les votants sont les chefs d’État. Commentaire d’un habitué : « Ce sont eux qui décident. Ils préfèrent éviter les profils trop politiques, les ego difficiles. Par nature, ils préfèrent un diplomate. Et pour certains d’entre eux, les ambitions panafricaines du président William Ruto agacent. Ce dernier doit prendre le relais de Paul Kagame à la tête du comité chargé des réformes de l’Union. Ça fait beaucoup pour le Kenya… »

Les enjeux sont majeurs. Quelle que soit l’issue du scrutin, le futur président de la CUA devra faire face à un agenda ardu de crises et réformer une institution en apnée : « Je me pose la question et vous la pose : depuis quand et pour combien de temps l’édifice tiendra-t-il ? », avait gravement déclaré Moussa Faki Mahamat lors du dernier sommet de l’Union africaine, réunie à Addis-Abeba en février dernier.

 


* La « République arabe sahraouie démocratique » est reconnue par l’UA.

Les présidents de la Commission de l’Union africaine (CUA)
2002-2003 (par intérim) : Amara Essy (Côte d’Ivoire)
2003-2008 : Alpha Oumar Konaré (Mali)
2008-2012 : Jean Ping (Gabon)
2012-2017 : Nkosazana Dlamini-Zuma (Afrique du Sud)
2017-2024 : Moussa Faki Mahamat (Tchad)